TEMOIGNAGE. Philippe Villeneuve : "Je pense Notre-Dame matin, midi et soir"

Tombé amoureux de Notre-Dame de Paris à l’âge de 6 ans, son architecte en chef a aujourd’hui la difficile mission de la sauver. Retrouvez le monument parisien sur TF1 dans Grands Reportages : Notre-Dame, un an après, dimanche 12 avril à 13h30, et sur France 2 mardi 14 avril à 21h00, dans Sauver Notre-Dame.

Quelle a été votre première pensée en découvrant l’incendie de Notre-Dame de Paris le 15 avril 2019 ?

Philippe Villeneuve : Le gamin amoureux de Notre-Dame est en quelque sorte mort ce jour-là. Je suis toujours personnellement anéanti. Mais j’ai l’instinct de survie. Mon boulot est de sauver Notre-Dame. J’ai immédiatement endossé mon costume d’architecte en chef. On est bâti pour réagir face à ce genre de situation dramatique extrême. Je me suis donc mis tout de suite au boulot.

Êtes-vous toujours partisan de la reconstruire à l’identique ?

Ce n’est pas que je sois "partisan". De par ma fonction et mon statut d’architecte en chef, mon rôle n’est pas de proposer de la création, mais de la restitution ou de la restauration. Il ne m’appartient donc pas de faire un projet de flèche nouvelle. À titre personnel, j’aimerais qu’elle soit refaite.

Pourquoi cette préférence ?

J’ai une immense admiration pour cette flèche, c’est le chef-d’œuvre de Viollet-le-Duc (un des architectes de Notre-Dame, ndlr). Qui savait avant le 15 avril 2019 que cette flèche était une création d’à peine 150 ans ? Personne. Parce qu’elle est tellement harmonisée en proportion, en dessin, en style, en technique, qu’elle est parfaitement adaptée à ma cathédrale. Elle l’a même parachevée. Mais mon rôle est aussi d’explorer les différentes possibilités. Ce sera le maître d’ouvrage, l’État en l’occurrence, qui décidera.

Vous dites "ma" cathédrale…

Je sais. (Rires) C’est grave docteur ?

Votre vie est-elle désormais irrémédiablement liée à Notre-Dame ?

Oui. Je pense Notre-Dame matin, midi et soir. C’est terrible. C’est obsessionnel. Cela peut être enthousiasmant mais cela fait un an maintenant que je n’ai pas arrêté, ni physiquement, ni intellectuellement. Cela commence à devenir épuisant. (Il réfléchit. ) Il y a aussi ces gens qui se permettent de me juger et de juger ce que j’ai fait. Ils disent que j’aurais dû démissionner dès le lendemain de l’incendie.

Expliquez-nous…

En dehors de la souffrance personnelle pour ce monument que je chéris, est-ce qu’ils se demandent si je ne me sens pas responsable de cette catastrophe ? Alors même que dans les statuts et mes fonctions, les surveillances et la prévention incendie ne sont absolument pas de ma responsabilité. Et tout en sachant parfaitement que ce n’est pas moi qui ai causé l’incendie. Désigner l’architecte en chef comme bouc émissaire est d’une bassesse abjecte. C’est difficile à vivre… Cela me fait même plus souffrir que l’état de ma cathédrale.

Avez-vous appris quelque chose sur vous-même depuis l’incendie ?

Je ne me savais pas capable de cette froideur, de cette autorité, de cette distance pour diriger des équipes et une entreprise dans un chaos pareil. Je me pensais plus fragile que ça. Je le suis, mais je me suis construit une carapace. Je ne sais pas dans quel état je serai une fois ma mission terminée. Je serai peut-être mort. (Rires) Je me demande comment je vais le vivre. J’attends ce jour avec impatience, car ce sera une délivrance. Je suis en permanence en surtension. J’espère tenir encore au moins quatre ans. Après, on verra.

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