- L’Opéra de Bordeaux présente ce vendredi la première d’une création mondiale, le ballet Mythologies signé Angelin Preljocaj et Thomas Bangalter, ex-Daft Punk.
- Le jeune chef Romain Dumas, qui dirigera l’orchestre national Bordeaux-Aquitaine lors des huit représentations sur la scène bordelaise, revient sur le processus de création avec Bangalter.
- Il prévient que sa composition n’est « ni du Daft Punk, ni de l’électronique », même si « son expérience a évidemment nourri son inspiration ».
C’est une création mondiale que tout le monde de la culture attend avec impatience et fébrilité. Ce vendredi sera donnée à l’Opéra de Bordeaux la première de Mythologies, un ballet signé Angelin Preljocaj, l’un des plus grands chorégraphes français contemporains, et… Thomas Bangalter, l’un des deux fondateurs de l’ex-duo électro Daft Punk.
Cette création réunira dix danseurs du ballet de l’Opéra de Bordeaux et dix danseurs du Ballet Preljocaj, dans une approche chorégraphique de différentes mythologies antiques et contemporaines. Côté musique, il s’agit de la première création de Thomas Bangalter depuis l’arrêt de Daft Punk, en 2021. Angelin Preljocaj a pensé au Français parce qu’il avait déjà utilisé du Daft Punk dans une précédente création. Preljocaj imaginait alors « un mélange de classique et d’électronique, mais Thomas Bangalter voulait rompre avec l’électro, et il a préféré composer pour l’orchestre, avec son côté organique ».
20 Minutes a rencontré le jeune – 36 ans – compositeur et chef d’orchestre Romain Dumas, qui a accompagné Thomas Bangalter dans sa création, et qui dirigera l’orchestre national Bordeaux-Aquitaine lors des huit représentations sur la scène bordelaise.
Racontez-nous votre rencontre avec Thomas Bangalter.
La rencontre s’est faite en novembre 2020, sachant que la genèse du projet remonte à 2018. Il lui a fallu un an de composition pour une œuvre d’environ 1h30, ensuite il y a eu plusieurs mois d’échanges entre nous, et de navettes autour de sa partition. Mon rôle a été de beaucoup discuter avec lui, de reprendre ce qui n’était pas forcément adapté à un orchestre symphonique. C’est la première fois qu’il écrivait pour une telle formation, donc il fallait le nourrir du fonctionnement d’un orchestre, que ce soit au niveau technique, humain, psychologique… Tout un tas de domaines auxquels il n’était pas confronté, puisqu’il travaillait dans le domaine électronique, donc des machines. Il a écrit des choses qui étaient impossibles, mais mon défi a été d’essayer d’en garder le maximum quand même, je ne voulais pas dénaturer son geste. Puis à partir du mois de mars, Angelin est entré dans la danse, et la musique a continué d’évoluer sur son aspect formel. Enfin, depuis quinze jours, nous terminons les derniers ajustements de la partition. Nous sommes dans une dynamique de travail tendue jusqu’au spectacle.
Un spectacle pas évident à mettre en musique, en fait ?
Non, mais ça a été la richesse de ce projet. On est arrivés chacun avec des sensibilités, des intuitions et des expertises différentes, et notre propos a été d’additionner ces richesses, pour faire quelque chose de plus grand que nous. On avait du temps, et toute la maison s’y est mise : l’édition de la partition a été faite par le bibliothécaire de l’Opéra, l’orchestre a participé à un labo de test de la musique en février pour avoir une première idée de la façon dont ça sonnait.
Le secret est bien gardé autour de cette création, qu’est-ce que vous pouvez en dire ?
Cela fait vingt ans qu’il y a une culture du secret autour de Thomas Bangalter… Ce que je peux en dire, c’est que ce n’est pas du Daft Punk, ce n’est pas de l’électronique, c’est de l’acoustique. Evidemment son expérience a nourri son inspiration : en électronique, il y a pas mal de gestes répétitifs, des boucles, ce qui a irrigué son écriture orchestrale. Cela a challengé les musiciens sur certains aspects, car la rigueur de cette répétition a été difficile à obtenir.
Que connaissiez-vous de l’univers de Daft Punk avant votre rencontre avec Thomas Bangalter ?
Pas grand-chose. Je connaissais le mythe, un peu la musique, peut-être trois morceaux… Bon, après je suis allé écouter le reste quand même ! J’ai surtout adhéré à la démarche de l’accompagner dans ce qu’il voulait faire. C’était un challenge d’apporter mon expérience à ce gars qui avait une approche complètement différente de la mienne, sachant que je pourrais en tirer profit pour mon propre travail de compositeur.
A-t-il insisté sur des aspects particuliers ?
Il a été très sensible aux équilibres au sein de l’orchestre, que chaque groupe soit bien détaillé et bien mélangé à la fois, une subtile alchimie qui est très difficile à obtenir à l’Opéra de Bordeaux, parce que l’acoustique est compliquée, c’est « sec. » Il n’y a pas de liant naturel, il faut qu’on le crée nous-mêmes.
On a parfois tendance à vouloir hiérarchiser les musiques, comment avez-vous appréhendé de travailler avec un musicien issu d’un autre monde que celui du classique ?
Cela fait des années que l’on cherche des solutions pour que l’étiquette d’élitisme disparaisse du fronton de l’opéra. C’est compliqué. Ce genre de projet le permet, et d’ailleurs le public répond présent. Après, en ce qui concerne les supposées grandes ou moins grandes musiques, pour moi ce qui compte c’est le soin et l’intensité que va mettre un interprète à un geste musical. Que son inspiration soit populaire, électronique ou autre, c’est l’intensité qu’il va mettre à faire ce geste qui va forcément résonner chez les gens. La note n’a pas d’importance en fait. Après, on est plus ou moins sensible à des sons ou à d’autres.
Mythologies, d’Angelin Preljocaj et Thomas Bangalter, du 1er au 10 juillet au Grand Théâtre de Bordeaux, durée : 1h30 environ, de 8 à 60 euros. Le spectacle partira ensuite en tournée pour plus de 35 dates.
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