Pourquoi les animateurs télé posent-ils devant leurs bibliothèques ?

Il y a Cyril Hanouna ou Camille Combal qui nous ouvrent les portes de leurs salons pour Ce soir chez Baba (C8) ou Qui veut gagner des millions (TF1), il y a Faustine Bollaert
en plan serré pour Ça commence à la maison (France 2), il y a les invités sportifs de
Lucile Woodward dans leurs jardins pour Restez en forme (France 3). Mais surtout il y a beaucoup de bibliothèques. Alors que de nombreux invités et animateurs télé doivent, confinement oblige, intervenir depuis chez eux dans les programmes, les téléspectateurs peuvent scruter les décors.

Et, notamment lorsqu’il s’agit d’une universitaire ou d’un médecin, par exemple, de nombreux intervenants choisissent de montrer leurs bibliothèques. Aux Etats-Unis, une application d’intelligence artificielle de Google a montré une explosion des images de bibliothèques sur CNN. Un blog d’analyses des médias estime que « les images des bibliothèques montent en flèche parce que les personnes interrogées à la télévision créent ainsi une toile de fond « savante » à domicile. Les bibliothèques évoquent l’expertise, les connaissances et l’autorité scientifique et universitaire. »

Attention au classement

En Suisse, la RTS a fait une analyse similaire en observant les émissions de télévision depuis le confinement. « Que signifie ce regain d’intérêt pour un meuble qui avait quasiment disparu de notre champ visuel ?, s’interroge Valérie Droux. A l’écran, pas de mangas, best-sellers ou livres trop précieux qu’on n’ose même pas ouvrir mais beaucoup d’essais, de poches et quelques beaux livres – mais pas trop pour éviter de paraître pédant ou trop aisé. »

Pour de nombreux téléspectateurs, se montrer devant sa bibliothèque est pourtant jugé inapproprié. Si l’on va au-delà des râleries et jalousies exprimées sur les réseaux sociaux, on trouve aussi des internautes fascinés par les façons de ranger leurs livres de leurs chroniqueurs préférés, ou par l’apparition d’un livre étonnant, inattendu. « La disposition des livres a un sens, analyse l’éditorialiste Valérie Droux. Eviter le classement trop homogène – par couleur ou collections – qui donne l’impression d’une tapisserie, le trop académique qui donne de vous l’image du savant un peu déconnecté ou le trop relâché qui fait penser à un jardin abandonné. »

« La quête du salut culturel »

Dans son étude sur Les usages sociaux de la lecture,
le sociologue Gérard Mauger note « les effets de renforcement narcissique qu’exercent les livres de prédilection : « miroirs flatteurs », ils sont censés formuler exactement ce que le lecteur pensait confusément, ou plutôt ce qu’il croit qu’il voulait dire. » Montrer ses livres, c’est se montrer soi-même, croit-on. Mais sous son meilleur jour. « Comme toute pratique culturelle qui reçoit valeur et usage d’un assentiment collectif, les pratiques de lecture sont aussi des pratiques qui reçoivent une valeur distinctive : la culture littéraire reste la forme la plus achevée de la culture, « l’illettrisme », à l’inverse, est plus que jamais un stigmate », note Gérard Mauger.

S’entourer de livres à la télévision peut aussi révéler une volonté de ne pas être confondu avec le tout-venant. « La quête du salut culturel peut apparaître ainsi dans la sacralité dont est entouré l’objet livre », signale le sociologue.

Si, vous aussi, vous voulez incarner « la figure idéal-typique de la croyance littéraire, de la dévotion culturelle, de la quête du salut par la lecture » décrite par Gérard Mauger, mais que vous n’avez pas de bibliothèques devant laquelle poser pendant votre visioconférence avec vos collègues, le Library Journal vous propose de placer en arrière-plan les images des plus belles bibliothèques du monde. Pour le prochain point compta-2ème trimestre, nous vous suggérons
la bibliothèque Marucilliana de Florence, qui vaut largement le salon de Baba.

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