Sabrina Van Tassel (L’État du Texas contre Melissa) : “Cette femme n’est pas une meurtrière”

Sabrina Van Tassel a réalisé L’État du Texas contre Melissa. Ce film, sur une femme injustement condamnée à mort, est à découvrir ce mardi 12 avril à 8h15 sur Canal+.

Comment avez-vous entendu parler de l’affaire Melissa Lucio ?

SABRINA VAN TASSEL : En 2017, je pars aux États-Unis tourner un reportage sur les femmes condamnées à mort pour Enquête exclusive, le magazine de M6. Melissa est l’une d’elles. Elle est dans le couloir de la mort d’un pénitencier du Texas et, a priori, je n’ai aucune empathie : une mère hispanique, pauvre et anciennement toxico, qui aurait, en 2007, battu à mort Mariah, sa fille de 2 ans et demi.

Comment démarrez-vous ce reportage ?

Je vais trouver sa famille, à la frontière mexicaine. Sa mère, ses sœurs, ses enfants… En une heure sur place, j’entends que Melissa est non violente, que Mariah, qui avait un pied bot, est tombée dans les escaliers deux jours avant sa mort, que le procureur au procès a, depuis, été condamné pour extorsion et que l’avocat commis d’office a rejoint le bureau du procureur. Le soir, je vérifie tout ça : effectivement, c’est vrai.

Le lendemain, vous avez votre première interview d’une heure avec Melissa, au parloir de la prison. Quelle impression vous fait-elle ?

Tout mon corps me dit «Cette femme n’est pas une meurtrière». C’est une claque. Je sors de là, j’appelle son avocate, elle aussi persuadée de son innocence. Elle me dit : «Si vous voulez faire quelque chose, c’est maintenant. D’ici un an, elle sera exécutée.» Elle m’envoie tout le dossier, et je passe trois mois à tout lire, 10 000 pages. Et je suis consternée.

Votre film montre un procès uniquement à charge…

Melissa a été jugée en quatre jours ! On montre aux jurés la vidéo de son interrogatoire, mais pas les sept heures où les policiers lui extorquent des aveux, juste le moment où, vers 4 heures du matin, dans un état second, elle admet avoir fessé sa fille. Un médecin légiste vient dire aux jurés que les photos de la petite révèlent «les pires maltraitances de sa carrière», alors que ces hématomes, un expert l’explique dans mon film, sont les conséquences du traumatisme crânien de Mariah, provoqué par sa chute dans l’escalier. Chute dont personne ne parle, surtout pas son avocat, alors que deux enfants en sont témoins.

Mariah serait en fait morte des suites d’un traumatisme crânien, non décelé et non pris en charge ?

C’est ma conviction. Melissa était très, très pauvre. Pour vous donner une idée, à l’époque, elle est déjà mère de douze enfants et a toujours accouché chez elle. L’hôpital n’était pas une option pour elle, ni pour ses enfants. Après la chute de Mariah, elle a remarqué des symptômes : somnolence, vomissements… Mais elle ne sait pas ce qu’est un traumatisme crânien, elle donne du Seven Up à Mariah, car c’est un remède de fortune hispanique.

Son exécution a été fixée au 27 avril prochain. Quelles sont les chances qu’elle soit graciée ?

Elle est dans les mains d’Innocence Project, à qui j’ai donné tous mes rushes. Elle a les meilleurs avocats, les meilleurs experts, le soutien de 40 évêques et de 100 prêtres évangélistes, un gouverneur qui a besoin du vote latino pour sa réélection… Je veux y croire. Parce que si quelqu’un peut être exécuté avec ce dossier-là, c’est très, très grave.

Vous êtes toujours en contact avec elle ?

Bien sûr, je vais la voir très régulièrement, on s’écrit. Elle compte les jours, elle a très peur. Elle m’a inclus dans la liste des personnes qui assisteront à son exécution. Et je serai avec elle jusqu’au bout.

Source: Lire L’Article Complet