Pourvu que ça dure : quand le design joue la carte de la durabilité

  • A la recherche du sens perdu
  • RSE, une vertueuse contrainte ?
  • Recycler pour mieux créer
  • Raisonner “seconde main”
  • Reportage paru dans le n°531 de Marie Claire Maison

La surconsommation n’a plus la cote : il est urgent de dire stop aux dépenses frénétiques et au « toujours plus ». On doit bien ça à la planète…” Lou, 21 ans, est une étudiante représentative de sa génération : biberonnée aux enjeux écologiques, elle a grandi dans un contexte de raréfaction des ressources naturelles qui a impacté sa façon de consommer. Comme elle, nous sommes nombreux à revoir nos priorités. Objets recyclés, recyclables, de seconde main ou issus d’une production raisonnée et “ecofriendly” nous séduisent de plus en plus. “Redonner du sens à sa consommation” est une des principales motivations de 92 % des utilisateurs du site Leboncoin, dont l’audience, pourtant déjà large (29 millions de visiteurs uniques en mai 2021, selon Médiamétrie NetRatings), continue de progresser.

A la recherche du sens perdu 

Fini l’époque où l’on affirmait son statut via sa capacité à dépenser. Au XXIe siècle, ce qui compte, c’est de consommer peu mais mieux. Acheter des produits qui défendent un savoir-faire et une production de qualité, si possible locale, qui respecte l’environnement et sait choyer les salariés. Si en plus, ils utilisent des rebuts impropres à la consommation, c’est le Graal.

Redonner du sens à sa consommation

La jeune designer Marion Seignan s’est ainsi passionnée pour la caséine de lait, que les éleveurs jettent en grande quantité (près de 500 millions de litres par an), faute de pouvoir s’en servir. En travaillant avec des chimistes, elle a découvert qu’à partir de cette protéine, on pouvait créer des matériaux tantôt souples, durs, opaques ou transparents, qu’elle décline en autant d’objets intrinsèquement biodégradables. Dans le même ordre d’idées, le réseau Rejouons solidaire réinjecte en magasins des jouets usagés, auxquels des hommes et femmes touchés par la précarité ont redonné des couleurs. Succès retentissant : plus de 120 000 “vieux” jouets ont ainsi trouvé preneurs en 2020 !

RSE, une vertueuse contrainte ?

La loi impose aux sociétés cotées en bourse, employant plus de 500 personnes ou générant un chiffre d’affaires de plus de 100 millions d’euros, de fournir un“reporting” RSE (responsabilité sociétale des entreprises) qui détaille les conséquences environnementales et sociétales de leur activité, définit les risques et les politiques mises en place pour y répondre et présente les résultats avec des indicateurs clés de performances. Ces informations sont vérifiées par un organisme extérieur, et le rapport rendu public. La RSE met donc les sociétés face à leurs responsabilités. Et s’il n’y a pas de pénalités prévues pour qui ne serait pas suffisamment vertueux, en revanche, les clients sont de plus en plus attentifs aux engagements des marques qui font opportunément de la RSE un argument de communication. D’après une enquête Bpifrance de 2019, plus de 70 % des fournisseurs sont régulièrement sollicités par leurs clients sur des sujets RSE. C’est aussi un enjeu pour les employeurs. Comme l’explique Julien Gauducheau, directeur de la communication chez Gautier : “Les nouvelles générations de salariés sont attentives aux engagements de la marque en matière de durabilité.” Aux sociétés de soigner leur RSE pour attirer les meilleurs profils, difficiles à duper avec un “green washing”.

Recycler pour mieux créer

L’upcycling n’a rien de nouveau. Depuis les années 90, le designer néerlandais Piet Hein Eek a fait du “scrapwood” – technique de collage de morceaux de planches de bois de récupération – sa marque de fabrique. Mais désormais, recycler, c’est devenu un réflexe pour le monde de la déco. Maison de Vacances vient de présenter une toile tuftée confectionnée à partir de textiles en coton recyclés issus de la mode. Gan, avec sa collection Plastic Rivers, lance des tapis 100 % en PET recyclé. Algo Paint a mis au point une peinture non polluante, à partir de coquilles Saint-Jacques, un biodéchet pêché en grande quantité chaque année.

Depuis fin avril 2021, les matériaux des iconiques assises “Togo” de Ligne Roset sont recyclés dans les usines de Briord pour produire de nouvelles matières premières ou une source d’énergie. En juin 2021, Zuiver présentait “Ocean”, un siège dont la coque est fabriquée à partir de déchets plastiques récupérés dans les océans. La chaise “TipTon” de Vitra se réinvente en matériaux 100 % recyclés, issus d’ordures ménagères, tout comme Fritz Hansen revoit sa “N02”, dorénavant fabriquée avec des déchets plastiques ménagers. Au dernier Salon international du meuble de Milan, les initiatives de ce type étaient légion ! 

  • Emmaüs, écoresponsable depuis toujours
  • Design et recyclage : un duo qui fait bon ménage

Raisonner “seconde main” 

“Mon dernier achat est une bibliothèque des années 50 de l’architecte d’intérieur Pierre Cruège. Le principe d’arrêter de produire à outrance me plaît, et si, en plus, les meubles durent longtemps, c’est un gage de qualité des matériaux et de leur assemblage.” Comme Pierre, un Bordelais de 50 ans, un nombre croissant de Français s’équipe en “seconde main”. Certes, l’achat d’occasion a toujours existé via les brocantes et vide-greniers.

Emmaüs en a fait son cheval de bataille, suivi en ligne par des sites comme Selency, et le conceptstore Merci l’a orchestré dès 2017 dans son magasin parisien. Donc rien de nouveau sous le soleil ? Si : le nombre de transactions réalisées qui a considérablement augmenté, comme en témoigne le succès des Vinted et autres Leboncoin. Et surtout, c’est devenu une fierté. Anaïs Uzan a ouvert “En Second Lieu” en mai dernier, persuadée du manque sur le marché d’un “grand magasin responsable”. Son conceptstore parisien est pensé comme un appartement où tout est à vendre en seconde main : mode, jeux, vaisselle, déco, etc. “Je prends le pari de démocratiser un nouveau mode de vie”, s’enthousiasme la trentenaire, qui vise une deuxième ouverture en 2022. Révolution en marche

Les grands magasins ont bien compris ces nouveaux desiderata. À la rentrée, les Galeries Lafayette et le Printemps ont lancé des espaces dédiés au vintage et à l’économie circulaire dans leurs fiefs parisiens. Le premier installait (Re)Store sur 500 m2 et dupliquait ce modèle à Lyon dès septembre. Quant au Printemps, il inaugurait son “7e Ciel”, soit 1 300 m2 de mode et de déco responsables. Autre signe de ce mouvement : l’acquisition de meubles et objets vintage intéresse autant les professionnels que les particuliers. “Je raisonne Leboncoin avant de penser : achat neuf”, témoigne Vincent Dewas, à la tête du Domaine de Ronsard. Entre convictions et obligations légales, création et production adoptent un cercle vertueux. C’est tant mieux…

Reportage paru dans le n°531 de Marie Claire Maison

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