Pourquoi les films proposés en avion sont-ils censurés ?

Scènes coupées, dialogues bipés voire effacés : pour pouvoir être diffusées en vol, une partie des œuvres mises à disposition doivent parfois être sévèrement remaniées. Explications.

En début d’année, les passagers de la compagnie Emirates ont eu la chance d’assister à la projection de la première saison de l’excellente série de Phoebe Waller-Bridge, Killing Eve. Mais expurgée des scènes de baisers lesbiens entre la tueuse à gages interprétée par Jodie Comer et sa partenaire d’un soir. Idem pour le long métrage de Greta Gerwig, Lady Bird, dont les passages ouvertement homosexuels ont eux aussi été effacés.

Un univers cinématographique parallèle

Des coupes éditoriales plus que discutables, mais dont sont coutumières les compagnies aériennes, qui proposent souvent à leurs clients des versions alternatives des longs métrages sortis en salle, comme si les films diffusés à 40.000 pieds d’altitude formaient une sorte d’univers cinématographique parallèle. Un univers baptisé dans le jargon marketing « inflight entertainment » et qui, en une vingtaine d’années, a embrassé la révolution numérique, passant de l’écran commun de vidéo-projection d’hier au mini vidéo-club volant d’aujourd’hui.

À tel point que nous passons désormais plus de 60 % de notre temps dans les airs à regarder des films. Raison pour laquelle, dans un contexte de guerre commerciale entre compagnies aériennes, certaines dépenseraient jusqu’à 20 millions de dollars par an pour rendre leur offre audiovisuelle plus attractive que celles de leurs concurrentes.

Proposer des contenus accessibles à tous dès 13 ans

« Le catalogue est constitué de classiques et des vingt à cent films du moment. En général, les compagnies piochent dans la sélection proposée par les agences de contenus », nous explique Clément Charles, PDG du distributeur de contenus Allthecontent. Surtout pour se fournir en blockbusters, en sollicitant des « content providers » comme Global Eagle ou Spafax, qui travaillent tous deux en collaboration avec la Fox, la Warner ou Disney pour le choix, le redécoupage et la traduction des films.

On enlève ce qui n’est pas toléré dans une région du monde ou par une compagnie particulière.

Si est bannie par principe toute fiction avec crash d’avion, la sélection va plus loin, dessinant les contours d’un immense espace cinématographique vierge de toute négativité – de nudité et de sexe parfois. « Grosso modo, le contenu doit convenir à tous les publics dès 13 ans, poursuit Clément Charles. Pour les blockbusters indispensables mais qui peuvent être problématiques, comme Deadpool, la compagnie reçoit des versions remontées sans scènes trop violentes ou ‘R-rated’ (drogue, sexe, grossièreté). Ensuite, on enlève ce qui n’est pas toléré dans une région du monde ou par une compagnie particulière. Plus la région ou le pays – et sa compagnie nationale – est sensible, plus la partie à exclure est grande. »

Et si l’art y perd souvent, c’est pour que l’épisode « entertainment » soit dénué de toute émotion propre à venir perturber « l’expérience de vol ». Comme ce fut le cas en 2013 lors d’un vol Denver-Baltimore de United Airlines, contraint d’être dérouté vers Chicago après le scandale de parents très mécontents que leurs enfants aient pu avoir accès au thriller Alex Cross, dont les scènes d’amour étaient, selon eux, trop explicites.

1. Lady Bird de Greta Gerwig, 2017. 2. Killing Eve de Phoebe Waller-Bridge, 2018. 3. Alex Cross de Rob Cohen, 2012.

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