"On était autodidactes" : Cut Killer refait le film du hip-hop dans son livre "Mixtape 2.0"

Cut Killer est un DJ français, star de la culture hip-hop depuis plus de 30 ans. Il fait d’ailleurs partie de l’émergence du hip-hop incarnée dans son émission « Cutkiller Show« , devenu culte et incontournable. Il est l’un des premiers en France à avoir importé le concept américain des mixtapes. C’était l’époque des Walkman, de NTM, de La Haine de Mathieu Kassovitz, film dans lequel il a joué (1995).

Depuis des années, il donne des concerts dans le monde entier. En 2021, il a signé la bande son du biopic sur NTM. Il vient de publier Cut Killer – Mixtape 2.0 aux éditions Robert Laffont.

franceinfo : Mixtape 2.0 c’est 30 ans de souvenirs, d’anecdotes. On replonge, même quand on est l’auteur de ce livre, dans les souvenirs ?

Mais complètement ! J’ai eu la chance de le coécrire avec Julien Civange parce que j’ai tellement de respect pour la littérature que je ne pouvais pas le faire moi-même, j’allais faire un peu n’importe quoi. On a commencé à se parler et puis on a essayé de trouver les directions. Puis là, au fur et à mesure de raconter des histoires, je me suis rendu compte, effectivement, qu’il y avait beaucoup d’histoires. J’avais fait des podcasts en interview et ça m’avait déjà fait remonter le temps.

Quel chemin parcouru depuis vos débuts, depuis votre découverte du rap grâce aux radios : radio7 et Radio Nova aussi, quand vous étiez ado. Vous êtes fier de ce parcours ?

Je suis tout à fait fier de ce parcours parce que c’est un parcours qui est pour moi très important. Ça a marqué ma vie. La première génération pour moi en tant que DJ, c’était Dee Nasty et tous ceux qui étaient dans cet environnement des années 80. À cette époque, j’habite Strasbourg-Saint-Denis, à Paris, et que le Globo est à 150 mètres et que forcément à 16 ans, un peu grand, longiligne, j’ai réussi à passer la sécurité parce que c’était quand même interdit aux moins de 18 ans. Et quand je suis arrivé là-bas, j’ai découvert cet univers en direct et c’était la claque.

On se rend compte au fil des pages, à quel point vous avez toujours eu plusieurs mantras, de toujours aller plus haut et d’avoir ce besoin de casser les codes.

Complètement, parce que c’était une direction que l’on a apprise par nous-mêmes. On était autodidactes parce qu’on était des petits jeunes qui voulaient faire des après-midis, des soirées parce qu’on ne pouvait pas entrer dans des clubs, c’était compliqué…

D’ailleurs, c’était dur au début. Vous dites quelque chose de fort : « Quand on vient d’ailleurs, on est considéré comme étranger. Et quand on retourne au pays, on est étranger ». C’est très difficile de trouver sa place ?

C’est très difficile, mais on n’en meurt pas, on fait avec et puis on se débrouille.

« On comprend la culture du hip-hop réellement quand on est à New York. À l’époque, je vois qu’on a 10 ans de retard et qu’il y a une culture qui s’est créée, un mouvement, et puis on s’est dit : ‘Attends, on y va’ ! »

à franceinfo

Vous avez vécu vos premières années aux Mureaux, cité Georges Bizet, ambiance conviviale, familiale. Vous êtes pourtant né à Meknès, au Maroc. La porte, chez vous, était toujours ouverte.

Toujours. C’est l’esprit marocain. Je l’ai appris de ma mère. C’était convivial. Quand on va en vacances au Maroc, l’été, tout de suite tout est ouvert. J’ai remarqué qu’effectivement, quand il y avait des mariages, ça durait trois jours et tout le quartier était invité. Je me disais : ah oui quand même ! Mais c’était comme ça, c’est convivial et c’est comme ça que j’ai grandi.

Votre père était un peu plus dur, assez taiseux. On sent que vous lui devez beaucoup parce que il a quand même « cédé », pas à vos caprices, mais à vos demandes. Vous vouliez des platines. Il fallait donc avoir de l’argent. Le jour où vous avez décidé de devenir DJ, il fallait du matériel.

Oui, on avait une relation qui était très technique parce que les parents, en tous cas pour notre génération, ça ne parlait pas beaucoup. Notre mère parlait beaucoup donc il n’y avait pas de souci de ce côté-là. Mais le père, c’est le doyen, du coup, c’est technique. Il nous a laissé faire, mais en même temps, c’était « Débrouille-toi. Tant que tu ramènes des bonnes notes de l’école, si tu veux acheter des platines, tu travailles« .

Là où vous visiez plus haut, c’est que vous ne vouliez pas être un bon DJ, vous vouliez être un excellent DJ !

Pour être un bon DJ dans le hip-hop à l’époque, il fallait être bon techniquement, sinon tu n’étais pas considéré comme un vrai DJ. Donc c’était un challenge et il fallait effectivement sortir de ce cadre en se disant qu’il faut travailler. Mais pour travailler, comment on fait puisqu’il n’y a pas de cours ? Donc il fallait être autodidacte pour prendre des cassettes vidéo, qui sont les prémices du streaming, qui nous donnent une direction. On échangeait entre nous : « Tiens, j’ai un pote qui a réussi à avoir une cassette de championnats du monde de disc-jockey, donc du coup je l’ai copiée donc je te la copie ».

« On a appris les codes du hip-hop avec des K7 vidéo qu’on se passait entre nous. On appuyait sur ‘pause, accéléré, ralenti’ pour essayer de voir comment on faisait les mouvements. C’était une mission, mais c’était extraordinaire. »

à franceinfo

Ce parcours, est-ce que c’est un rêve éveillé ?

Quand on arrive à New York, on ne se pose pas la question. On se dit : « On est dans un film ». C’est comme si on arrivait à Paris qu’on vous disait : « Tiens, tu vas avoir tous les acteurs de la chanson française qui sont là avec toi ». Et là, c’est exactement pareil, mais en dix fois mieux parce que toutes les radios, tous les magasins, toutes les voitures, écoutaient du hip-hop. Nous, on avait une radio avec une émission, là, c’est du matin jusqu’au soir, avec des gens habillés comme nous, c’était impressionnant, une claque monumentale pour pouvoir nous donner cette force de revenir en disant : « Les gars, on a une mission. Cette musique-là, on va vraiment travailler pour qu’elle grandisse autant que quand on va à New York ».

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