Qu’est-ce que la motricité libre ?

Vous en avez déjà entendu parler sans savoir exactement ce que ce concept représente : la motricité libre permet de laisser bébé évoluer à son rythme, avec une intervention minimale de l’adulte, pour que son développement se déroule le plus naturellement possible. Mais concrètement, jour après jour, comment ça se passe la motricité libre à la maison ?

On peut se demander s’il est vraiment nécessaire d’expliquer le concept de la motricité libre à des jeunes parents : ne s’agit-il pas en effet de laisser son enfant libre de ses mouvements et le plus autonome possible dès son plus jeune âge ? Certes, mais ces principes ne sont en fait pas si faciles à suivre et on peut, sans forcément s’en rendre compte, intervenir de manière un peu trop appuyée dans le développement de son enfant. Dur dur de trouver un juste équilibre entre l’impression de ne rien faire et d’en faire au contraire trop.

Un peu d’histoire

Car s’il a l’air relativement simple à mettre en place, le concept de la motricité libre provient lui d’une pensée complexe, développée par la pédiatre hongroise Emmi Pikler dès les années 30. Au fil de ses expériences et observations dans sa propre famille, auprès de ses patients puis au sein de la fameuse pouponnière Loczy à Budapest, le docteur va mettre en place différents principes qu’elle vérifie au cours de ses nombreux travaux et recherches. Cette pensée piklérienne traverse les frontières et rayonne jusqu’en France quand, dans les années 70, la psychologue Geneviève Appell et la pédopsychiatre Myriam David se rendent à la pouponnière de Loczy pour des voyages d’observation et sont sidérées par le bon développement des enfants qui y sont placés.
Car à cette époque, en France, les enfants placés dans les pouponnières sont encore nombreux à souffrir de troubles du développement et de carences affectives. Elles écrivent un livre, Loczy ou le maternage insolite, puis Geneviève Appell coordonne l’Opération Pouponnière de 1977 à 1997 qui permet de revoir complètement l’accueil des enfants en pouponnière puis dans les établissements comme les crèches. C’est dans ces années-là que le concept de la motricité libre est de plus en plus adopté dans les différentes structures.

Les principes de la motricité libre

Mais sur quels principes repose exactement le concept de la motricité autonome ? “Ce qui est important de comprendre”, explique Catherine Peyrot, directrice de l’association Pikler Loczy en France, fondée en 1984, “c’est que le mouvement, pour l’enfant, c’est spontané, c’est naturel. Un bébé qui naît, il bouge : le mouvement est intrinsèque à la vie du bébé, c’est ce que l’enfant peut initier par lui-même et pour lui-même, c’est par ça qu’il va pouvoir, dès la naissance et petit à petit, développer son sentiment d’exister et son sentiment de compétence.”
On peut donc, tout petit, le laisser vivre des moments seul, sur un tapis au sol, pas loin de nous bien sûr, mais sans que nous ayons à interférer : “il a son travail de bébé à faire que l’adulte ne peut pas faire à place”, indique Catherine Peyrot. “Toutes ces expériences doivent être les siennes, s’il ne fait pas ses propres expériences motrices, il ne pourra pas se développer harmonieusement.” Cela n’empêche pas évidemment de prendre aussi votre bébé beaucoup dans les bras, de le balader en écharpe de portage, ou encore de pratiquer le co-dodo, il s’agit juste de trouver un juste équilibre et de se faire confiance aussi.

La motricité libre, mode d’emploi

On place donc bébé sur le dos lors de ses moments d’éveil pour qu’il découvre peu à peu ses mains, qu’il joue avec, qu’il attrape ensuite des objets avec : “le meilleur endroit pour un bébé c’est un plan dur au sol pour qu’il puisse sentir ses appuis, à partir du moment où il regarde ses mains, quand il sort de la période où il est complètement centré sur ses états intérieurs, quand il commence à s’intéresser à l’extérieur.”
Il va ensuite essayer de se retourner sur le côté, ce qui est déjà une mobilisation musculaire énorme, puis sur le ventre, ce qui constitue une étape fondamentale de son développement moteur. Il pourra ensuite se retourner de nouveau sur le dos, faire une roulade, se déplacer… “Les travaux de recherche d’Emmi Pikler sur plus de 700 enfants nous montrent que tous les enfants passent par les mêmes étapes si on n’intervient pas”, révèle Catherine Peyrot. “Un enfant, de toutes façons, marchera, sauf s’il y a un trouble. Il marchera à son rythme, à 9 mois ou à 24 mois : ça , ce ne sont que des différences individuelles. Mais si on veut qu’un bébé ait des mouvements harmonieux sur le plan moteur, il doit exercer toutes les étapes de son développement et ça commence par être sur le dos.”
Pour aider son enfant dans l’apprentissage puis dans la maîtrise de la marche, on essaye aussi au maximum de le laisser évoluer pieds nus à la maison, sans chaussons ni chaussures, afin qu’il puisse sentir ses appuis et mieux découvrir son équilibre.

L’importance des soins dans la motricité libre

Si on laisse de temps en temps à bébé des moments de liberté en sécurité pour lui apprendre à découvrir ses capacités et son environnement, il est également primordial de lui procurer des soins de qualité, pendant lesquels la maman ou le papa est présent à 100%. “Quand on change son bébé”, conseille la directrice de l’association, “quand on lui donne son bain, on n’est pas avec son téléphone, on n’est pas avec quelqu’un d’autre, on est vraiment là avec son bébé, dans un moment partagé où on ne lui donne pas un jouet pour qu’il ne bouge pas, mais on va faire en sorte qu’il puisse bouger s’il le veut. S’il veut se retourner, on le laisse se retourner, mais ça veut dire qu’on aménage un espace où il peut se retourner. S’il veut se mettre debout, il peut se mettre debout pendant le change, on va l’accompagner. L’enfant a sa part active dans tous les moments qui le concernent, ce n’est pas juste un objet de soin, c’est une personne qui a des choses à dire, il faut donc être attentif dès le début à ses réactions et à ses manifestations non verbales.”
Une attention fondamentale pour l’aider à se construire, et qui lui servira toute sa vie : “c’est la possibilité d’agir sur le moment et de sentir qu’il peut influencer l’adulte qui va faire qu’il prend confiance en lui, qu’il va se différencier et qu’il va sentir qu’il a un pouvoir.”

La motricité libre dans un cadre bienveillant

Cela ne signifie pas pour autant que votre enfant aura le droit de tout faire, rassurez-vous ! Dans la pensée piklérienne, c’est l’adulte qui porte bien évidemment le cadre et qui sait ce qui est important : “il s’agit d’être attentif à l’intérêt de l’enfant mais dans un cadre, dans un timing aussi, et on va aider l’enfant à accepter ce cadre, avec délicatesse, tout en étant intéressé par ce que l’enfant a envie de nous montrer et de nous dire. On donne malgré tout de la place à l’initiative de l’enfant.”

Les choses à éviter pour favoriser la motricité libre

Si Catherine Peyrot insiste sur le fait qu’il n’y a pas de règles strictes à suivre dans le cadre de la motricité libre car “il n’y a pas de recettes, il faut vraiment partir du bébé et de ses besoins”, certains comportements et objets sont cependant à éviter au maximum.
On se gardera ainsi de mettre trop de jouets autour de lui, dans son environnement proche : “c’est plus intéressant de lui laisser un espace où il n’y a pas trop de choses stimulantes parce que ses mains sont les premières choses qu’il va regarder, vers 2-3 mois. Il va les mettre à la bouche, les croiser, etc., puis faire de même avec ses pieds un peu plus tard.” Il faudra aussi veiller à choisir des jouets adaptés à son niveau de développement, soit des tissus doux et mous au début, des hochets légers, etc. Peu à peu, bébé va s’intéresser aux objets qu’on met autour de lui et il va vouloir explorer de plus en plus loin : “le plaisir de bouger va aller de paire avec le plaisir de découvrir le monde et les objets. Grâce au développement de sa motricité liée à sa maturation neurologique, il va s’intéresser aux objets qu’on met autour de lui et il va développer un intérêt, une concentration, parce que c’est lui qui va initier son activité. Ce n’est pas un objet qu’on lui secoue sur le nez, un mobile qu’on lui met autour de la tête : c’est lui qui choisit un objet et qui s’y intéresse parce qu’à ce moment précis, c’est ça qui l’intéresse.”

On évitera également de le mettre dans une position que l’enfant ne maîtrise pas encore : le papa ou la maman doit donc résister à l’envie de le mettre assis tant qu’il ne s’assoit pas tout seul, même s’ils ont l’impression de l’aider. “La posture assise exerce un appui très important sur le bas du dos, à un moment où le bas du dos n’est pas mature”, détaille la directrice. “Un enfant qu’on met assis, on le bloque : à ce moment-là, il désinvestit la plupart du temps ses jambes et devient totalement rigide. Il est complètement concentré dans une rigidité pour tenir son dos au lieu d’être dans des mouvements souples et harmonieux du corps pour construire son dos. Toute la motricité, les enchaînements des mouvements intermédiaires avant d’arriver à la position assise et à la position quatre pattes sont essentielles à la construction de la musculature du dos et à la souplesse du tronc, qui fera toute la souplesse et la richesse des mouvements ensuite.”

Les parents limiteront aussi dans la mesure du possible l’utilisation de certains articles de puériculture qui empêche l’enfant de se mouvoir comme il le voudrait. On pense ainsi au transat, si pratique, et qui peut bien sûr être utilisé, mais plutôt de manière ponctuelle et pas plus de 20 minutes. “Un bébé libre de ses mouvements ne reste pas plus d’une minute dans la même position”, explique la directrice. “Il est tout le temps en mouvement alors que dans un transat, les bébés sont coincés et l’activité motrice spontanée ne peut pas avoir lieu.”
Quant au trotteur, interdit dans certains pays comme le Canada, Catherine Peyrot s’avère plus catégorique, il est dangereux et n’accélère même pas la venue des premiers pas : “Il peut y avoir des accidents, car l’enfant n’a pas de contrôle sur cette motricité-là qui n’est pas la sienne et puis cela n’apporte rien au niveau du développement moteur, au contraire, souvent l’enfant marche ensuite sur la pointe des pieds.”

Quelle différence avec la pédagogie Montessori ?

Si Maria Montessori et Emmi Pikler ont toutes les deux participé à ce mouvement de pédagogie nouvelle, il est intéressant de savoir que la pédiatre hongroise a été l’une des seules pédagogues à s’intéresser à l’époque à la prime enfance, c’est-à-dire avant l’âge scolaire. La pédagogie Montessori était quant à elle axée au départ sur des enfants autour de l’âge scolaire.

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Pour en savoir plus :

  • Observer pour mieux comprendre: la motricité libre dans l’intérêt de l’enfant
  • L’enfant : bien dans son corps, bien dans sa tête, l’accompagner au quotidien

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