Phobie du téléphone : quand décrocher devient un calvaire

“Quand je suis obligée de le faire, il faut que je me fixe une date et un moment dans la journée. Les jours qui précèdent, j’y pense souvent. Et à chaque fois que ça me traverse l’esprit, j’ai une boule au ventre. C’est l’angoisse. Quand je dois enfin me lancer, mon coeur bat à toute vitesse.” Ce dont parle ici Astrid, responsable marketing, ce n’est ni d’un rendez-vous chez le médecin, ni d’un entretien annuel avec l’un de ses supérieurs.

Non, la jeune femme de 35 ans nous explique ici comment elle se prépare… à passer un coup de fil.

La phobie du téléphone, un “truc” de jeunes ?

Victime de phobie téléphonique ou de “téléphonophobie”, Astrid, comme beaucoup d’autres personnes, ressent une peur panique à l’idée même de passer ou de recevoir un appel. Un phénomène peu décrypté par les experts mais qui toucherait particulièrement la fameuse génération des millenials et des Gen-Z.

Biberonnés aux formes de communication alternatives made in Internet, les moins de 35 ans verraient dans l’appel téléphonique une forme d’intrusion, qu’ils subissent quand ils en reçoivent ou qu’ils imposent quand ils en émettent.

“Il y a un million de choses que je préfère faire plutôt que de téléphoner. Ces appels sont juste bons à bouffer mon temps et mon énergie”, déclare Michelle sur le site The Mighty. “Sérieusement, ne m’appelez pas à moins que ça ne soit une urgence. Je préfère envoyer des messages écrits : ça me laisse le temps de gérer l’info reçue et de répondre sans pression”, renchérit Cassandra dans le même article.

En effet, à l’inverse du téléphone, les messages échangés par mail, SMS, Whatsapp ou Facebook permettent un asynchronisme des échanges, à savoir la possibilité de répondre à une sollicitation quand on en a la possibilité ou l’envie.

“Les mails, les textos, mais aussi la possibilité de prendre des rendez-vous en ligne : ça a changé ma vie ! Ça me fait gagner en sérénité !”, ajoute Astrid, qui ne cache que cette peur irrationnelle handicape sérieusement sa vie personnelle. “Je perds un temps fou ! Je pourrai être tellement plus réactive ! Au téléphone, mes propos peuvent être parfois incompréhensible tant le stress me paralyse”, raconte-t-elle. Professionnellement par contre, sa peur est moindre. Ce qui n’est pas le cas de tout le monde. 

“Aujourd’hui, c’est la mode pour les recruteurs de vous appeler sans prévenir et de vous poser quelques questions l’air de rien pour voir si vous méritez un entretien, autant vous dire que je n’en décroche jamais », plaisante Sandra, 32 ans. “Au téléphone, avec un inconnu, je suis tout juste incapable de faire une phrase correctement et encore moins de me « vendre”. Alors que si j’ai l’occasion de me préparer, chez moi, au calme et de rencontrer la personne en face à face, c’est nettement plus jouable.”

Communication non-verbale et confiance en soi

Et pour cause, au téléphone, il est difficile de lire entre les lignes, de savoir ce que son interlocuteur pense réellement et par extension de jouer, à notre avantage, avec ses réactions.

“Pour une personne anxieuse, chaque silence, chaque pause peut être vécue comme quelque chose de négatif au téléphone”, explique Alison Papadakis, professeur de psychologie à la Johns Hopkins University, sur le site The Cut. Les expressions du visage, les sourires ou les grimaces, la posture, la gestuelle : tous ces éléments de communication non-verbale sont ici évincés et contribuent à vider l’interaction de sa substance, tout en l’inscrivant dans un cadre temporel pressurisant.

Au téléphone, en effet, il est impossible de réfléchir si ce n’est deux minutes à ce que l’on va dire ou à la manière dont on va le dire. On peut alors rapidement se sentir jugé, au centre d’une attention qu’on a certainement pas demandé et se trouver paralysé, incapable de toute improvisation. 

Quand je voyais le numéro de quelqu’un du bureau s’afficher sur mon téléphone, c’est simple, mon coeur s’arrêtait. Je me disais que j’avais forcément fait une bourde

D’autres spécialistes, comme la psychologue Maria Hejnar interrogée par France Info, voient dans la phobie de décrocher le téléphone, la peur de recevoir une mauvaise nouvelle, comme un accident ou la mort d’un proche, ou tout simple la crainte de se faire remonter les bretelles pour quelconque raison. “Quand je voyais le numéro de quelqu’un du bureau s’afficher sur mon téléphone, c’est simple, mon coeur s’arrêtait. Je me disais que j’avais forcément fait une bourde et que j’allais me faire sérieusement réprimander, ou pire, me faire virer !”, se souvient Sandra, tout en concédant que cela n’est strictement jamais arrivé.

Pour Astrid, le principal coupable est sa timidité. “J’ai toujours été comme ça. Ça s’estompe en face à face, mais pas au téléphone malheureusement.” La peur d’appeler peut aussi s’expliquer par une crainte d’importuner son interlocuteur, dans une société où le temps vaut son pesant d’or. “Les gens aujourd’hui s’inquiètent : “Est-ce que je vais le déranger ? Est-ce que je ne vais pas être une forme de nuisance pour lui ? Est-ce qu’il va m’en vouloir ?”, explique Jeremy Jamieson, psychologue-chercheur à l’Université de Rochester, dans un article du New York Magazine.

De l’art de créer sa personnalité téléphonique 

Si la peur du téléphone est encore si difficile à cerner, c’est que “chaque individu présente sa propre phobie et son propre rapport de peur à l’objet”, prévient Veronica Olivieri, psychologue basée à Paris. “Elle peut faire l’objet d’une psychothérapie, à condition que le sujet en soit conscient et désire réellement s’en libérer”, souligne-t-elle.

Sur Psychology Today, on conseille aux allergiques du combiné de se forcer à téléphoner, de s’entraîner, encore et encore, afin de démystifier leur peur des communications téléphoniques et de prendre conscience, par-eux mêmes, qu’il peuvent tout à fait y survivre sans que leur monde ne s’écroule.

“Je déteste passer des coups de fil, du coup je joue le rôle d’une autre personne quand je téléphone. Je passe en mode actrice et j’adopte comme une autre personnalité, la version “téléphone” de moi-même”, avoue en riant Daisy sur The Mighty.

Quant à Astrid, elle a trouvé sa parade : préparer ses répliques, du “Bonjour” aux réponses aux éventuelles questions. De véritables rôles de composition à chaque appel.

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