Plus de femmes dans les fonds d’investissement : la meilleure façon de soutenir les entrepreneures

Le milieu ultramasculin des fonds d’investissement se féminise lentement. Plus de mixité, donc davantage de financements pour l’entrepreneuriat féminin ? On y croit !

«Vous n’avez pas un associé ?» ; «vous comptez avoir des enfants ?» ; «une vie de famille, c’est compatible avec l’entrepreneuriat ?» ou encore : «revenez quand vous ne serez plus enceinte». Voilà ce qu’entendent encore aujourd’hui les femmes entrepreneures quand elles se lancent dans une levée de fonds et défendent leur dossier. Certaines sont pourtant des créatrices chevronnées, comme Céline Lazorthes, qui a créé le site de cagnotte en ligne Leetchi. «Quand on se rend à un rendez-vous devant des investisseurs potentiels avec un homme, on sent aussitôt l’assemblée rassurée. C’est à lui que l’on pose les questions, même si c’est vous qui avez « pitché ». Là, il s’agit (enfin) de potentiel de gains, de scalability (modèle de croissance rapide, NDLR), de vision stratégique et d’ambition. Quand on nous parle, à nous, de pertes financières, d’évaluation du risque, etc.»

Zéro paranoïa dans cette affaire : les chiffres viennent malheureusement étayer les témoignages. En France, les start-up menées par des femmes ont ainsi 30 % de chances en moins de lever des fonds que celles conduites par des hommes, selon une étude SISTA/BCG de 2019. Seulement 2 % des fonds sont levés par des start-up féminines, contre 9 % par des structures à gouvernance mixte, et 89 % par des start-up masculines. Voilà pour le tableau d’ensemble.

Mercedes Erra, Présidente Executive : Havas Worldwide, participe à la campagne Sista, contre le sexisme dans la levée de fonds

En 2019, huit femmes en colère – Céline Lazorthes, Tatiana Jama, Valentine de Lasteyrie, Nathalie Balla, Mercedes Erra, Anne Lalou, Françoise Mercadal-Delasalles, Stéphane Pallez, toutes fondatrices et patronnes d’entreprises françaises de premier plan – ont décidé, on s’en souvient, de jeter un pavé dans la mare. Et de rédiger une charte qu’elles ont dénommée SISTA, avec un objectif ambitieux : en 2025, que 25 % de start-up financées soient fondées par des femmes, que celles-ci représentent 18 % des investisseurs (contre 9 % aujourd’hui) et, last but not least, que les fonds d’investissement comptent 30 % de femmes partners et des équipes à 50 % féminines. Plus de cinquante fonds l’ont signée. Ce n’est jamais mauvais pour l’image. Reste à dépasser l’effet d’annonce pour avancer des résultats concrets. Pas simple, dans un milieu à plus de 90 % masculin.

Le piège de l’entre-soi

Marie-Christine Levet, cofondatrice d’Educapital, fonds d’investissement spécialisé dans les projets liés à l’éducation et dirigé (c’est le seul) par une équipe féminine de partners, veut y croire, même si elle est consciente du chemin qui reste à parcourir. «Le secteur des fonds est essentiellement composé d’hommes qui sortent des mêmes écoles, explique-t-elle. Ce n’est pas sans conséquences sur la sélection des projets. Investir reste un risque. Les hommes, plus sûrs d’eux, sont privilégiés par rapport aux femmes, souvent plus mesurées dans leur approche. Promouvoir la mixité permet de changer de regard.» Et de lutter, donc, contre les biais inconscients. «À projet, CV et pitch égaux, les études démontrent que les investisseur(e)s préfèrent les dossiers portés par des hommes, explique Valentine de Lasteyrie, partner et investment director chez Fiblac et cofondatrice du collectif SISTA. Ils remettent plus souvent en cause l’expérience technique des femmes. Et préfèrent même les voix masculines. Tout cela a une incidence sur les montants levés.»

En vidéo, Éducapital : le pitch de Marie-Christine Levet

Ouvrir le spectre

Pourtant, les lignes bougent. Et des initiatives sortent du lot. Chez Raise, société d’investissement et de fonds de dotation créée par Clara Gaymard et Gonzague de Blignières, la parité est totale à tous les niveaux. «Cette intelligence collective, qui provoque la discussion, est la meilleure façon de faire les bons choix», insiste Clara Gaymard. Chez Raise, les entreprises fondées ou cofondées par des femmes représentent 20 % du portefeuille des entreprises soutenues – parmi lesquelles Respire, ligne de déodorants naturels en plein boom, et portée par Justine Hutteau -, un score largement au-dessus de la moyenne.

Chez Investir & +, on privilégie aussi la diversité des profils. «Nous investissons dans des entreprises à fort impact social et environnemental. Depuis le début, la question de la mixité fait partie des critères étudiés dans les dossiers qui nous sont proposés. Ainsi, 40 % des entreprises que nous finançons ont été fondées par des femmes, l’objectif étant d’atteindre les 50 %», détaille Vincent Fauvet, président exécutif.

Marlène Schiappa, la Secrétaire d’État chargée de l’Égalité femmes-hommes, participe à la campagne Sista.

Selon lui, le progrès passera par l’exemplarité. Le mot revient aussi chez Xavier Lazarus, cofondateur d’Elaia, fonds de capital-risque axé sur l’investissement numérique. Sur les sept associés du fonds, trois sont des femmes, elles constituent par ailleurs 60 % de l’équipe. L’idée ? Éviter la «communauté de pensée». Retenir un dossier est toujours une décision complexe, qui présente un fort niveau de risque. Des points de vue variés sont le meilleur moyen de ne pas aller dans le mur», explique Xavier Lazarus. Dans un secteur où il est de bon ton d’avancer qu’il y a peu de femmes parce que peu de candidates, Xavier Lazarus affirme, lui, être approché par un grand nombre de créatrices hyperdouées, même si pour l’instant, le portefeuille d’Elaia ne dépasse pas 10 % d’entreprises créées par des femmes.

Work in progress

Ce chiffre s’explique : en France, seuls 40 % des entrepreneurs sont des femmes. Un score qui tombe à 13 % dans la tech. En cause : la formation des filles, qui ne représentent que 28 % des effectifs des écoles d’ingénieurs, alors qu’elles sont 47 % à faire le choix d’une terminale scientifique. In fine, c’est toute la chaîne de valeur de la création d’entreprise qui est impactée. «Les femmes entreprennent moins que les hommes, mais elles investissent moins qu’eux également, déplore Stéphanie Hospital, fondatrice et CEO de OneRagtime. Chez nous, par exemple, elles ne représentent que 5 % des investisseurs. Plus il y aura de femmes actives sur ce terrain, plus les vocations féminines s’éveilleront.»

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Seuls 5% des fonds sont levés par des femmes entrepreneures.

Les fonds d’investissement seraient-ils en train de découvrir que les femmes sont capables de créer de la richesse ? Chez Raise, on en est persuadé. «Il y a une (r)évolution des mentalités, s’enthousiasme Pierre Berion, partner du fonds. Il faut s’appuyer sur ces changements, militer pour plus de parité, et le milieu va changer !» Fanny Picard, associée fondatrice d’Alter Equity, fonds de capital-développement engagé en faveur d’une économie responsable, partage cette intuition : «Je rencontre des jeunes femmes qui me parlent de l’importance des rôles modèles, précise-t-elle. Cela les aide à se projeter dans des parcours professionnels de haut niveau, à se débarrasser des interdictions implicites qui pèsent sur elles.» Si Xavier Lazarus constate pour sa part que les dirigeants de fonds appartiennent encore à un «vieux monde», il est convaincu que la situation va bouger sous l’impulsion des nouvelles générations. «Dans vingt ans, ceux qui dirigeront seront porteurs de valeurs de mixité, et notre profession sortira des schémas masculins actuels.» Il est optimiste. Et s’il avait raison ?

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