Juge aux affaires familiales, Delphine Thouillon est confrontée chaque jour à des séparations complexes dont les victimes sont toujours, in fine, les enfants. Elle témoigne sur France 5 ce mardi 25 février dans Le Monde en face : Séparation, les enfants d’abord.
Vous n’avez pas un parcours classique. Vous avez intégré la magistrature après avoir longtemps travaillé comme greffière. Pourquoi cette bascule ?
Delphine : J’avais envie de m’engager davantage dans la société. J’ai été nommée magistrate en 2015 et ai rejoint un an plus tard le Tribunal de grande instance de Créteil où le président m’a affectée aux affaires familiales. Nous sommes en prise directe avec le quotidien des gens. Apaiser leurs conflits, c’est apaiser la société tout entière.
Sur quels types de conflits statuez-vous ?
Le JAF (juge aux affaires familiales, ndlr) ne traite plus des divorces par consentement mutuel, qui relèvent des avocats. L’essentiel de mes dossiers traite de couples, pacsés ou en union libre, qui décident de se séparer et entrent en conflit à cause de questions d’argent… ou des enfants.
Dans le cas d’un conflit pour la garde d’un enfant, qui entendez-vous ?
Toujours les parents, en même temps, assistés ou non d’un avocat. Ils m’ont chacun remis un dossier, généralement constitué d’attestations de proches, parfois de copies de sms, de mails, de bulletins scolaires… Si cela ne suffit pas pour me forger un avis, je peux ordonner une enquête sociale et un enquêteur social, souvent psychologue de formation, va entendre la famille et son cercle proche. Je peux aussi demander une médiation familiale ou une expertise médico-psychologique.
Entendez-vous aussi systématiquement les enfants concernés ?
La loi prévoit qu’un enfant qui demande à être auditionné doit l’être dès lors qu’il est en âge de discernement. En amont, je vais tout faire pour lui éviter de venir au tribunal, car c’est toujours lourd de conséquences. Mais si, après l’avoir confié en entretien à l’enquêteur social, l’enfant souhaite toujours me parler, je le reçois.
Quelles précautions particulières prenez-vous en le recevant ?
Déjà j’enlève ma robe de magistrate, qui pourrait l’impressionner. Et je décharge ses épaules en lui expliquant qu’il est là pour dire ce qu’il ressent mais qu’à la fin, c’est ma décision et qu’elle ne sera pas forcément dans le sens de ce qu’il veut.
Quelle est la situation la plus compliquée que vous ayez eue à juger ?
Des conflits sans fin, où aucun des parents ne veut faire un pas vers l’autre. Dans ces cas-là, les enfants essaient désespérément d’attirer l’attention de leurs parents, allant parfois jusqu’à la tentative de suicide.
Une bonne décision, c’est ?
Celle qui ne donne raison à personne. Ou tort à tout le monde. Encore une fois, rétablir un équilibre, apaiser.
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