Rechute du cancer du sein : "On vit avec une épée de Damoclès au-dessus de la tête"

  • La rechute du cancer du sein, un risque difficile à prédire
  • "Le cancer est revenu"
  • Le syndrome de la peur de la récidive, un trouble anxieux spécifique connu
  • De l’importance de l’accompagnement
  • La recherche, un espoir qui fait vivre malgré tout

Quelques jours avant un rendez-vous de contrôle avec son oncologue et alors qu’elle est en rémission depuis deux ans, Élodie, 40 ans, le sent : son cancer du sein est revenu. Un mois plus tard, les examens révéleront que son intuition était la bonne.

En France, près de 60 000 cancers du sein sont dépistés chaque année. Parmi les malades, 15 à 20% connaîtront une récidive dans les mois ou les années après le traitement initial, selon les derniers chiffres de l’Institut Curie. 

« Une épée de Damoclès au-dessus de la tête » ; « Une claque deux fois plus forte » ; « Le sort qui s’acharne » : voici comment les femmes concernées nous parlent de cette menace – qu’elles vivent actuellement, ou qu’elles craignent chaque jour. 

Valérie, 51 ans, est elle aussi en récidive. Et cette fois, la tumeur ne s’est pas installée seule. Des métastases se sont installées dans ses organes. Myriam, elle, a 53 ans. Diagnostiquée en 2019, elle lutte depuis plus de deux ans contre une menace sourde, celles des effets secondaires des traitements hormonaux, des examens incessants et de la peur. 

Toutes trois ont vécu l’incompréhension, la colère et l’angoisse. Celle de voir la récidive anéantir un peu plus leur quotidien, ou celle d’observer la rechute gagner du terrain à chaque examen. Elles nous racontent comment cet aspect de la maladie continue de rappeler aux patientes que pour certaines, « le cancer du sein, c’est pour la vie ».

La rechute du cancer du sein, un risque difficile à prédire 

« On peut parler d’une récidive lorsqu’il s’est passé un intervalle libre entre le diagnostic initial, les traitements et l’apparition d’évènements qui peuvent être observés de 6 mois à 25 ans après le diagnostic », explique le Pr Paul Cottu, oncologue à l’Institut Curie. 

La récidive peut se présenter sous forme de rechute locale, dans le sein traité (ou la paroi thoracique si le sein a été retiré), ou dans l’autre sein et/ou par l’émergence de tumeurs cancéreuses dans d’autres organes, qu’on appelle les métastases.

Le premier type de cancer du sein qui est le plus à risque de récidiver, c’est celui qui n’est pas traité correctement. 

Mais avant même de parler récidive, il y a la maladie. Et c’est lors du traitement de la première tumeur que la rechute se prévient. « Si on avait la certitude que la chirurgie réglait le problème, il n’y aurait pas de traitement. Tout ce qui la complète – chimio, radio – a pour but d’éviter ces récidives. Le premier type de cancer du sein qui est le plus à risque de récidiver, c’est celui qui n’est pas traité correctement », rappelle l’oncologue.

Et comme nous l’explique la Pre Anne Vincent-Salomon, pathologiste à l’Institut Curie, aujourd’hui, l’évaluation du risque de rechute est imparfaite

« Il y a des paramètres que l’on connaît bien, qui sont associés à un plus gros risque de rechute. Le premier, c’est la taille de la tumeur, d’où l’importance de se faire dépister. Plus la tumeur est petite, plus les traitements seront ajustés, rapides et le risque de rechute plus faible. Il y a aussi l’extension dans les ganglions sous le bras, ou encore la réponse aux traitements hormonaux ».

Dans ces cas-là, la surveillance est longue et relativement serrée dans les cinq premières années, assure la spécialiste. « Si un cancer du sein triple négatif n’a pas récidivé dans les 5 ans, le risque devient quasi nul », illustre-t-elle. 

« Le cancer est revenu » 

« On ne m’a jamais vraiment dit que j’étais en rémission, mais plutôt : ‘Vous avez terminé, on se revoit dans quelques mois pour un contrôle' », se remémore Valérie. 

En septembre 2018, on lui diagnostique un cancer du sein triple négatif. Chirurgie, chimiothérapie et radiothérapie, puis la rémission quelques mois après l’annonce. Mais alors que l’été touche à sa fin, elle s’inquiète en voyant apparaître des « boutons » au niveau de sa cicatrice. Un an après le premier diagnostic, la tumeur est toujours là. La rechute est brusque. 

« Je n’ai même pas eu le temps de stresser d’une éventuelle récidive. À peine celui de reprendre mon souffle », témoigne-t-elle. « Alors que les tumeurs cutanées et les ganglions disparaissaient, on découvre quelques mois plus tard que des métastases sont apparues sur mon foie. C’est la rechute ultime »

J’avais pressenti la rechute, je n’arrivais pas à me débarrasser de mes turbans et foulards.

C’est en 2017, à 34 ans, qu’Élodie se voit diagnostiquer un cancer du sein triple négatif. Une annonce choc, un traitement où elle marche à côté de la maladie et enfin, en février 2018, la rémission. 

« Quand on vous dit, ‘Il n’y a plus de trace du cancer’, on est content, mais il y a cette appréhension du ‘Je ne suis plus autant suivie' », partage la quarantenaire. Si elle reprend le travail et passe, tous les 6 mois, des examens de contrôle, la peur reste. « J’avais pressenti la rechute, je n’arrivais pas à me débarrasser de mes turbans et foulards ». 

Après le premier confinement, alors que la maladie n’est plus là depuis 2 ans, Élodie se réveille avec une intuition. « Le cancer est revenu », se dit-elle. Pourtant, aucun signe ne peut l’affirmer. Son oncologue ne sent rien à la palpation, mais lui conseille de faire sa mammographie de contrôle en avance « pour se rassurer ». « Le cancer était bien là, sous ma cicatrice, donc indétectable à la main. Huit jours plus tard, on m’annonce que j’ai des métastases sur le poumon », ajoute-t-elle. 

Le syndrome de la peur de la récidive, un trouble anxieux spécifique connu 

Myriam a 53 ans. Quand on lui annonce un cancer du sein hormono-dépendant en 2019, elle « encaisse le coup et continue d’avancer ». La rémission arrive rapidement. « Comme j’ai une très forte poitrine, on m’a dégagé une grosse partie de la tumeur et beaucoup de chair autour. Après 33 séances de radiothérapie, on me dit que j’en ai terminé avec la maladie ». 

Sauf que « ce n’est jamais fini. Pour Myriam, un autre parcours commence : celui qui doit empêcher la rechute de se produire. Elle est placée sous Tamoxifène, un antinéoplasique qui « bloque l’action stimulante des estrogènes sur les seins en se liant, lorsqu’ils existent, avec les récepteurs des oestrogènes », précise le Vidal.

« Je ne voulais pas le prendre. On a des effets secondaires et un risque de déclencher un cancer de l’endomètre ». Tous les deux mois, la cinquantenaire doit subir une échographie pelvienne et une recherche de marqueurs. Des examens redondants et lourds, auxquels s’ajoute un sentiment de sursis.  

Je sais que je diminue le risque, mais il n’y a pas de risque 0. Mes examens permanents me le rappellent constamment.

Si elle stoppe parfois sa prise, tant certains effets secondaires – comme les douleurs aux jambes – la font souffrir, Myriam le fait en secret. « Ma famille a une trouille monstre de la récidive et se dit que c’est mieux d’avoir mal aux jambes que de rechuter ».

Elle l’avoue, elle n’attend qu’une chose, que le médecin lui donne son aval. Mais elle sait qu’elle ne l’aura jamais. Myriam nous raconte être désormais « fataliste », mais nuance. « Si je n’avais pas peur, j’aurais arrêté mon traitement. Je continue parce que je ne veux pas prendre la responsabilité. Je sais que je diminue le risque, mais il n’y a pas de risque 0. Mes examens permanents me le rappellent constamment ». 

Cette peur que Myriam ne nomme pas porte un nom. Le syndrome de la peur de la récidive. « Il est bien identifié en psycho-oncologie et fait partie des troubles anxieux spécifiques », assure la Pre Sylvie Dolbeault, psychiatre et cheffe du Service Psycho-Oncologie et Social à l’Institut Curie. « 95% de la population qui a été confrontée à un cancer va, à un moment ou à un autre, éprouver ce genre de peur dans son parcours », poursuit-elle. 

Un mois avant de repasser un examen, je dors mal, je stresse, 15 jours avant, j’ai des douleurs qui apparaissent.

Et la spécialiste insiste. Deux pans se dégagent de cette peur : celle que la maladie revienne alors qu’on est en rémission et celle que la maladie progresse alors que la patiente a déjà une évolution métastatique de son cancer.

« Un mois avant de repasser un examen, je dors mal, je stresse, 15 jours avant, j’ai des douleurs qui apparaissent. Ce sera toujours comme ça », en témoigne Élodie. « C’est les montagnes russes. Par exemple, on m’a découvert des nodules sur le foie, je suis passée sous Trodelvy. En deux mois, ils avaient réduit de presque 50%, mais en juillet, tout était revenu », illustre Valérie. 

De l’importance de l’accompagnement 

Pour faire face à cette peur qui n’est que très peu identifiée, un parcours de soins de support est primordial.

« Ces craintes sont assez normales, parce que la maladie tumorale peut toujours revenir. Il faut différencier ce qui est normal et les troubles anxieux développés avec des symptômes (pensées récurrentes que la maladie revienne, cauchemars…) », prévient la psychiatre.

« Soit on se débrouille avec des entretiens et l’expression du caractère normal de l’angoisse, soit, si les femmes sont paralysées, on va rentrer dans un travail plus intense. Il y a beaucoup de ressources, auprès du corps médical, mais aussi sur les forums, dans les associations. Quand l’anxiété devient symptomatique, il y a une médiation corporelle à faire, notamment en passant par la relaxation, la méditation, l’auto-hypnose », insiste la Pre Dolbeault.

Ce n’est pas parce qu’on a terminé son traitement qu’on rebondit comme si rien ne s’était passé.

« J’ai fait de la sophrologie, du sport adapté et de l’art-thérapie », liste Valérie. « L’hypnose a très bien fonctionné pour moi, parce que même avec ma psy, je n’arrivais pas à parler de mon rapport à la maladie. J’ai aussi beaucoup cherché sur les forums et les réseaux. Ce soutien est salvateur, mais il faut doser. Parfois, ça casse le moral. Beaucoup de celles qui sont tombées malades en même temps que moi sont mortes aujourd’hui« , avoue Élodie.

Avec Valérie, elle fait également partie du Collectif Triplettes Roses* un groupe d’action national qui lutte pour faire connaître la maladie et faciliter l’accès à des traitements novateurs. Myriam, elle, a comblé un manque en intégrant la Ligue contre le cancer.

« Les proches sont là et on les remercie pour ça. Mais pouvoir parler librement, de manière crue de la maladie, c’est autre chose », explique-t-elle. « On peut évoquer la mort et la douleur, c’est précieux« , ajoute Valérie. 

« Parfois on se restreint dans l’évocation des peurs pour ne pas ajouter une charge sur les proches. Mais il y a aussi un problème de compréhension : ce n’est pas parce qu’on a terminé son traitement qu’on rebondit comme si rien ne s’était passé. Il faut encourager la parole en famille, mais ne pas attendre les ressources dans la famille », nuance la Pre Dolbeault.

La recherche, un espoir qui fait vivre malgré tout

Mais dans ce brouillard, l’espoir semble poindre.

« Quand j’ai récidivé, j’étais persuadée que la rentrée de septembre allait être la dernière, donc il fallait que je vive tout intensément. Au début, j’avais stoppé tous mes projets. Finalement, deux rentrées plus tard, je vois toujours mes filles grandir et j’ai décidé que la maladie ne me porterait pas« , confie Élodie. 

« Il suffit parfois d’un traitement. J’en suis au septième, mais peut être que c’est le prochain », sourit Valérie. Et pour nourrir ces espoirs, la recherche avance chaque jour.

À l’Institut Curie, on s’attèle à « intervenir au plus tôt et à personnaliser les traitements pour les ajuster à la biologie de la tumeur, à la personne dans son environnement. Et que les séquelles de traitement soient les plus discrètes possibles », nous explique la Pre Vincent-Salomon.

À l’annonce du premier cancer, mon médecin m’a dit : ‘Dis toi qu’à partir de maintenant, tu vivras avec une épée de Damoclès au-dessus de la tête’. Je n’ai compris qu’à la rechute.

« Mais ce n’est pas tout, notre expertise est pluridisciplinaire. On cherche aussi à comprendre comment on peut utiliser le système immunitaire pour éviter la rechute, ou quand elle est survenue, la traiter. Le corps entier (métabolisme dans la moelle, rate…) peut nous donner des informations. Pour l’instant, on ne l’exploite pas. À moyen terme, on aimerait aussi parvenir à détecter la rechute grâce à l’ADN tumoral circulant – en suivant sa remontée – pour changer les traitements et ne pas attendre que la rechute soit visible. Plus on arrive tôt, moins c’est grave”, martèle la pathologiste. 

« J’ai confiance en l’avancée médicale. C’est important quand on est malade, d’autant qu’on ne saisit pas tout à l’instant T. Le jour de l’annonce du premier cancer, mon médecin traitant m’a dit : ‘Dis toi qu’à partir de maintenant, tu vivras avec une épée de Damoclès au-dessus de la tête’ et ce n’est que quand j’ai récidivé que j’ai compris. Au-delà de la peur, il y a cette vision du monde qui n’est plus la même. Si on en a la force et l’envie, on peut essayer de défier cette épée. En tout cas, c’est ce que j’ai choisi de faire”, philosophe Élodie.

  • Cancer du sein : les bons gestes pour une autopalpation efficace
  • Elles ont moins de 30 ans et ont un cancer du sein

* Le Collectif des Triplettes Roses est présent sur Instagram, LinkedIn et Youtube.

Source: Lire L’Article Complet