Nomophobie : une dépendance au smartphone qui altère notre santé mentale

“Votre temps d’écran était inférieur de 25% la semaine dernière, pour une moyenne de 4h et 12 minutes par jour.” Comme chaque dimanche, avec une assiduité qui frise la provocation, mon téléphone estime utile de réduire à néant toute mon estime de moi en me rappelant à mon piètre statut de junkie numérique, chiffres et statistiques à l’appui. Le pire, c’est que je ne lui ai rien demandé.

D’autres modèles de smartphones proposent aussi de bloquer l’usage de certaines applis au bout d’un certain temps écoulé ou de passer en mode noir et blanc pour nous inciter à lâcher notre précieux téléphone. L’origine de ces innovations technologiques aux allures de garde-fous électroniques ? La nomophobie ou la peur irraisonnée de se retrouver sans son téléphone portable.

Dépendance au smartphone, le “mal du siècle” 

Couronné “mot de l’année” en 2018 par le Cambridge Dictionnary, ce terme résulte de l’ingénieuse contraction de “no mobile phone phobia”, une expression anglo-saxonne découlant du phénomène d’hyper-connectivité ambiant dicté par l’omniprésence d’Internet et des réseaux sociaux. Et pour cause, la nomophobie renvoie à l’ensemble des angoisses plus ou moins envahissantes qui peuvent nous envahir à l’idée d’être privée de notre smartphone adoré, dont 73% des français sont aujourd’hui équipés (source : Baromètre du numérique 2017/ CRÉDOC).

Un week-end en rase campagne sans réseau, une soirée avec une batterie à 3% ou pire, une journée entière au bureau avec le portable tombé dans le creux du canapé : autant de situations qui plonge le nomophobe, novice ou avéré, dans un désarroi auréolé de crainte et d’ anxiété.

“Je déteste quand j’oublie mon téléphone chez moi. Je me sens vraiment toute nue quand je ne l’ai pas ! Avec toujours cette sensation désagréable que je vais rater le coup de fil du siècle. Du coup, quand je m’en rend compte dans le métro, dès que j’arrive au bureau, je mets un statut sur Facebook pour prévenir mes contacts. C’est ridicule, je sais, mais je peux pas m’en empêcher”, avoue Sandra, 30 ans.

On reconnaît également le nomophobe à sa capacité à consulter compulsivement son téléphone toutes les 2 minutes ou à scroller inlassablement son écran quand il a le malheur de l’avoir à portée de main. “Je crois que je suis arrivé à un stade où je ne me rends même plus compte que je suis en train de “checker” mon téléphone. C’est devenu un tic : je regarde l’heure, je vérifie que je n’ai pas de notifications ou j’ouvre compulsivement Instagram, sans même vraiment savoir pourquoi”, confie Tomas, 28 ans.

En 2016, le très en-vue créateur Simon Porte Jacquemus, alors âgé de 26 ans, confiait même dans les colonnes de Stylist avoir frôlé la tendinite du pouce tant il passait du temps sur son smartphone.

Génération nomophobe 

Au-delà de l’anecdote, cette confession un brin honteuse du presque trentenaire est symptomatique de ce terrible mal qui ronge sa génération et la suivante, tous sexes et genres confondus. En 2018, une étude OpinonWay/Smerep révélait ainsi que 20% des étudiants passaient plus de 6h par jour sur leur téléphone. “Bien sûr, les plus vulnérables sont les adolescents et les jeunes adultes chez lesquels se retrouver sans portable signifie risquer de vivre un isolement insupportable.” explique le Dr Anne Marie Lazartigues*, psychiatre et psychothérapeute basée à Paris.

« Quand mon portable a dû partir en réparation, ce qui m’a réellement manqué a été de ne pas pouvoir communiquer avec le monde extérieur. Je voulais prévenir de mon retard ? Pas de téléphone ! Je voulais raconter une anecdote de ma journée ? Pas de téléphone ! Un joli coucher de soleil que j’aurai aimé immortaliser ? Pas de téléphone !”, se souvient Katia, 31 ans. “On dit souvent que l’on se coupe du monde lorsque l’on est accro à son téléphone mais, étrangement, je ne m’étais jamais sentie si seule qu’en étant sans. »

Une angoisse de performance qui pousse à vouloir sans cesse être joignable

La nomophobie, un “mal du siècle” qui répondrait à des problématiques sociales, relationnelles mais également professionnelles, 60% des Français consultant leurs mails via leurs smartphones**.

“Ayant une angoisse de performance qui les pousse à vouloir sans cesse être joignables, les trentenaires ne peuvent pas non plus se passer d’avoir leur portable en permanence à portée de main”, ajoute la spécialiste. “J’aimerai bien passer moins de temps sur mon téléphone mais en réalité, je n’ai pas vraiment le choix avec mon travail, je dois vraiment être toujours connecté”, confirme ce responsable en communication politique qui a préféré rester anonyme.

Addictions et antidotes

Problème ? “Cette utilisation compulsive du portable finit par avoir des conséquences néfastes sur la vie sociale, professionnelle ou familiale, ne serait-ce que du fait de son caractère chronophage”, prévient le Dr Lazartigues. En effet, qui n’a jamais remarqué ses couples qui, en plein dîner en tête-à-tête, bloquent sur leur portable respectif pendant de longues minutes ? Ces réunions d’équipe improductives où tous les participants ont les yeux rivés sur leur écran ? Ces apéros entre amis qui virent aux concours de like et de selfies ?

“Malgré sa dénomination, la nomophobie nous semble entrer davantage dans la catégorie des addictions que dans celle des phobies. D’ailleurs, elle n’est pas reconnue dans les nomenclatures psychiatriques », précise l’experte. D’autres spécialistes incitent par ailleurs à la prudence face à ses termes un brin galvaudés qui témoignent des habituelles craintes générées par l’arrivée de nouvelles technologies. Certains soulignent également comment la nomophobie est devenu le parfait alibi d’une foire marketing aux “digital detox” des plus lucratives.

Dans quels moments utilisez-vous votre téléphone ? Quelle utilité en tirez-vous ? Que se passe-t-il si vous êtes dans l’incapacité de l’utiliser ?

Etre attentif aux difficultés, aux manquements ou encore aux erreurs qui résultent directement de notre usage excessif de téléphone : telle semble être la première façon de désamorcer toute potentielle dérive. “Il a fallu que je frôle l’accident de voiture parce que je conduisais tout en consultant mon téléphone pour que je commence à me poser des questions. C’est vraiment idiot”, poursuit Tomas. Prêtez également attention à votre comportement : dans quels moments utilisez-vous votre téléphone ? Quelle utilité en tirez-vous ? Que se passe-t-il si vous êtes dans l’incapacité de l’utiliser ? 

On peut ensuite se fixer progressivement des limites et s’autodiscipliner en se forçant à laisser son doudou numérique dans une autre pièce que celle où l’on dort, à couper les notifications ou à le ranger dans son sac-à-main pendant une réunion de famille. “C’est bête mais, désormais, j’essaie de faire en sorte que la dernière chose que je regarde avant de m’endormir soit le visage de mon copain à côté de moi et pas une énième story sur Instagram”, rajoute Sandra. Autre piste de réflexion conseillée par les spécialistes : celle du modèle que l’on souhaite donner à nos charmantes têtes blondes sur les bienfaits d’un usage modéré des nouvelles technologies. Difficile en effet de réprimander votre pré-ado sur son addiction smartphonesque quand vous avez vous-même le nez toujours collé dessus !

À moins que vous ne comptiez sur ce fameux rapport hebdomadaire généré par son téléphone dernier cri qui le rappellera à l’ordre avant même que vous n’ayez eu le temps de le faire. 

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*Le Dr Anne Marie Lazartigues, psychiatre, psychotherapeute et sexologue, spécialisée dans les thérapies, reçoit dans son cabinet du 4e arrondissement de Paris.
** Source : Baromètre du numérique 2017/ CRÉDOC

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