- Un accès encore trop sinueux
- Du manque de pédagogie au validisme
- Des risques graves pour la santé des femmes en situation de handicap
- Des pistes d’amélioration
Le chiffre est effarant : selon les données du Conseil National de l’Ordre des Sages-femmes (CNOSF), 42 % des femmes en situation de handicap ne sont pas suivies sur le plan gynécologique. Un constat peu optimiste, que font aussi les associations. « Ce n’est malheureusement pas une surprise. On suit ça depuis longtemps », déplore Karine Pouchain-Grépinet, conseillère nationale Santé à l’AFP France handicap.
Pour Odile Maurin, activiste et présidente de l’association Handi social, il y en a sûrement « beaucoup plus » qui ne consultent pas. Celle qui est atteinte d’un syndrome d’Ehlers-Danlos et d’autisme sévère, a elle-même souvent été découragée. « J’ai habité dans toute la France, et je n’ai jamais eu un cabinet qui était adapté aux personnes handicapées. J’en connais beaucoup qui n’ont jamais consulté à cause de ça », assure-t-elle.
Que ces manquements concernent l’accès au cabinet, le matériel ou la pratique même des gynécologues, ils exposent ces femmes à des répercussions graves sur leur santé. « Il y a une perte de chance énorme. Chez elles, les tumeurs du sein sont détectées à un nombre de millimètres impressionnant » en comparaison aux femmes valides, alerte Karine Pouchain-Grepinet.
Un accès encore trop sinueux
Pour ces femmes, les raisons de renoncer aux soins sont nombreuses. Et il n’est pas toujours question d’un examen décevant. Car avant même de passer la porte du cabinet, de nombreux obstacles peuvent déjà s’ériger devant elles. « On a déjà galéré à prendre les transports en commun. Ensuite, on se retrouve devant une porte où il faut appeler, sonner, ou tirer une porte. Et si on n’y arrive pas, on peut se retrouver sous la pluie à attendre », illustre Odile Maurin.
Une fois la porte passée, nouveau défi. À quel étage se trouve le cabinet ? L’immeuble est-il équipé d’un ascenseur ? Est-il adapté au passage d’un fauteuil roulant ? Depuis 2005, la loi oblige tous les établissements recevant du public à se rendre accessibles aux personnes handicapées. Ce qui doit comprendre des places de stationnement adaptées et doit concerner les cheminements extérieurs, l’accès au bâtiment ou l’accès à la salle de soins.
Force est de constater que peu de cabinets remplissent tous les critères. Y compris dans la salle d’examen. « Le mobilier ou l’équipement non plus ne sont pas toujours accessibles. Par exemple, les tables d’auscultation ne sont pas toujours amovibles », abonde Karine Pouchain-Grepinet. Le transfert de la personne vers la table peut nécessiter l’aide d’un.e praticien.ne supplémentaire, ce qui est trop rarement pratiqué, dénonce Odile Maurin.
Concernant la mammographie, essentielle au diagnostic du cancer du sein, beaucoup de cabinets de radiologie sont encore inadaptés. D’abord, parce que beaucoup ne permettent que la station debout, mais aussi parce que les démarches administratives peuvent être plus lourdes que d’ordinaire. Résultat : selon l’étude Handigynéco-IdF menée en 2016, 85,7 % des femmes en situation de handicap déclarent ne jamais avoir eu de mammographie.
Du manque de pédagogie au validisme
Au-delà de l’accès au cabinet et du matériel de consultation à revoir urgemment, c’est aussi la pratique gynécologique qui devrait être réformée en profondeur, clame Odile Maurin. « Beaucoup de militantes font remonter du validisme lors de leur examen », dénonce-t-elle.
La crainte d’être jugée, infantilisée, de faire face à un.e gynécologue non formé.e.e au handicap, maladroit.e ou même violent.e, paralyse nombre d’entre elles. « On ne me demande pas mon consentement avant de me toucher », assure Justine, 23 ans, atteinte d’une déficience physique, dont les propos ont été rapportés par AFP handicap. Une autre témoin anonyme assure avoir mis trois années avant de trouver un gynécologue « qui n’avait pas un discours eugénique » concernant son éventuelle grossesse.
On ne me demande pas mon consentement avant de me toucher.
Pire : bien que ce soit illégal, certaines se heurtent même à un refus de soins. Selon les plus récentes données de l’enquête Handifaction, c’est le cas de 22 % des personnes en situation de handicap. Pour la conseillère nationale d’APF handicap, cela reflète l’approche trop souvent stéréotypée des médecins vis-à-vis des femmes en situation de handicap. Et notamment en ce qui concerne leur santé sexuelle.
« On va préjuger qu’une femme n’a pas de sexualité à cause de sa déficience intellectuelle, donc on ne va pas faire de dépistage du cancer du col de l’utérus ou on ne lui parlera pas de contraception », dénonce-t-elle. Un rapport de l’Institut de recherche et documentation en économie de la santé (Irdes) lui donne raison, démontrant qu’une femme handicapée sur trois ne bénéficie pas d’un dépistage du cancer du col de l’utérus.
Des risques graves pour la santé des femmes en situation de handicap
Dans les cas les plus extrêmes, les femmes handicapées se voient même ligaturer les trompes contre leur gré. « Selon un rapport de l’Inspection générale du secteur social (IGAS), environ 500 femmes handicapées » sont soumises chaque année à une stérilisation forcée, relate Euronews.
Pour toutes ces raisons, les femmes handicapées sont de plus en plus nombreuses à déserter les parcours de soins. « Ça devient vite infranchissable. Quand on est fragile, on n’a pas envie de s’imposer une si mauvaise expérience« , explique Odile Maurin, qui, elle, a trouvé un gynécologue compétent il y a plusieurs années.
Il faut que les femmes en fauteuil puissent faire leur mammographie assise, qu’un test de grossesse puisse être relu par une femme aveugle.
Et les risques encourus par des femmes non sensibilisées peuvent être très graves. D’après Handicap International, les femmes avec un handicap ont 30 fois plus de risques de subir une grossesse non-désirée, et ce qu’un tel événement implique.
Plus grave encore : selon une étude de l’ARS des Pays de la Loire parue en 2016 : faute de suivi, une tumeur du sein est détectée quand elle mesure 40 mm pour les femmes en situation de handicap, contre 3 mm pour les femmes non atteintes d’un handicap.
Des pistes d’amélioration
À ce titre, il faudrait « obliger » la formation des gynécologues au handicap et rendre le matériel accessible à tous.tes, en prenant en compte tous les types de handicap, milite Odile Maurin : « Par exemple, il faut que les femmes en fauteuil puissent faire leur mammographie assise, qu’un test de grossesse puisse être relu par une femme aveugle, qu’on fasse de la pédagogie poussée à une personne autiste ».
Pour Karine Pouchain-Grepinet, ces efforts doivent permettre de « redonner du pouvoir » et de faire « gagner de l’estime » à ces femmes, en leur offrant aussi plus de perspectives. Pour l’heure, APF handicap incite les professionnel.les de santé formé.es au handicap et dont l’établissement est aux normes, à s’inscrire sur leur annuaire d’accessibilité des lieux de soins.
Lancé en 2016 par l’ARS Ile de France, le dispositif Handigynéco a lui commencé son périple début 2023. À cette occasion, des centaines de sages-femmes ont été formées au handicap afin d’offrir des consultations personnalisées aux femmes en situation de handicap sévère et résidentes d’une Maison d’accueil spécialisé (MAS) ou d’un foyer d’accueil médicalisé (FAM).
« L’idée était de dire : puisque les personnes ne parviennent pas à aller consulter, amenons les professionnels dans les établissements », précise Benjamin Vouhé, chef de projet de la démarche. Des ateliers collectifs permettant d’aborder la santé sexuelle et la prévention des violences y sont également dispensés.
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