La crise du coronavirus nous oblige à changer, à viser l’essentiel. Comment repenser notre rapport au travail, à nos amis, à nous-même ? Comment définir une nouvelle façon d’être au monde ? Six personnalités s’engagent dans « Madame Figaro » pour une existence différente, plus en accord avec nos besoins fondamentaux.
Elisabeth Laville : « Privilégier la vie à la possession »
Élisabeth Laville, fondatrice du cabinet Utopies.
Overdose. «On a appris à croire que notre bonheur vient de ce qu’on possède. Que plus on accumule, plus on est heureux. Tant de travaux scientifiques ont pourtant prouvé le contraire, comme ceux du psychologue Tim Kasser pour qui, une fois nos besoins primaires satisfaits, l’accumulation d’objets abîme l’estime de soi et le lien aux autres, accroît le risque de dépression. Car on entre dans une consommation statutaire ou ostentatoire visant à se situer sur l’échelle sociale. C’est le début des problèmes car on a toujours envie d’en avoir plus que le voisin. L’accumulation apporte de la complexité, de la compétition entre le temps pour soi et celui pour la consommation. Les économistes font le même constat à l’échelle des pays quand ils mesurent le bien-être des habitants : les niveaux de consommation et de bonheur croissent d’abord ensemble. Puis le premier poursuit sa course, le second lui plafonne, stagne et régresse.»
Simplicité élégante. «Toutes les études le prouvent : une forme de simplicité volontaire est primordiale pour préserver l’environnement. Un mode de vie plus simple comme celui promu par l’activiste indien Satish Kumar, qui parle de « simplicité élégante ». Il ne s’agit pas de ne plus rien acheter ni de vivre une vie frugale, pauvre et difficile. Seulement de considérer que l’élégance, c’est d’abord de peser moins sur le monde. De privilégier la vie à la possession. D’offrir une place à l’opéra plutôt qu’un bijou. Ou de se tourner vers l’économie circulaire, en louant ou en empruntant cette perceuse qu’on utilisera une fois par an.»
Bonheur durable «Autant de moyens d’économiser les ressources naturelles, dont la plus précieuse : le temps. Moins consommer, c’est aussi mieux utiliser cette denrée rare, la mettre au service de sa vie intérieure ou de relations amicales. Rien de tout cela n’est facile mais c’est nécessaire. Selon un rapport du cabinet Carbone 4, en modifiant un peu notre attitude, on pourrait réduire l’empreinte carbone en France de 20 %, voire 45 % avec des changements plus profonds.»
Elisabeth Laville est la fondatrice du cabinet Utopies, une agence de conseil en développement durable.
Simone Zanoni : « Se nourrir moins mais mieux »
Simone Zanoni, chef du restaurant Le George.
«La simplicité a longtemps été associée à la pauvreté. Nous avons donc vu apparaître dans les années 1970-1980 une vague de luxe dans les restaurants et les hôtels, où la clientèle avait un certain âge, portait des costumes- cravates et recherchait des produits atypiques. Les codes ont changé avec l’arrivée du Net : les millionnaires ont aujourd’hui 30 ans, sont tatoués et portent des baskets fluo. En observant cette évolution, Le George V est sorti des sentiers battus en ouvrant Le George, un restaurant italien avec une cuisine simple et savoureuse à la carte, un service convivial et des serveurs sans uniforme.
En tant que chef du restaurant, je sais aujourd’hui que si je veux faire plaisir à l’un de nos clients, je l’emmène en cuisine et lui fais goûter des spaghettis aux tomates, cueillies le matin même dans notre potager à Versailles. La cuisine, comme la société, est revenue à des choses essentielles, parce que consommer des produits de saison et de qualité a un impact sur notre santé et sur l’environnement. Cette envie de simplicité implique donc un retour à la nature. Pourquoi parle-t-on de surconsommation de viande ? Parce qu’un consommateur ne relie plus le steak de son assiette à l’animal. Je dis toujours aux gens de se nourrir moins, mais mieux : mangez du poulet et du poisson une fois par semaine seulement, mais offrez-vous des filets de qualité. Le reste du temps, optez pour des légumes ou des pâtes. Au quotidien, n’achetez jamais de produits composés de plus de 5 ingrédients. En faisant ça, vous ferez du bien à votre corps, à vos économies et à la planète.»
Simone Zazoni est le chef du restaurant Le George, 31, av. George-V, 75008 Paris. legeorge.com
En vidéo, Madame Figaro en live dans les cuisines du George V :
Jeanne Siaud-Facchin : « Être dans l’ici et maintenant »
Jeanne Siaud-Facchin, psychologue clinicienne et psychothérapeute.
La théorie du culbuto. «Ce qu’on a vécu avec cette période du confinement qui nous a tellement troublés et bouleversés, c’est un peu ce qui se passe quand un culbuto arrête de bouger : on a trouvé une sorte de verticalité, parce qu’on s’est connectés, même contraints et forcés à ce dont on avait vraiment besoin. Pourquoi les enfants – je parle bien sûr de ceux qui évoluent dans une famille aimante, et qui n’étaient pas victimes de maltraitances – ont-ils été si heureux pendant cette période, comme ils nous l’ont beaucoup confié ? Parce qu’ils n’étaient pas en permanence placés dans le futur proche ou lointain, l’étape d’après.
Quelle est la phrase qu’entend le plus un enfant dans sa vie ? « Dépêche-toi ! », de t’habiller, d’aller à l’école, de goûter avant d’aller à ton cours de judo, de rentrer faire tes devoirs, de prendre ta douche, de dîner, de te coucher tôt parce que demain il y a solfège, etc. Face à cette multiplication des possibles, des activités, l’enfant, en réalité, n’est jamais entièrement présent là où il est. Or, de quoi a-t-il besoin pour grandir et s’épanouir ? D’être aimé et de se sentir en sécurité, mais aussi d’être présent à ce qui l’entoure : dans le « maintenant ». Du point de vue psychique, c’est très stabilisant et cela laisse le temps et l’espace d’imaginer, d’inventer.
Avec le confinement, les enfants se sont mis à ressortir leurs vieux jouets, à jouer avec ce qu’ils avaient sous la main, tous leurs trésors de vie. Et les parents, eux, ont redécouvert leur enfant : ce qu’il aime vraiment, ce dont il a besoin. Comme s’il avait surgi à eux-mêmes, débarrassé des particules de nos vies agitées.»
De quoi as-tu besoin ? «C’est la seule question que les parents devraient poser à leur enfant. Et cela vaut aussi pour l’école. Beaucoup d’enseignants ont été obligés de se remettre en question pendant le confinement. Comme ils ne pouvaient plus forcément dérouler tout leur programme, ils ont été obligés d’aller à l’essentiel. Et d’accompagner autrement leurs élèves. De leur demander : « De quoi as-tu besoin pour que je t’aide ? D’échanger sur Zoom ? De reprendre tel exercice ? Que je t’interroge plus souvent ? »
Cette période a posé la question des savoirs fondamentaux : parents et enseignants se sont rendu compte que les maîtriser, ou plutôt les approfondir, c’était la priorité, plutôt que de multiplier les apprentissages. Parce que prendre le temps de lire, aller à son rythme, c’est mieux comprendre ce que l’on lit, donc mieux répondre aux questions, et, du coup, avoir davantage confiance en soi. On l’a vu après le confinement : c’est fou comme les enfants avaient gagné en assurance. Ils ne tremblaient plus dans leur cœur comme tous ceux qui ont peur, en classe, que la maîtresse les interroge. Accepter les difficultés de chacun, féliciter un enfant quand il répond à une question : c’est tout simplement ça le renforcement positif des compétences. Et l’unique moteur de la motivation.»
Jeanne Siaud-Facchin est psychologue clinicienne et psychothérapeute. Elle est aussi la fondatrice des cabinets Cogito’Z, et l’auteure de Un printemps chez soi, à paraître le 9 septembre aux Éditions Odile Jacob.
Le podcast à écouter
Mercedes Erra : « La complication est une faille de la pensée »
Mercedes Erra, cofondatrice de BETC Groupe.
Madame Figaro. – Le confinement et l’avènement du télétravail, fondé sur la confiance et la responsabilité, ont-ils simplifié les liens hiérarchiques ?
Mercedes Erra. – Confinement ou pas, je pense qu’il faut redéfinir les liens hiérarchiques dans l’entreprise. Le confinement a montré que le télétravail pouvait très bien fonctionner, ce qui a rassuré tout le monde. On a vu qu’on n’avait pas besoin d’être derrière chacun pour que les choses se fassent, et que les gens étaient dignes de confiance – ça a levé des doutes. De toute façon, le télétravail peut convenir à certains et moins à d’autres, c’est cela qu’il va falloir gérer. Ce qui compte, la vraie évaluation, c’est de mesurer ce qu’une personne apporte à l’entreprise et ce qu’elle a envie d’y faire. Quand le bilan est positif, je fais confiance, sinon je ne m’en sors pas. Je préfère attendre les ruptures de confiance que de vivre dans la méfiance.
Comment avez-vous œuvré dans votre agence pour cette simplification des liens ?
Pour moi, la complication est une faille de la pensée. Quand, dans une organisation, on ne comprend pas vraiment qui fait quoi, cela va à l’encontre de l’efficacité. Et puis il y a dans la hiérarchie quelque chose qui me dérange, c’est cette sacralisation de la position du chef : on vénère par définition la personne qui est au-dessus, phénomène auquel succombent parfois aussi ceux qui sont à la tête des structures et qu’on ne peut plus approcher simplement, ou avec qui on ne peut plus avoir une parole directe et authentique. Et je trouve que ça ne construit pas un leadership fort. Un grand patron doit mériter d’être à sa place par la vision qu’il donne à l’entreprise et les décisions qu’il prend, en ligne avec celle-ci. Donc dans l’agence, c’est en effet très important qu’on ne me dise pas ce que je veux entendre – ça ne me sert à rien. L’un de mes patrons m’a dit un jour : «Ne va voir ton chef que quand tu sens que tu n’es pas d’accord avec lui.» C’est une belle règle. Et pour cela, la pensée doit être libre.
Si on résume : simplicité dans l’organisation, dans la relation, et simplicité dans les valeurs ?
Oui. La simplicité, c’est également épurer, enlever les éléments d’apparat et les faux signes d’autorité. Par exemple, quand on est chef, mieux vaut avoir un petit bureau qu’un grand. À l’agence, d’ailleurs, nous n’avons pas de bureau et partageons tous le même espace. Ça veut dire que chacun a droit à la même part de ciel. Et ça aussi, c’est important. De traiter tout le monde de la même manière, à partir du moment où il travaille. On a structuré l’agence avec le moins d’intermédiaires possibles : c’est un gain de temps. Et puis je n’ai pas envie que, parvenus aux hauts postes, les managers délèguent tout le travail aux juniors. Je ne veux pas de faux chefs payés à surveiller ceux qui font, ça ne marche pas dans notre métier. J’ai besoin de savoir qui porte le projet, et qui le porte vraiment. La règle vaut aussi pour moi : chaque matin, quand j’arrive, j’essaie d’apporter quelque chose. J’y crois.
Mercedes Erra est la cofondatrice de BETC groupe, la première agence française de publicité.
Sara Forestier : « Se réaproprier son corps et son visage »
L’actrice et réalisatrice Sara Forestier.
Éloge du vide. «Il ne s’agit pas de simplicité, mais plutôt de se réapproprier les choses, surtout son corps et son visage. Nous avons tellement intégré la société de consommation que nous en sommes venus à nous traiter nous-mêmes comme des objets de consommation. Lorsque je m’allie au mouvement no make-up en apparaissant à la télévision sans maquillage, je ne parle pas, là encore, de simplicité mais je milite pour laisser une place au vide. Dans l’univers, le vide est l’énergie la plus présente. Or, nous le sous-estimons totalement dans nos vies. Et c’est une erreur, car faire le vide psychologiquement ou physiquement laisse jaillir des choses uniques. Par exemple, quand j’ai arrêté de m’épiler les sourcils, j’ai réalisé que ce n’était pas très joli au début car le corps n’est plus habitué, mais si on laisse le temps faire les choses, les sourcils vont découvrir leur propre forme, et la beauté finit par se trouver elle-même.»
Pure beauté. «J’ai également arrêté de me teindre les cheveux, et, si la couleur était terne les premiers mois, ils ont finalement retrouvé leur éclat. La beauté se déploie comme une fleur à laquelle on aurait retiré son tuteur : elle éclôt en trouvant sa propre harmonie. C’est assez spectaculaire ! Je suis fascinée par la beauté car c’est une espèce de magie qui nous échappe. C’est très singulier et en même temps profondément vivant car sans cesse en mouvement. J’ai commencé à pratiquer une forme d’épuration en observant des femmes magnifiques et affranchies dans leur beauté comme Frida Kahlo ou Lætitia Casta. Ces modèles se sont écoutés et m’ont inspirée. Dans la vie, nous nous comportons avec notre corps comme vis-à-vis de beaucoup de choses, et, pour moi, la première violence qu’on s’inflige et la plus virulente est celle de se nier.»
Sara Forestier est actrice et réalisatrice.
Charles Pepin : « Du lien avec nous-mêmes »
«La crise que nous traversons nous permet de comprendre que l’être humain, nous, est avant tout fait de liens. De liens essentiels – le confinement nous a d’ailleurs permis d’identifier ceux qui comptaient le plus, qui nous manquaient vraiment, dont il était douloureux de se passer. De liens peut-être plus superficiels et légers – avec les commerçants, les terrasses de cafés, nos collègues – mais dont nous avons aussi besoin. Et enfin, du lien avec nous-même. C’est peut-être là la rencontre fondamentale. Pas la moins problématique. Elle demande de se confronter à soi, à sa conscience, entre quatre murs, ce qui n’est pas possible quand on « fuit dans le divertissement », comme l’écrivait Pascal, ou que, même dans la solitude du confinement, on remplit sa journée de cours de yoga, de méditation ou de cuisine sur Instagram.
Être avec soi, c’est avoir des moments où il ne se passe rien, où l’on endure l’ennui, l’angoisse. Où on est confronté à ses ratages, ses zones d’ombre. Où l’on se dit qu’on va mourir. On est sans cesse tenté par le déni, le refoulement. Paradoxalement, c’est en regardant ses peurs bien en face, en les acceptant, que l’on peut souffrir moins, et vivre mieux. C’est ce que nous dit Nietzsche : la vraie joie passe par l’acceptation de ses peurs, de ce qu’on a vécu. Et cette acceptation est libératrice. C’est aussi une chance de développer notre humanité. Être davantage avec soi permet d’être avec les autres de façon plus pleine, de les écouter sans projection. Cette qualité de présence à l’autre et à soi est l’horizon d’une vraie sagesse. Nous allons devoir trouver la joie dans l’adversité, nous dit notre époque. Accepter d’être avec soi, c’est se doter de la meilleure des armes.»
Charles Pépin est philosophe. Il est l’auteur de La Confiance en soi (Éd. Allary).
Source: Lire L’Article Complet