Le 22 octobre dernier, les droits des femmes régressaient.
Dans la même journée, deux évènements inquiétants autour du droit à l’avortement se sont déroulés presque simultanément. Ainsi, nous apprenions la signature par 32 pays (parmi lesquels les États-Unis, l’Égypte, le Brésil, la Hongrie, ou encore la Biélorussie) de la Déclaration du Consensus de Genève »pour la santé de la femme et le renforcement de la famille ». Un texte qui montre une volonté flagrante de restreindre l’accès à l’avortement, au motif de « préservation de la vie humaine ». Puis, une autre information tombait : la Pologne juge désormais inconstitutionnel le droit à l’avortement en cas de malformation grave du foetus.
Dans une tribune publiée en 2018 par Marie Claire, Le Planning Familial partageait déjà son inquiétude sur l’accès à l’avortement en France et ailleurs. Deux ans et une épidémie mondiale plus tard, celui-ci est plus que menacé et ces actualités prouvent que ce droit n’est jamais réellement acquis. Sarah Durocher, sa co-présidente, réagit à ces nouvelles attaques envers les femmes et leur droit à disposer de leur corps. Entretien.
Marie Claire : que vous évoquent les récentes remises en cause du droit à l’avortement dans certains pays ?
Sarah Durocher, co-présidente du Planning Familial : « Le droit à l’avortement, et plus globalement les droits des femmes et des personnes LGBTQI+ sont déjà très fragiles en temps normal et il suffit d’une crise sanitaire comme celle que nous vivons en ce moment pour que des personnes au pouvoir les remettent en question. Depuis quelques années, nous sentons que les mouvements anti-choix sont en train de s’organiser et que des partis conservateurs accèdent de plus en plus au pouvoir.
Nous sommes sur un retour de valeurs conservatrices, d’une société dans laquelle les femmes seraient à nouveau enfermées dans des rôles de femmes au foyer, de mères…
On vient de le voir avec ce qu’il se passe en Pologne où les mobilisations sont très fortes. Aussi, de manière très décomplexée, 32 pays viennent de faire une « déclaration pour la santé de la femme », alors qu’ils sont en réalité contre, car celle-ci remet justement en cause le droit à l’avortement ! Nous sommes vraiment sur un retour de valeurs conservatrices, d’une société dans laquelle les femmes verraient leurs droits se restreindre et seraient à nouveau enfermées dans des rôles de femmes au foyer, de mères… Ça fait peur.
Cela se passe dans des pays avec lesquels s’opèrent des échanges politiques ou qui nous sont proches géographiquement. La France se doit de montrer un engagement fort en promouvant les droits qu’elle défend partout dans le monde. »
Pensez-vous que la crise de la Covid-19 participe à ce recul des droits accordés aux femmes ?
« On pense que parce qu’il y a une crise sanitaire, le droit à l’avortement est ‘moins’ important puisque des personnes meurt de la Covid. Pendant le confinement, il a fallu que des associations et des professionnels de santé rappellent que l’avortement était un soin d’urgence et qu’il était plus qu’essentiel. Les femmes que nous avions au téléphone s’excusaient ! Il y a vraiment cette fausse pensée que le droit à l’avortement et les droits des femmes passent au second plan et la Covid ne devrait pas être un alibi politique pour les bloquer.
Il y a une réelle urgence sur l’accès à l’IVG, qui est en danger depuis des années. Au Planning, nous sommes bien évidemment pour faire évoluer la loi et nous continuerons d’agir en ce sens comme on le fait depuis 50 ans, mais son accès est ce qui nous inquiète davantage. On voit les hôpitaux qui se remplissent à nouveau, nous sommes inquiètes. Nous demandons que les mesures prises durant le confinement soient inscrites dans la loi et elles sont en train d’être examinées par la Haute Autorité de Santé. Il faut vite mettre en place des solutions. »
Êtes-vous confiante sur l’allongement des délais en France ?
« Justement, il se passe quelque chose d’encourageant chez nous. On le voit avec le vote récent de l’allongement du délai légal par l’Assemblée nationale. Certes, ce n’est pas gagné, il y a encore beaucoup d’étapes à passer comme le vote au Sénat et l’avis du Comité consultatif national d’éthique, mais nous sommes très optimistes. Quelle que soit l’issue, Le Planning reste et restera mobilisé. »
Il y a une réelle urgence sur l’accès à l’IVG, qui est en danger depuis des années.
Que pensez-vous des réactions de l’Ordre des médecins et de l’Académie de médecine, qui eux s’y opposent ?
« Ils s’arrêtent à des gestes techniques, en occultant totalement le vécu et la parole des femmes, qu’ils ne prennent absolument pas en compte. Ils parlent des ‘conséquences’ pour les femmes, alors que celles qui reviennent d’Espagne ou de Hollande nous disent au contraire être soulagées de ne pas avoir eu à mener une grossesse qu’elles ne souhaitaient pas (dans ces pays, les délais légaux pour avorter sont plus longs qu’en France, ndlr).
Ils se positionnent en tant que médecins pratiquant des avortements et portent une parole symbolique, mais tout le corps n’est pas d’accord. Comme toujours, on attend une parole médicale, une ‘bonne parole’, mais je pense qu’il y a une fracture dans le milieu, avec d’un côté les soignants prêts à se positionner, à se former et à faire des avortements, de l’autre, ceux qui ne le sont pas. Tant pis pour eux. Ils représentent un certain pouvoir et c’est important qu’ils soient consultés, mais au final, ils ne représentent une minorité. Et heureusement, beaucoup de professionnels sont du côté des femmes. »
Numéro Vert National « Sexualités, contraception, IVG » : 0800 08 11 11
- Elles ont un jour choisi d’avorter et n’ont pas de regrets
- IVG : les femmes face à la culpabilisation
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