Elle s’appelle Surmeh*, elle a 33 ans, et vit à Shiraz avec son mari et leur bébé. Elle dit, « je suis une fille de la ‘génération brûlée' ». Celle qui n’a connu que l’oppression des Mollahs [chefs religieux islamiques, ndlr].
Malgré la répression, leurs amis arrêtés, Surmeh et son mari continuent de manifester. Cette révolte qui entre dans sa quatrième semaine après la mort de Mahsa Amini est, pour la première fois, menée par les femmes sous les encouragements de beaucoup d’hommes. Cela leur donne l’espoir que leur enfant connaitra la liberté et le bonheur.
Internet a été coupé pour mieux réprimer, mais le mari de Surmeh, ingénieur en informatique, a su trouver une parade pour qu’elle puisse témoigner, « pour que les lectrices de Marie Claire sachent et viennent en aide aux Iraniennes, de façon concrète. » Voici son récit.
« Le pouvoir des mollahs pèse à 100% sur notre vie personnelle »
« Chaque matin, au réveil, on allume la télévision pour savoir combien de personnes ont été arrêtées et tuées. Tout le monde autour de moi vit dans la terreur quotidienne de perdre des proches. C’est ici, à Shiraz, que j’ai étudié à l’université, que j’ai décroché un emploi, que je me suis mariée, et que je suis devenue mère.
Chaque jour de ma vie m’est douloureux, je suis confrontée aux discriminations entre les hommes et les femmes, à l’obligation de porter le hijab, et à la pression économique. Le pouvoir des mollahs pèse à 100% sur notre vie personnelle. Ils interfèrent sur tout : du port du voile au choix de notre mariage. Nous n’avons pas le droit, par exemple, de d’organiser des fêtes où les hommes côtoient des femmes. Si nous voulons passer outre cette interdiction, nous devons payer très cher pour qu’ils n’interviennent pas au milieu de la fête pour nous arrêter. Et il y a des interdictions qui mettent notre vie en danger.
J’ai perdu mon premier enfant alors que j’étais enceinte. J’ai été admise aux urgences à l’hôpital. Alors que j’étais au plus mal, les autorités ont refusé que je sois emmenée au bloc opératoire car mon mari, en déplacement professionnel, n’était pas à mes côtés. Il devait être présent pour confirmer que l’enfant dans mon ventre était bien le sien. Cela a été terrible, j’aurais pu mourir comme des femmes enceintes meurent faute d’être soignées quand elles n’ont pas la preuve officielle de leur mariage.
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Une révolte de femmes soutenue par les hommes
C’est la deuxième fois en Iran que les gens descendent dans la rue exigeant que les mollahs quittent le pays, mais cette fois, ce sont les Iraniennes qui ont impulsé la révolte, et nous sommes de plus en plus fortes.
Mais nous avons besoin de vous. Nous n’avons pas besoin que d’autres femmes se coupent les cheveux en notre soutien, nous avons besoin d’actions sérieuses et concrètes. En face, ils ont des armes, nous, nous les affrontons les mains vides dans la rue où ils nous assassinent chaque jour. Nous vous demandons de porter notre voix, de nous aider à expulser ce gouvernement corrompu et répressif. Nous vous demandons d’exiger de votre gouvernement qu’il instaure des sanctions à l’Iran.
Depuis plus de 40 ans, ce gouvernement nous opprime pendant que leurs propres enfants vivent aux États-Unis et au Canada dans les meilleures conditions possibles, sans port obligatoire du hijab. Ils affichent sans honte leur bonheur sur les réseaux sociaux alors que nous, nous sommes empêchés de quitter ce pays dont ils volent toutes les ressources. Mes frères et mes soeurs ont tous émigré au Canada. Mon mari et moi avons fait une demande d’immigration il y a 6 ans.
Quand je regarde les photos de notre album de famille, de la vie de mes parents sous le règne de Mohamed Reza Shah, je me dis que j’aimerais connaitre cette liberté et en même temps, je trouve étrange que l’Iran d’il y a 40 ans fasse rêver notre jeunesse.
Il y a tout de même des signes d’espoir : les femmes ont toujours été en position d’infériorité, elles ont toujours suivi les hommes, aujourd’hui, c’est le contraire qui se passe. Vous voyez les images de ces femmes courageuses qui brûlent leur voile sous les applaudissement et les encouragements des hommes. Et je suis convaincue que 90% des Iraniennes soutiennent cette révolution, on voit des femmes voilées parmi les manifestants. Ma mère, une musulmane qui porte le voile, soutient cette révolution.
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Se battre pour une vie « sans peur »
En réponse, à la télévision nationale, ils disent que les femmes qui manifestent sont des prostituées, que nous voulons nous exhiber devant les hommes pour coucher. Mais ce sont les hommes au pouvoir qui le font, des photos et des vidéos de leurs frasques circulent depuis longtemps. Nous, nous voulons juste une vie normale, une vie sans connaître la peur.
Pas un jour ne passe sans qu’un ou une d’entre nous soit arrêté ou tué.
Je suis optimiste parce que ces manifestations sont très différentes de celles que nous avons connues dans le passé. Pas un jour ne passe sans qu’un ou une d’entre nous soit arrêté ou tué mais nous continuons sans faiblir. Nous sommes prêts à perdre la vie pour que la prochaine génération puisse vivre libre. Je veux que mon bébé grandisse dans la liberté et le bonheur.
Je demande à vos lectrices de nous aider autant qu’elles le peuvent. Si nous perdons cette bataille, nous avons la certitude qu’ils tueront tous les détenus, puis ce sera notre tour, notre liberté nous sera de nouveau arrachée. »
*Son prénom a été changé
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