Ovidie, créatrice de la mini-série "Libres !" : "Les femmes en ont marre des diktats sexuels"

À sa grande surprise, la première saison de Libres ! – Manifeste pour s’affranchir des diktats sexuels a remporté un énorme succès dans les pays couverts par Arte. Diffusée depuis le 7 mars, la deuxième saison, réalisée par Ovidie et Josselin Ronse d’après des illustrations de Diglee, écrite avec Sophie-Marie Larrouy et portée par un casting de personnalités engagées, aborde dix nouveaux thèmes : le point G, le consentement, la charge mentale contraceptive… toujours avec humour et bienveillance.

C’est un texte tout aussi détonnant que l’autrice et réalisatrice féministe livre dans La chair est triste, hélas » (Éd. Julliard), inaugurant la nouvelle collection lancée par Vanessa Springora, au titre prometteur : Fauteuse de trouble. Le récit décapant de la trajectoire qui l’a conduite à sortir de la sexualité. Entretien.

Une série au succès international

Marie Claire : Arte diffuse la deuxième saison de votre série Libres ! – Manifeste pour s’affranchir des diktats sexuels, la première saison a remporté un énorme succès avec plus de 60 millions de vidéos vues. Vous vous y attendiez ?

Ovidie : Honnêtement non. Ces 60 millions englobent aussi les territoires couverts par Arte, soit l’Allemagne, l’Espagne, l’Italie, et la Pologne. J’ai été surprise que cela marche dans ce dernier pays, ce n’est quand même pas le plus ouvert en matière de moeurs. On a fait zéro promotion, personne ne me connait là-bas, le succès repose vraiment sur la série.

Après, c’est toujours un peu angoissant car quand un petit miracle se produit sur la saison 1, les diffuseurs sont au même niveau d’attente pour la saison 2, et je ne sais pas si le miracle se reproduira…

Ce succès est révélateur de la remise en question des diktats sexuels, le thème de votre série…

Oui, je pense que le succès de la série tient à ce que beaucoup de monde, principalement des femmes, en a marre et a envie de sortir de tout ce flot d’injonctions, de normes et de diktats, pas uniquement sexuels. À tout ce qui touche au corps, et aux représentations de genre aussi. Je pense qu’on a plutôt intérêt à s’émanciper et à sortir de ces représentations, collectivement.

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Moins coucher dans une société hypersexualisée

Vous publiez aussi La chair est triste, hélas, un livre qui inaugure la nouvelle collection baptisée Fauteuse de trouble lancée par Vanessa Springora chez Julliard. Ce n’est ni un essai ni un manifeste, dites-vous, mais un discours de colère. Une colère positive ?

Je ne sais pas si c’est une colère positive mais ce n’est pas un manifeste et certainement pas un guide. Je ne fais la leçon à personne, je ne dis à personne de suivre mon chemin. La grève du sexe est individuelle. Néanmoins, j’ai quand même l’impression que quelque chose de collectif se dégage de cette expérience personnelle.

À mi-chemin de cette grève du sexe – j’en étais à peu près à deux ans -, j’ai réalisé la série Survivre sans sexualité pour France Culture avec Tancrède Ramonet. Elle a explosé tous les scores d’audience de Radio-France. On a reçu des centaines et des centaines de mails de personnes – beaucoup plus de femmes – nous disant qu’elles ne baisaient plus, et se sentaient soulagées d’entendre que d’autres n’avaient plus de sexualité non plus. C’est quand même le secret le mieux gardé au monde.

En fait, les gens baisent beaucoup moins qu’ils ne le prétendent alors qu’on a l’impression de vivre dans une société hypersexualisée. La réalité n’est pas si simple. Pas mal de femmes de tous les âges sont aussi dans cette phase d’arrêt provisoire de la sexualité. Elles sont juste fatiguées, épuisées, elles ont envie d’autre chose sans savoir vraiment quoi. Et c’est un peu mon cas. Je me suis arrêtée parce que j’avais envie d’autre chose sans réellement pouvoir déterminer ce que je voulais puisqu’on m’avait appris à faire plaisir et non pas à prendre du plaisir.

Votre livre est un constat désenchanté non dénué d’humour. Comme lorsque vous écrivez : « Les femmes ne baisent jamais totalement gratuitement avec les hommes et ce pour une simple raison : les hommes hétéros baisent mal « …

J’avoue, j’ai éclaté de rire en l’écrivant ! (rires). En fait, mes deux références, c’est Nelly Arcan, j’en parle dans l’intro, et Valerie Solanas, pour son humour poussé à l’extrême dans Scum Manifesto (Éd. Olympia Press). J’espère que mon livre provoque des éclats de rire par moment.

En réalité, je pèse beaucoup mes mots dans mes documentaires et mes textes. Je ne m’énerve jamais, je ne hausse jamais le ton. Ce livre a été l’exutoire total qui me permettait de dire finalement tout ce que je m’interdis de dire la plupart du temps. C’est une collection littéraire, j’ai pu ouvrir les vannes et vider mon sac.

Au fond, je crois à tout ce que j’écris. Quand j’ai fini le livre, je me suis sentie soulagée comme si je venais de m’engueuler avec quelqu’un…

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Le « lesbianisme politique » ce n’est pas pour tout le monde

Beaucoup de femmes rompent avec « le contrat hétérosexuel »et deviennent lesbiennes, est-ce une solution pour vous ?

On peut être féministe, avoir conscience de l’origine de notre aliénation, connaître tous ses mécanismes, avoir même conscience que nos fantasmes se nourrissent de cette domination, et pourtant, continuer à désirer les hommes et à ne désirer qu’eux.

Ce n’est donc pas si simple de dire : « On sort de l’hétérosexualité et on va vers le lesbianisme politique. » On a effectivement jamais autant lu Monique Wittig, et ce désir de se tourner vers le lesbianisme politique est dans l’air du temps, c’est peut être une solution pour moi mais ce n’est pas adapté à toutes.

Vous vous réjouissez que la génération de votre fille et de vos étudiantes n’ait pas du tout le même vision de l’homosexualité…

Absolument. J’ai l’espoir que cette génération nous sorte de ce bourbier, de toutes ces représentations. J‘ai une totale confiance en eux et en elles, c’est une génération beaucoup moins homophobe. Dans notre environnement culturel et médiatique, les représentations de l’homosexualité féminine sont de plus en plus présentes alors que c’était le désert dans les années 90 quand j’étais ado.

À 14-15 ans, alors que je me posais des questions à propos de mon orientation sexuelle, j’ai vu le film Gazon maudit. J’étais sortie du cinéma en me disant : « Mais merde, je n’ai pas envie de ressembler au personnage joué par Balasko, ni à celui joué par Victoria Abril. » Cela a changé aujourd’hui, cette génération a des icônes, des pop-stars qui sont lesbiennes ou a minima bisexuelles.

Mère d’une fille, vous vous dîtes heureuse de ne pas avoir dû éduquer un fils…

Après, si j’avais eu un garçon, je l’aurais aimé quand même (rires). Et puis, cela aurait été un véritable enjeu de faire en sorte qu’il ne chope pas tous les traits de ce qu’on condamne. Mais oui, c’est un véritable défi d’élever un garçon. Je me serais fait de bons nœuds au cerveau. J’ai toujours trouvé que c’était beaucoup plus facile de transmettre des valeurs de liberté à sa fille.

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