La bonne question.- À peine le chemin du travail repris, la zen attitude laisse place à l’éternel stress. Deux professionnels nous expliquent pourquoi.
Le constat est sans appel : les bienfaits physiques et psychologiques acquis au cours de deux semaines passées dans le Lot semblent s’estomper progressivement pour laisser notre cerveau se faire de nouveau grignoter par les ruminations, le stress… Difficile à accepter quand on sait qu’il y a moins de quinze jours, galvanisés par la nature, le repos et le rosé, nous étions convaincu(e)s de faire perdurer cette nouvelle énergie. À y regarder de plus près, nous ne sommes d’ailleurs pas les seul(e)s à dresser ce tableau. Selon un sondage sur la thématique, mené en 2013 par l’Ifop (1), près d’un tiers des Français (29%) considèrent que les bénéfices des vacances disparaissent rapidement. Et selon un sondage Odoxa pour le Figaro, France Inter et MNH (2) de 2017, plus de la moitié des sondés (52%) déclarent être «ni plus, ni moins fatigué qu’avant les congés». Heu, pardon mais… pourquoi ?
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Des bénéfices surestimés
Quand on lui demande qui est le coupable, le professeur Michel Lejoyeux, psychiatre (3), désigne sans aucun doute l’évolution du concept de vacances. Et derrière cela, nous-même. En réalité, pour le spécialiste, si nous souffrons de perdre rapidement les bienfaits de la pause estivale, c’est bien parce que nous en attendons beaucoup trop. «Aujourd’hui, les vacances devraient être thérapeutiques, comme la nourriture ou les relations amoureuses, mais elles ne le sont aucunement, constate-t-il. On les voit comme des médicaments ou une sorte d’antibiotiques dont les effets abattraient la fatigue et le surmenage et surtout perdureraient définitivement. Mais ce sont des moments de plaisir, de repos, et non des changements de vie.»
La raison de cette exigence ? La société qui nous en demande toujours plus, selon le psychiatre. Au même titre qu’il faut exceller dans son rôle de parents, enfanter des génies, cultiver sa vie sociale et réussir professionnellement, il est devenu primordial de se renouveler en vacances. Le «fantasme de l’être nouveau», selon le Pr Lejoyeux. Un être qui pense et vit différemment quand il ne travaille pas et qui, de façon logique, devrait être radicalement changé par la période, comme vierge de tout ce qui altère son bien-être sur son lieu de travail. Là serait toute l’erreur : «Si la relation avec son travail est compliquée, ce n’est pas le mois d’août qui va y remédier. Prenons l’exemple d’une personne fatiguée par une dépression. Quand elle part en vacances, elle ne va pas mieux», illustre le spécialiste.
Rythme effréné
Pour Sébastien Hof, psychologue du travail et clinicien spécialisé, l’organisation et nos conditions de travail jouent, sans trop de surprise, un rôle indéniable dans le retour rapide de la fatigue. «L’intensification du travail est réelle. Aujourd’hui, on effectue nos tâches à fond jusqu’au départ en congés. En notre absence, le travail n’a pas attendu, s’est accumulé et au retour on redémarre sur un rythme effréné. En fait, dès que l’on revient, toutes les conditions sont réunies pour que nous retrouvions ce rythme soutenu», explique le professionnel.
Autre phénomène observé : la place de plus en plus importante qu’occupe le travail dans nos quotidiens. Résultats ? La déconnexion et la prise de recul se font tardivement ressentir une fois en congés. Et quand les bienfaits surviennent, il est souvent déjà temps de rentrer… Sans oublier que le phénomène peut aussi en pousser certains à mettre à profit les vacances «pour faire ce que l’on ne peut pas faire tout au long de l’année, sans prendre le temps de se reposer», ajoute le psychologue.
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Trois pistes pour prolonger les bienfaits
Finalement, peu importe le coupable, pourvu que le bien-être ressenti pendant les vacances perdure. En pratique, inutile de modifier drastiquement son emploi du temps ou son mode de vie, «il suffit de se demander quelles tâches comportementales effectuées en congés nous ont fait du bien, et de trouver un moyen de les continuer une fois le travail repris», indique le Pr Lejoyeux.
Le spécialiste donne ainsi trois pistes, à adapter évidemment en fonction des goûts de chacun. Bouger d’abord, se garder des plages horaires pour effectuer une activité physique, quelle qu’elle soit. Puis, conserver des moments d’intimité : «Il est indispensable de garder des sanctuaires d’activités familiales, amoureuses et amicales. On n’interrompt pas un rendez-vous professionnel pour appeler son conjoint. L’inverse est vrai aussi. Il faut simplement accepter l’idée qu’en reprenant le travail, ce temps sera moins important que durant les vacances», souligne le psychiatre. Enfin, essayer de s’octroyer de petits temps de concentration sur l’instant présent. «L’intérêt est de ne pas regarder la nature qu’une fois dans l’année au mois d’août. N’oublions pas que le vert et le bleu sont des antidépresseurs naturels, qui ne disparaîtront pas une fois le travail repris», souligne Michel Lejoyeux.
Dans certaines situations et pour faciliter son quotidien, le psychologue du travail Sébastien Hof recommande de mettre à jour sa fiche de poste, afin de lister par écrit en quoi consiste réellement ses tâches journalières. Enfin, la question de la place de son emploi dans son propre quotidien se pose. Sébastien Hof le rappelle : «Demandons-nous dans quels autres domaines nous nous sentons bien, et débloquons du temps pour mettre de la distance avec l’emploi et revenir à ce qui est essentiel pour nous».
(1) Sondage Ifop mené avec les laboratoires Upsa, sur un échantillon de 1010 personnes, représentatif de la population française âgée de 18 ans et plus.
(2) Enquête réalisée les 24 et 25 août 2017, sur un échantillon de 1005 personnes représentatives de la population française âgée de 18 ans et plus.
(3) Les 4 saisons de la bonne humeur, du Pr Michel Lejoyeux, Éditions JC Lattès, 200p., 18 €.
Cet article initialement publié en août 2017, a fait l’objet d’une mise à jour.
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