Pourquoi il est temps de dédramatiser les ruptures avec ses amis de longue date

  • Une amitié délaissée, mais difficile à rompre
  • Des désaccords irréconciliables
  • Fin d’une longue amitié : une rupture qui déstabilise
  • La place des vieilles amies dans l’inconscient collectif
  • Le poids des souvenirs

Par la force des souvenirs et des liens tissés, l’amitié est précieuse. Aristote en distinguait d’ailleurs trois sortes, dont la plus longue à construire étant celle dite « du bien », fondée sur le respect mutuel et l’admiration.

Mais ces amitiés ne sont pas définitives et peuvent parfois évoluer, voire trouver leur point de rupture. Perçu comme un drame, davantage lorsque la relation est ancienne, la perte d’un.e ami.e n’est pas toujours vécu comme tel par les personnes qui traversent cette étape. La preuve, peut-être, qu’il est grand temps de dédramatiser cette séparation particulière, entre celles et ceux qui se sont aimé.es des années durant. 

Une amitié délaissée, mais difficile à rompre

Voilà deux ans qu’Aurélie* a coupé les ponts avec une vieille amie rencontrée au lycée. À 25 ans, elle raconte cette période avec une certaine clarté. « En grandissant, on découvre comment on veut entretenir nos relations, comme on est en amitié« , explique-t-elle. « Je me suis rendu compte que j’avais besoin de sentir une réciprocité. »

Cette envie s’est vite heurtée à la personnalité de cette vieille connaissance. Naturellement distante et détachée, elle s’est progressivement faite rare, y compris après le bac où « elle répondait de façon épisodique jusqu’à ne plus du tout donner signe de vie ».

Ce comportement de fantôme a vite eu raison d’Aurélie qui, à la suite d’une soirée organisée pour son anniversaire, a expliqué à celle qu’elle connaissait depuis presque neuf ans qu’un décalage s’était installé entre elles. « Elle m’a dit que ça lui a fait de la peine d’entendre ça et que notre amitié s’effritait », se souvient Aurélie, qui espérait alors voir un message apparaître sur son écran les semaines suivantes. En vain.

Elle faisait alors le premier pas, recevait des nouvelles quelques jours plus tard non sans effectuer de relance, et voyait bien cette amie revenir dans sa région, le sud-ouest, sans l’en informer. Leur relation est restée instable jusqu’à la décision prise par Aurélie de ne plus se manifester. « Je ne lui ai plus envoyé de message et elle ne m’en a pas renvoyé« , résume-t-elle.

Difficile alors pour la Parisienne de 25 ans d’imaginer renouer avec cette ancienne amitié. « Elle est terminée, ou alors elle est peut-être en pause, mais pour moi c’est fini, car elle a loupé beaucoup de choses dans ma vie depuis« , affirme Aurélie.

Des désaccords irréconciliables

Chloé, aussi, ne reviendra pas sur sa décision. C’est au bout de quatre ans de relation amicale, avec une fille rencontrée également au lycée, que la rupture est devenue inévitable. En cause : une histoire d’amour illégitime.

« Elle s’est mise en couple avec un garçon très sympathique et on est devenues aussi amies avec son copain », raconte-t-elle, en évoquant également leurs amies en commun. Au bout d’un an, ils se séparent et Chloé fait tout son possible pour être présente pour son amie.

Celle-ci rencontre alors quelqu’un sur son lieu de travail, qu’elle fréquente brièvement, avant de vouloir retrouver son ancien partenaire. « Elle s’est remise avec lui et avec d’autres amies nous nous sommes dit que tout était rentré dans l’ordre », développe Chloé. Pas vraiment.

Chloé apprend plus tard que son amie a retrouvé l’homme qu’elle fréquentait sur son lieu de travail. « Je lui ai dit que je n’étais pas d’accord avec ça et d’avoir ce genre d’information alors que je voyais régulièrement son compagnon », avance-t-elle.

La situation évoluant toujours de la même manière, Chloé a préféré couper court « comme une lâche », en évitant du mieux possible celle qu’elle voyait très régulièrement depuis quatre ans. Elle la recontacte finalement et explique ne pas supporter sa position. « Je ne voyais pas comment continuer ce genre d’amitié avec quelqu’un que je ne trouve pas honnête« , avance-t-elle.

La conversation s’envenime. « Elle s’est énervée et m’a dit que je n’avais pas à lui dire quoi faire de sa vie et j’étais d’accord, mais elle me racontait tous les détails de sa vie sexuelle avec l’homme avec qui elle trompait son compagnon à qui je faisais régulièrement la bise », résume-t-elle.

La fin de cette amitié s’est donc présentée comme une évidence pour Chloé.

Fin d’une longue amitié : une rupture qui déstabilise

Si une rupture amicale semble être parfois la meilleure décision à prendre, elle n’en reste pas moins une expérience parfois difficile, notamment quand l’amitié a duré plusieurs année. « Ça a été dur d’admettre que c’était fini », confie Aurélie. « J’avais l’impression qu’il y avait une forme de déni, et cela a aussi été dur car c’est moi qui aie engagé la chose et posé mes limites et je n’ai pas l’habitude de passer pour la méchante », ajoute-t-elle.

Ce reflet est un réflexe naturel en pareille situation. Lorsqu’une amitié nous glisse entre les doigts, notre estime et notre identité s’en trouvent blessées. « On en tire une conclusion défavorable envers soi-même en se disant ‘s’il ou elle ne s’intéresse plus à moi, je n’ai pas valeur, je ne suis pas intéressant, j’ai fait quelque chose qui ne va pas’ », analyse Saverio Tomasella, psychanalyste et auteur de Ces amitiés qui nous transforment (ed. Eyrolles).

La fin d’une amitié réveille généralement le sentiment d’abandon et, dans certains cas, a aussi à voir avec la vanité, l’orgueil ou la fierté. « Une relation qui se finit nous pique au vif par rapport à l’idée qu’on avait de notre importance, de nous croire irremplaçable », ajoute notre expert.

D’autant plus lorsque les années passent et que la relation est bien installée. La rupture paraît alors dramatique.

La place des vieilles amies dans l’inconscient collectif

Construite, par définition, au fil du temps, une amitié de longue date pèse davantage pour les souvenirs qu’elle rassemble.

« Je me suis rendu compte que c’était important de cultiver ses amitiés, notamment les plus vieilles, car elles sont précieuses et car on a des souvenirs ensemble et je trouve ça super beau de grandir avec des gens que l’on connaît depuis très longtemps », déclare Aurélie.

Toutefois, les liens amicaux ne résistent pas toujours au temps et il est bien difficile aujourd’hui de concevoir un tel scénario.

En fait, c’est même culturel. « Le deuil d’amitié est passé sous silence, car le seul deuil valable est celui de l’amour ou de la mort », développe Saverio Tomasella. « Mais il y a quelque chose dans notre culture de très conventionnel qui pousserait à croire qu’une amitié durerait toujours, que si on est amis depuis l’enfance on le restera toujours, mais pourquoi serait-ce ainsi ?« , s’interroge le psychanalyste.

Aurélie imaginait réellement que sa relation amicale durerait plus longtemps. « Je me voyais avoir beaucoup plus de souvenirs. J’ai encore des amies du lycée, donc pourquoi pas elle ? », s’interroge-t-elle.

Le poids des souvenirs

À ce que la mémoire aurait pu enregistrer de nouveau s’ajoute ce qu’elle retient déjà depuis les premiers instants.

À vrai dire, le souvenir est un sentiment immensément puissant. « Quand on perd quelqu’un, au moment où on prend conscience que c’est fini, cela réactive notre mémoire de la relation et tous les bons souvenirs qu’on a vécu avec cette personne, donc ça nous met dans un sentiment de perte », analyse Saverio Tomasella.

Toutefois, ce patrimoine émotionnel ne fait parfois plus le poids. Chloé affirme qu’elle aurait réagi de la même manière avec une personne qu’elle connaissait depuis peu, et la durée de leur amitié ne lui « a pas donné plus envie de la sauver ».

Chloé n’en a pas pleuré et affirme être « vite » passée à autre chose grâce à un groupe d’amis qu’elle voyait régulièrement. « Elle me manquait un peu, je me disais juste ‘c’est dommage’. Je l’ai aussi revue à quelques occasions et ça ne m’a pas bouleversée, je me suis juste rappelé qu’elle avait déconné », confie-t-elle.

Perdre une amitié de longue date n’a pas non plus été un drame pour Aurélie, qui est plutôt déstabilisée par le sentiment laissé par son ancienne amie. « Je sais que mes autres amis n’ont pas de contact, donc personne ne peut me donner des nouvelles d’elle, donc c’est très bizarre. Parfois, j’ai l’impression que c’est comme si elle était morte« , raconte-t-elle.

Si Aurélie affirme ne pas être hantée par la personne avec qui elle a partagé plusieurs années de sa vie, elle repense de temps à autre à ce qu’il s’est passé entre elles. Les deux femmes se suivent encore mutuellement sur les réseaux sociaux, mais Aurélie est la seule qui reste active. « Elle poste très rarement, mais je regarde, car je suis curieuse et que je n’ai pas de nouvelle », explique-t-elle.

« J’en encore des cadeaux qu’elle m’a offerts. D’une manière ou d’une autre, elle est quelque part dans ma vie. Mais, lorsque j’y repense, je me dis qu’on aurait pu faire mieux ».

*Le prénom a été modifié.

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