Présidentielle 2022 : les élections vues par les travailleuses du social

Le 6 janvier dernier, Emmanuel Macron se déplaçait au congrès de la Fédération des acteurs de la solidarité pour rappeler l’ordre des priorités, et faire amende honorable. « Ces métiers sont en crise, dit-il. Ils sont insuffisamment reconnus, avec des perspectives de carrière trop peu attractives et des conditions de travail difficiles. »

Lui emboîtant le pas, le Premier ministre Jean Castex annonçait en février l’élargissement de la prime Ségur aux travailleurs et travailleuses du social, 183 euros, et annonçait la création d’une convention collective unique pour la branche sanitaire et sociale pour « résoudre des difficultés largement établies qui structurellement freinent l’engagement des professionnels dans ce secteur, alors qu’il est le 4ème employeur privé en France et que ses besoins vont augmenter fortement sous l’effet des départs en retraite et du vieillissement de la population », affirmait-il.

Après deux ans de Covid-19, une réforme du chômage contestée et une crise économique censée se prolonger dans le temps, le travail social n’a jamais été aussi important pour la France, un pays qui se présente au monde comme celui des solidarités, du service public et qui se targue d’avoir mis en place un système du “quoi qu’il en coûte” pendant la pandémie.

Des travailleuses invisibilisées 

Depuis le Béarn et les Charentes, Violaine Trabarel et Coline Lembert, assistantes sociales respectivement dans la politique de la ville et en hôpital psychiatrique, sont membres de l’ANAS, l’association nationale des assistantes sociales qui représente les droits, les intérêts des travailleuses sur tout le territoire français.

Nous, les assistantes sociales, nous sommes partout, dans les écoles, les entreprises, à l’hôpital, les EHPAD et les crèches, mais personne ne nous voit.

Bénévoles, toutes deux ont trouvé du temps, dans un quotidien surchargé, pour répondre à nos questions. Elles sont mobilisées pour visibiliser leur travail, leur vocation et restent dubitatives face aux dernières annonces de l’exécutif. « Nous, les assistantes sociales, nous sommes partout, dans les écoles, les entreprises, à l’hôpital, les EHPAD et les crèches, mais personne ne nous voit. Du fait que nous soyons une profession de l’humain, donc peu rentable et essentiellement féminine, nous ne sommes pas reconnues à notre juste valeur et subissions un vrai manque de moyens« , déplore Violaine Trabarel.

Sa collègue renchérit : « Les annonces de Castex (sic) n’ont rassuré personne et ne sont pas satisfaisantes. Si l’on prend la prime de 183 euros, on ne sait même pas qui les recevra. Il se trouve que les contours du travail social n’ont même pas été définis, cela fait 4 ans qu’on essaie de le faire, nous sommes à cheval sur plusieurs ministères ».

Comme beaucoup de professionnelles du soin aux autres – le « care » -, les deux assistantes sociales ont eu beau chercher dans la parole politique et les promesses de campagne de choses qui les concernent, elles n’ont pu en trouver qu’à la marge, loin derrière l’immigration et un pouvoir d’achat qui ne les concerne pas, ni elles, ni les personnes dont elles s’occupent : « On a la visibilité des publics qu’on accompagne, ils ne sont pas visibles, nous non plus », explique Coline Lembert. 

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« On entend beaucoup de plaintes sur notre travail, mais aucune promesse ni aucun élément concret pour nous donner les moyens de travailler correctement, poursuit-elle. On a l’impression que ces questions là ne font pas partie du débat politique : on ne parle pas des conditions de travail des travailleurs du social ni des problématiques d’insertion, de logement, de l’accès au service public… Par contre, et on s’en félicite, on parle des défauts d’accompagnement de l’aide sociale à l’enfance et des EHPAD ». 

Le 12 mai 2021, la conseillère en économie sociale et familiale Audrey Adam, 36 ans, était tuée par balle par un octogénaire à qui elle rendait visite.

Localement, une marche blanche avait réuni un millier de personnes. Mais contrairement aux policiers ou aux soldats morts sur le champ d’honneur, aucun hommage national n’avait salué la dévotion de la travailleuse. Un silence qui a meurtri les professionnelles.

Je suis moi-même assistante de service social depuis 17 ans…17 années aux côtés de ceux que la société rejette, renie, cache… On meurt de la misère.

« Elle a été abattue et personne n’en parle, personne ne manifeste, et aucun ministre ne prend le micro. Aucun journaliste non plus. Je suis moi-même assistante de service social depuis 17 ans…17 années aux côtés de ceux que la société rejette, renie, cache… On meurt de la misère. On meurt aussi de ne pas exister, de ne pas être aussi ‘médiatiquement’ intéressant », s’était émue une auditrice en saisissant le médiateur de Radio France.

Une distance entre les travailleuses du terrain et les politiques

Un constat que partagent Violaine Trabarel et Coline Lembert et qui participe, selon elles, à accentuer la distance entre les travailleuses du terrain et les décideurs et décideuses politiques : « Cela fait 17 ans que je travaille et rien n’a évolué. Les problématiques s’aggravent avec un public qui change, de nouveaux précaires, les réfugiés qu’il faut aider. On peut entendre ces problématiques dans le débat politique mais on n’entend jamais la réalité des professionnels du terrain », s’attriste la première.

Avec un salaire moyen de 2300 euros brut par mois, des horaires à rallonge et des contrats souvent précaires, ces derniers auraient pourtant des choses à dire. « Les conditions de travail sont difficiles pour certaines collègues, certaines doivent réfléchir avant d’aller chez le dentiste d’autres auraient besoin de voir une assistante sociale, on a beaucoup de CDD, de moins en moins de CDI », souligne Coline Lembert, qui regrette que sa vocation ne puisse attirer les foules… « Le SMIC pour un bac +3, cela peut effrayer les étudiantes et les étudiants. »

Certaines collègues auraient besoin de voir une assistante sociale.

Si elles font valoir leur droit de réserve et préfèrent ne pas commenter plus avant les élections présidentielles, les deux travailleuses, comme leurs collègues, brandissent une combativité à toute épreuve : « Tout le monde sait qu’on sera toujours là, les familles que l’on rencontre ont une force impressionnante et attendent patiemment leur tour, assure Violaine Trabarel. Le jour où l’on sera enfin entendues par les politiques, ce sera aussi la victoire de nos publics« .

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