- L’ADN n’est pas une boule de cristal
- Cancer du sein héréditaire : prédire autorise une meilleure prévention
- Mammorisk, un nouvel outil de prédiction des risques
- La prédiction a des limites
- Tests génétiques sur Internet : un business florissant
- Offrir ses données génétiques en pâture n‘est pas anodin
Les techniques actuelles de séquençage du génome à haut débit, capables de décrypter rapidement l’ADN qui se trouve à l’intérieur de nos 70 000 milliards de cellules, ouvrent la voie à une médecine prédictive sur mesure. Elles permettent de révéler si certains de nos gènes sont porteurs de mutations susceptibles d’induire des maladies graves.
Mais encore faut-il être capable de bien interpréter les résultats car qui dit facteur de risque ne dit pas forcément survenue de la maladie. Et pour que ces données soient utiles, il faut qu’une stratégie de prévention ou de traitement anticipé puisse être mise en place. En France, ces examens génétiques sont strictement encadrés, mais ce n’est pas le cas dans tous les pays où l’ADN est devenu un business juteux… à l’éthique parfois discutable.
L’ADN n’est pas une boule de cristal
« Plus de 8000 maladies dues à une anomalie sur un gène ont déjà été identifiées », précise le Pr Pascal Pujol, président de la Société Française de Médecine Prédictive et Personnalisée (SFMPP) et auteur de Voulez-vous savoir ce que nos gènes disent de notre santé* (éd. Humen Sciences).
Mais rares sont celles où la présence de cette anomalie conduit à coup sûr au développement de la pathologie. C’est le cas de la Chorée de Huntington, qui provoque une dégénérescence neurologique à partir de 30 ans, voire même parfois bien plus tôt et pour laquelle on ne dispose encore d’aucun traitement. Dans les familles à risque, un dépistage prénatal est proposé car hériter d’une seule copie du gène défaillant est suffisant pour que l’affection se déclare inéluctablement.
Toutefois, dans la majorité des cas, les gènes ne font pas tout. Plusieurs gènes interfèrent, ainsi que l’environnement dans lequel on vit, l’état de la flore intestinale, etc… Porter un gène prédictif de ces maladies correspond juste à un surplus de risque par rapport à la population générale. Le diabète, certains cancers fréquents, les maladies auto-immunes sont ainsi des maladies dites multi-factorielles.
Cancer du sein héréditaire : prédire autorise une meilleure prévention
Lorsque plusieurs membres d’une même famille développent un cancer du sein jeune, la génétique peut être en cause. Certaines mutations des gènes BRCA1 ou BRCA2, qui contribuent théoriquement à réparer l’ADN endommagé, sont alors suspectées. Les femmes concernées peuvent bénéficier de tests génétiques, via une consultation d’oncogénétique.
Savoir qu’on est porteuse de ces gènes altérés n’est pas inutile puisque des mesures de prévention efficaces peuvent être mises en place. En 2013, l’actrice Angelina Jolie avait choisi de subir une double mastectomie à but préventif, suivie deux ans plus tard d’un retrait des ovaires et des trompes de Fallope pour éviter l’apparition de futurs cancers.
Heureusement, d’autres alternatives existent, car toutes les patientes dotées de ces gènes ne déclareront pas obligatoirement un cancer. « Le gène BRCA1 donne un risque de 70% de développer un cancer du sein et de 30% un cancer de l’ovaire », explique le Pr Pujol.
Un programme personnalisé de dépistage peut donc être mis en place pour le cancer du sein, avec un suivi rapproché tous les ans – ou tous les 6 mois si nécessaire -, dès l’âge de 30 ans. Quant aux ovaires, une chirurgie préventive peut être une bonne option une fois les projets de grossesse réalisés, dans la mesure où le dépistage des cancers ovariens s’avère plus difficile.
Mammorisk, un nouvel outil de prédiction des risques
Mis au point par la société Predilife, issue de l’Institut Gustave Roussy, le logiciel Mammorisk évalue dès 40 ans le risque individuel de cancer du sein à partir de données cliniques, d’imageries médicales et de génétique. Selon le score de risque obtenu, le médecin établit un calendrier de dépistage spécifique, avec le type d’examens nécessaires et leur fréquence sur 5 ans.
Ce test de prédiction innovant, proposé à l’Institut du sein de Paris, l’Institut Santa Maria de Nice et à l’hôpital américain de Neuilly/Seine, est particulièrement intéressant pour les femmes de moins de 50 ans pour lesquels une mammographie n’est pas prévue tous les 2 ans dans le cadre du programme national de dépistage organisé du cancer du sein. Il permet aussi d’adopter un mode de vie préventif (contrôler son poids, arrêter le tabac, se remettre au sport…) car on sait que ces facteurs réduisent considérablement la probabilité de cancer, surtout chez les femmes qui présentent un risque génétique élevé.
De même dépister à la naissance un déficit en MCAD, maladie héréditaire qui vient d’être ajoutée aux cinq autres pathologies systématiquement recherchées chez les nouveau-nés, permet de réaliser une prévention active. Pour cette pathologie caractérisée par une incapacité à métaboliser les acides gras à courte chaîne, un régime alimentaire adapté permet d’éviter les complications (troubles du développement ou mort subite du nourrisson).
La prédiction a des limites
Dans de nombreux cas, la prévision ne sert à rien… hormis à angoisser la personne qui redoute l’épée de Damoclès identifiée au-dessus de sa tête. À quoi bon savoir en effet qu’on est porteur d’une susceptibilité accrue à une maladie si on ne dispose d’aucun levier d’action pour réduire son risque et d’aucun traitement susceptible de lui barrer la route ?
Et à quoi bon se faire du souci pour un risque qui ne deviendra probablement jamais réalité. Certains gènes de prédisposition sont peu spécifiques ou restent silencieux toute la vie.
Un variant génétique se retrouve par exemple chez 80% des patients atteints de maladie cœliaque, une pathologie de l’intestin déclenchée par l’ingestion de gluten. Certes, mais ce variant existe aussi chez nombre de personnes qui ne souffrent pas de cette maladie. Une nuance importante dont les tests commerciaux de prédiction génétique ne se soucient guère.
Tests génétiques sur Internet : un business florissant
En France, les tests génétiques ne peuvent être réalisés que dans un cadre assez strict, soit sous prescription médicale ou à la demande de la justice, par des laboratoires agréés. Mais dans d’autres pays, comme aux Etats-Unis, au Royaume-Uni ou encore au Brésil, ils sont en accès libre.
De nombreuses sociétés ont investi ce marché très lucratif. Près de 100 millions de personnes dans le monde y auraient déjà eu recours, selon la MIT Technology Review. Bien que cela soit strictement interdit dans l’Hexagone (3750 € d’amende), plus de 100 000 Français en auraient acheté sur Internet.
On trouve de tout sur le web : test visant à déterminer l’origine géographique de ses ancêtres, test de prédisposition à différents cancers, à la maladie d’Alzheimer, au diabète… Il suffit de prélever quelques cellules dans sa bouche à l’aide d’un écouvillon reçu par la poste et d’envoyer ce prélèvement au laboratoire pour recevoir quelques jours plus tard ses résultats.
« Tous ces tests ne sont pas fiables, estime le Pr Pujol et ils ne proposent aucun accompagnement médical, ce qui est vraiment regrettable. »
Offrir ses données génétiques en pâture n‘est pas anodin
Les tests génétiques commerciaux – dits « tests récréatifs » – présentent un autre écueil : le client remet l’intégralité des informations contenues dans son génome à une société privée étrangère. En Europe, les données génétiques sont considérées comme personnelles et protégées par le Règlement général de protection des données (RGPD), mais pas outre-Atlantique. Les entreprises à qui vous les avez cédées – le contrat le stipule généralement en tout petits caractères – en font multiples usages, comme les revendre à des industriels de la pharmacie par exemple.
Ces données peuvent aussi être piratées, comme cela fut le cas de millions de comptes utilisateurs de la société MyHeritage. Si elles atterrissent entre les mains de votre banque ou de votre mutuelle santé, quelles pourraient en être les conséquences ? Vos vulnérabilités potentielles pourraient-elles devenir un argument pour vous refuser un prêt ou augmenter vos cotisations annuelles ? Toutes les dérives sont possibles.
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