Stéphanie Frappart, arbitre de foot : “Porter cet étendard de pionnière n’était pas ma vocation première”

À quelques jours de la finale de la Coupe de France qui aura lieu samedi 7 mai 2022, Stéphanie Frappart se prépare. Elle a été choisie pour arbitrer la rencontre : une première dans l’histoire du football français. 

L’arbitre de 38 ans a l’habitude des premières fois. Avec une carrière dans l’arbitrage, milieu très majoritairement masculin, elle fait figure de pionnière. 

Juste avant sa mise au vert pré-finale, elle revient sur sa place dans l’arbitrage français, sa volonté de transmettre aux jeunes générations mais aussi sur le regard des autres et la critique, amplifiée par des réseaux sociaux qu’elle fuit autant que possible. 

Marie Claire : Samedi prochain, vous serez la première femme à arbitrer une finale de Coupe de France. Vous étiez déjà – entre autres – la première femme à officier lors d’un match de Ligue 1 en 2009 et en Ligue des Champions masculine fin 2020. Cette tenue de pionnière est-elle agréable à porter ?

Stéphanie Frappart : Je l’ai pris avec moi, on va dire. Ce n’était pas ma vocation première de porter cet étendard de “pionnière”. Mais au fil des désignations et de mon parcours, c’est maintenant ancré dans mon personnage. 

Si je ne me mets pas vraiment plus de pression par rapport à cela, je sais malgré tout qu’à chaque fois que je rentre sur un terrain, à chaque fois que je suis désignée pour arbitrer une nouvelle rencontre, c’est généralement “une première”.

Ça fait désormais partie de mon bagage et de ce que je véhicule en dehors des terrains.

Vous rencontrez régulièrement des jeunes arbitres, comme par exemple en décembre 2021 à Bordeaux. Qu’est-ce que vous dites aux jeunes femmes qui se lancent dans l’arbitrage ?

Pour moi, ce travail de transmission est important. Parce qu’on grandit aussi par rapport aux conseils que l’on nous donne quand on est jeune arbitre. Moi, j’ai évolué grâce à des personnes qui m’ont accompagnée dans l’arbitrage. 

À la Fédération, je suis aussi en charge des arbitres de D1 féminines. J’essaie de leur partager mes compétences et de les aider dans leur évolution. C’est une manière de rendre à la corporation ce que l’on nous a donné.

Quelles sont les questions des jeunes femmes arbitres qui reviennent régulièrement ? Est-ce qu’elles s’interrogent sur le fait – comme vous – d’être une femme dans un milieu encore aujourd’hui très masculin ?

Il n’y a pas forcément de questions sur le fait d’arbitrer des hommes. Il faut savoir que quand on commence l’arbitrage, on commence toujours par arbitrer des garçons, parce que ce sont des catégories dans lesquelles il y a plus de matchs tout simplement.

Je me fais contester sur des matchs, dans les médias, mais j’ai l’impression que de la part des joueurs ou des entraîneurs, il y a un peu plus de retenue.

Ce qui interroge plus, ce sont les questions relatives au haut niveau, aux enjeux et à la médiatisation. Et ça, que ce soit pour le football masculin ou féminin, parce que ces dernières années le football féminin est devenu de plus en plus professionnel.

Je peux alors partager mon expérience sur ce qu’est la médiatisation avec la diffusion des matchs en direct à la télévision, sur les pressions que cela engendre… Ce sont généralement plus ces appréhensions-là que les jeunes arbitres partagent. 

Est-ce que le fait d’être une femme au sifflet change quelque chose sur le terrain ?

Ça peut changer certains comportements, en effet. La contestation existe, et elle existera toujours parce que les joueurs sont des compétiteurs. Après je pense dans la virulence des mots, dans l’approche physique, il y a moins de pression. 

Je me fais contester sur des matchs, dans les médias, mais j’ai l’impression que de la part des joueurs ou des entraîneurs, il y a un peu plus de retenue. Il peut y avoir plus de confrontation avec certains de mes collègues garçons. Après je ne sais pas comment eux ils appréhendent ces situations.

Chacun use de sa personnalité propre pour manager un match.

Vous êtes également dans la liste des arbitres qui participeront à l’Euro Féminin cet été. Y a-t-il une différence, de votre point de vue, entre arbitrer un match de football masculin versus un match de foot féminin ? 

Éventuellement, pour les plus bas niveaux, il peut y avoir des différences plus marquées. Mais sur le haut niveau, comme lors des compétitions comme l’Euro ou les Coupes du Monde, pas vraiment. 

Après cela ne veut pas dire qu’il n’y a pas de différences de jeu ou de tactiques, comme il peut y avoir des différences d’approche entre le football sud-américain et le football européen. 

Pour moi, l’adaptation est plus vis-à-vis des styles de jeu, des tactiques des équipes, plutôt que d’un football qui serait différent du fait d’être joué par des hommes ou des femmes. 

L’arbitrage est souvent critiqué dans le football. Comment faites-vous face à ces flots de contestations ? Lisez-vous les messages sur les réseaux sociaux ?

Je n’ai pas de comptes sur les réseaux sociaux, et à vrai dire je suis très détachée de ces commentaires. J’ai certainement déjà vu passer des critiques, mais je n’y prête pas attention. 

Concernant ce qui peut se dire dans les médias, je ne suis pas trop non plus. Je me raccroche généralement à tout ce qui relève de la partie technique de l’évaluation. On sait que l’arbitre, c’est une fonction très décriée. On prend beaucoup de bonnes décisions mais on ne retient généralement que celles qu’on “fait mal”. 

Des personnes qui m’accompagnaient, des proches ont pu par contre souffrir d’entendre ces attaques-là, du type “retourne faire la vaisselle”. 

Pour certains membres de ma famille, c’est peut être parfois plus compliqué mais moi je reste vraiment centrée sur la partie technique.

De manière générale, je n’ai pas besoin de savoir ce que les gens pensent de moi, ou de trouver de la reconnaissance dans ce regard des autres.

Quand on est une “pionnière”, dans n’importe quel domaine, on fait généralement face à des attaques sexistes. Pouvez-vous nous en parler ?

Comme je vous l’ai dit, je n’ai pas de comptes sur les réseaux sociaux, donc je ne vois pas ces insultes-là. 

Concernant les remarques sexistes durant les matchs, ça a dû arriver que j’en entende depuis les tribunes. Mais je suis généralement focus sur le terrain. Des personnes qui m’accompagnaient, des proches ont pu par contre souffrir d’entendre ces attaques-là, du type “retourne faire la vaisselle”. 

Autrement, je n’ai pas trop subi de sexisme. En tous cas, jamais de la part des acteurs sur le terrain.

En quoi consiste votre préparation physique et mentale, en vue d’une rencontre comme celle de la finale de la Coupe de France ?

En général, on fait un peu comme les équipes. À partir du jeudi (le 5 mai, ndlr), on va se retrouver proches de Paris dans une configuration de préparation de match, avec tout l’encadrement de la fédération, à la fois technique et athlétique. 

C’est un peu pareil pour chaque grosse compétition, on a une dizaine de jours de préparation, que ce soit sur les Coupes du Monde ou sur les Euros. On a une dizaine de jours de préparation, comme les joueurs.

Pour moi, l’adaptation est plus vis-à-vis des styles de jeu, des tactiques des équipes, plutôt que d’un football qui serait différent du fait d’être joué par des hommes ou des femmes. 

Être arbitre, c’est à la fois une préparation physique au quotidien, qui ne s’arrête que durant les trêves. Il y a une partie technique, c’est-à-dire tout ce qui est lois du jeu, etc. La partie technique des décisions aussi. Parce qu’il faut qu’on arrive à rester plus cohérents entre nous. On est 21 en Ligue 1 par exemple, donc ce n’est jamais évident de trouver une cohérence dans des situations qui peuvent paraître identiques, mais qui ne le sont pas. On a des critères de décisions par rapport à ça.

Et après, il y a une analyse un peu tactique des équipes, pour anticiper les scénarios possibles. Comment sont joués les coups de pied arrêtés, par exemple. L’objectif est de savoir comment évoluer sur le terrain et me trouver au meilleur endroit pour décider.

Un test IRL a été fait récemment : l’arbitre du match Monaco-Saint-Étienne était équipé d’un micro le 23 avril dernier. Pensez-vous qu’il faut généraliser cette utilisation du micro, comme cela est fait par exemple lors de matchs de rugby ?

En tant qu’arbitres, on a toujours été plutôt ravis de voir des évolutions qui permettent de promouvoir le foot ou de le rendre plus attractif. Il y a eu les drapeaux. On a eu les oreillettes entre nous pour pouvoir aussi communiquer. Il y a eu la VAR, il y a peu de temps… On est ouverts à tous les moyens qui permettent aux supporters et aux spectateurs de mieux comprendre ce qu’il se passe sur le terrain. 

Après, l’expérience que vous mentionnez, c’est une expérimentation qui a été faite durant un match, mais pas diffusée en direct*. Les séquences diffusées ont été choisies. Je pense que sur un match, on ne peut pas tout ouvrir, parce qu’il y a des choses pas intéressantes. 

Il faut pouvoir choisir ce qu’on ouvre ou pas. Le commentateur doit commenter le match. Et peut-être qu’on peut ajouter certaines déclarations de l’arbitre, la communication avec la VAR par exemple. Il faut trouver le juste milieu.

* Certaines déclarations de l’arbitre Bastien Dechepy ont été diffusées pendant l’émission Dimanche Soir Football sur Prime et sur les réseaux sociaux, ndlr.

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