- Le Festival International de Géographie se tient jusqu’au 5 octobre à Saint-Dié-des-Vosges.
- Depuis la rentrée, France Culture consacre une émission hebdomadaire à la géographie.
- Pourtant, la discipline est encore mal perçue et mal aimée. Il existe plusieurs raisons à cela.
Les géographes ont rendez-vous, ce week-end, à Saint-Dié-des-Vosges. Ce n’est pas la Riviera mais c’est là qu’a lieu, chaque année, le Festival International de Géographie. Cette année, les géographes soucieux de l’exposition médiatique de leur discipline ont une raison de se réjouir. France Culture a lancé, en septembre,
une émission hebdomadaire consacrée à la géographie. Il était temps… « On a constaté, avec la directrice de France Culture, Sandrine Treiner, que sur notre chaîne, comme sur beaucoup de médias d’ailleurs, la géographie n’était pas tellement traitée comme discipline, explique Dominique Rousset qui anime et produit l’émission Nos géographies. Cette discipline méritait une place à part entière comme l’histoire et la philosophie. »
Pourtant, parmi les experts scientifiques convoqués dans les médias, et même dans le milieu de la recherche, les géographes sont souvent invisibles. « Les géographes sont moins écoutés ou consultés que les sociologues, les démographes, les philosophes ou les économistes, reconnaît Dominique Rousset. C’est dommage parce que la géographie a beaucoup à dire sur l’actualité du monde : l’alimentation, l’immigration, l’habitat… »
Qui peut me citer les quatre sous-préfectures de Charente-Maritime ?
« La géographie a la réputation d’être une discipline ennuyeuse ou ardue. Mais moi j’ai découvert une communauté de géographes, très active, notamment les cartographes. Ils ne sont ni aigris ni frustrés. Les géographes ont des choses à dire et ont envie de les dire. » Alors pourquoi personne ne veut les écouter ?
« Il n’y a pas de réponse absolue ou définitive, précise Thibaut Sardier, président de l’association de développement du Festival International de Géographie de Saint-Dié-des-Vosges. Mais il y a sans doute un malentendu sur la géographie liée aux mauvais souvenirs de son enseignement, quand on apprenait par cœur le nom des sous-préfectures et où placer des pays ou des fleuves sur une carte… »
Christian Grataloup, géographe et auteur, ancien professeur émérite à l’université Paris Diderot, voit aussi dans
l’enseignement secondaire, la source du désamour des Français pour la géographie : « Nous sommes un des seuls pays au monde à enseigner la géographie avec l’histoire. Et l’histoire mange l’essentiel de l’intérêt de l’enseignant et du public. »
Qui peut me situer la Tasmanie sur cette carte ?
A cause de cela, la géographie est au mieux, peu enseignée, et parfois mal enseignée. « La quasi-totalité – 93 % la dernière fois que j’ai vérifié – a une formation d’historien, regrette Christian Grataloup. Les lauréats du CAPES découvrent la géo en devenant prof de secondaire… D’après les programmes, histoire et géographie sont paritaires dans les heures d’enseignement mais quand il y a un ratio de 60 % et 40 %, on peut s’estimer heureux. De nombreux parents d’élèves me rapportent que leurs enfants n’ont eu aucune heure de géographie certaines années… »
Partant de là, la discipline est forcément mal connue du grand public. « Il y a encore cette image du géographe comme un tâcheron qui dessine des cartes ou un type qui fait des récits de voyage, se lamente Thibaut Sardier. Or la géographie utilise de nombreux outils d’analyses et éléments théoriques qui permettent de comprendre des situations. Les géographes, en étudiant les espaces et les territoires, arrivent à donner une compréhension qu’on ne trouve pas ailleurs. »
Qui peut me donner le point commun entre les Vosges et la Sibérie ?
Le problème viendrait peut-être de là avec les géographes : ils sont trop malins. La géographie est une discipline assez ambitieuse, explique Christian Grataloup : « Le mot existe depuis très très très longtemps, c’est un terme grec sur la description de la Terre. A l’origine il s’agit de décrire le lointain, l’au-delà de l’horizon, par des modes d’écriture particuliers, comme les cartes. La géographie a existé dès l’Antiquité dans toutes les sociétés. Le problème est que c’est quelque chose qui décrit… Tout. Les rivières, les montagnes et les plaines, mais aussi les climats, les peuples, les plantes, l’économie, la population… Tout. »
« Les gens voient la géographie comme un truc exotique alors que c’est vraiment en prise avec nos sociétés, nos vies, explique Thibaut Sardier. Par exemple, cette année, au festival, le thème est Les climats. Derrière la notion, globale, de changement climatique, au singulier, la géographie observe les conséquences territoire par territoire, et les gens qui habitent dedans, de la forêt vosgienne au permafrost russe. La géographie est au croisement des échelles, elle aborde des problèmes généraux auxquels elle donne une compréhension, territoire par territoire. »
Qui aime les géographes ?
Démographie, sociologie, économie, écologie… La géographie est ainsi un peu la mère de toutes les sciences sociales qui décrivent le monde contemporain. Il y a donc peut-être un peu de jalousie quand, par exemple, les historiens se moquent des géographes… Ça et la douleur de devoir se fader des épreuves de géo au CAPES alors que seuls les Wisigoths, l’Edit de Nantes et la Triple Alliance les intéressent. La géographie, c’est un peu la discipline qui se ramène alors que personne ne l’a invitée.
Même si ça le peine de l’admettre alors qu’il écrit lui-même des livres, Christian Grataloup voit une autre raison au désamour : « Une éditrice m’a balancé l’autre jour que « les géographes sont des gens qui ne savent pas écrire »… C’est dur mais c’est un peu vrai. En tout cas les géographes ne savent pas raconter les histoires. Les cartographes arrivent à accrocher le regard et l’intérêt du public. Mais le reste du travail géographique… Et puis, dès 1984, Pierre Bourdieu notait que les géographes ne recrutent pas parmi les meilleurs élèves de l’enseignement secondaire. Cette rentrée par exemple, alors qu’il y a eu plus de bacheliers que d’habitude, ce sont les facultés de géographie qui ont vu leurs effectifs augmenter le plus. »
Une autre histoire
Faisons le bilan. On a donc une discipline floue, mal enseignée, fourre-tout et qui ne sait pas se vendre, mais aussi riche, curieuse, facile à s’approprier… « Je n’ai pas conçu l’émission Nos géographies comme une émission de revanche, raconte Dominique Rousset. Mais c’est vrai qu’il y a une forme d’injustice à l’égard des géographes. Pourtant, depuis le lancement de cette émission, je n’ai rencontré que des gens passionnants. »
Que ce soit à Saint-Dié-des-Vosges ce week-end, ou sur France Culture chaque jeudi de 21h ou 22h, dans diverses revues ou même sur les réseaux sociaux, les géographes cherchent à faire mentir les clichés. Il est peut-être temps d’écouter leurs histoires.
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