Son nom ne vous dit peut-être rien, mais aux États-Unis, le cas de Cyntoia Brown est l’une des affaires judiciaires les plus connues de ce début de siècle. En 2006, cette jeune femme originaire du Tennessee, en fugue et qui se prostituait de force sur demande de son petit-ami, est condamnée à la prison à vie. Elle a tué, deux ans plus tôt, Johnny Allen, un client de 43 ans qui l’avait amenée chez lui, et dont elle a eu peur qu’il la viole ou la tue. Elle n’avait alors que 16 ans.
Cyntoia Brown, condamnée à la prison à vie à 18 ans
Cette adolescente adoptée, issue d’une famille pauvre et troublée, s’apprête à passer le reste de ses jours derrière les barreaux. Mais durant quinze ans, Cyntoia Brown se bat pour retrouver sa liberté, jusqu’à ce que son cas atteigne un niveau de médiatisation très important en 2017. Elle obtient finalement sa remise en liberté en 2019.
Avec de nombreuses images d’archives et interviews de Cyntoia Brown, et de ses équipes juridiques et médicales, à différentes époques, Netflix revient sur son parcours incroyable dans Coupable et victime : l’histoire de Cyntoia Brown, disponible depuis le 29 avril.
Un film-documentaire offrant des archives intéressantes, allant au plus près de la jeune fille, et de ses soutiens. S’il fait la démonstration d’une justice à deux vitesses, il pâtit d’un manque de mise en perspective, et d’une mise en scène vieillotte.
Des images d’archives bouleversantes
Ce documentaire réalisé par Dan Birman suit un ordre chronologique. On remonte jusqu’à quelques semaines après l’arrestation de Cyntoia Brown. On découvre une adolescente fatiguée, qui semble toute petite face au système judiciaire conservateur du Tennessee. Jugée comme une adulte, condamnée à 51 ans de prison avec sûreté, et déboutée en appel, toutes les issues lui sont fermées.
Lors des audiences, Cyntoia Brown s’exprime clairement et ne change jamais de version, plaidant la légitime défense face à un homme qu’elle jugeait dangereux. Le documentaire montre aussi des entretiens lourds avec des psychologues, dont certains qui la suivront tout au long de ses quinze années d’incarcération.
Ses avocats la présentent comme une victime de trafic sexuel, mais la justice ne lui trouve aucune circonstance atténuante. Le fait que Cyntoia Brown ait dérobé de l’argent, la voiture, et des armes de sa victime, ne jouent pas en sa faveur.
Même son lourd passé familial ne lui offre pas la clémence : abandonnée par sa mère, qui avait de graves problèmes d’addiction et consommait alcool et drogues quand elle était enceinte, Cyntoia Brown était une adolescence perdue, en colère et dépressive. À partir de ses 12 ans, elle fugue le domicile de sa mère adoptive.
Le documentaire montre, d’ailleurs, la mère biologique de Cyntoia Brown. À travers son récit, et celui de sa propre mère, on découvre une famille dont les femmes ont été victimes de violences sexuelles et domestiques, de l’alcoolisme et de la drogue. Un tableau très noir, mais pas misérabiliste, qui donne des éléments supplémentaires sur les circonstances ayant pu pousser l’adolescente vers la délinquance. Le documentaire soulève une forme de déterminisme social ayant entraîné un traumatisme, que la justice n’a pas voulu prendre en compte.
De prostituée coupable à victime de trafic sexuel qui s’est protégée
Lors de son premier procès, Cyntoia Brown a été vue comme une adolescente violente et à la marge, qui a tué un homme « pour rien ». Mais plus le temps a passé, plus une double révolution s’est opérée.
Une révolution interne pour la jeune femme, d’abord, qui décroche plusieurs diplômes universitaires en prison, et veut jouer sa part dans la société en s’intéressant aux mécanismes des trafics sexuels.
En parallèle, en 2017, son cas pousse le Tennessee à interdire que les mineurs soient jugés pour des faits de prostitution, ou en tant que prostitués. Si elle avait été jugée à cette époque, Cyntoia Brown aurait été considérée comme une victime de trafic sexuel, et non une prostituée consentante. Un reportage de l’antenne locale de Fox, s’appuyant sur des images de Dan Birman, qui filme régulièrement la jeune femme en prison, devient viral et relance l’affaire dans le débat public.
Une autre révolution a lieu en parallèle, qui n’est malheureusement pas abordée dans le documentaire. Les années 2010 voient l’émergence d’une nouvelle génération de féministes, réfléchissant notamment aux questions du travail du sexe, qu’il soit volontaire ou forcé, et des violences sexuelles. Un mouvement qui met en avant la parole des victimes, et dénonce la méfiance qu’elles suscitent.
C’est dans ce contexte que le cas de Cyntoia Brown a commencé à resurgir. Elle attire à nouveau les regards, et cette fois, en sa faveur. Sa situation paraît injuste à de plus en plus de personnes, qui la perçoivent comme une jeune femme ayant été forcée à se prostituer et qui n’a voulu rien d’autre que se protéger. Une victime qui n’a pas été vue comme telle par la justice.
Soutenue par Rihanna et Kim Kardashian-West
Tout s’accélère pour Cyntoia Brown, qui a alors passé déjà plus de dix ans en prison. Elle est soutenue publiquement par des célébrités, comme Rihanna, Lana Del Rey, ou la très influente Kim Kardashian-West. À cette époque, cette dernière se lance dans des études de droit, et essaie de faire libérer certains prisonniers aux lourdes condamnations. Plus d’un million de tweets réclament sa libération, avec le mot-dièse #FreeCyntoiaBrown.
À côté, une nouvelle équipe juridique décide de prendre son cas en mains, en demandant le pardon à la justice. Elle inclut sa première avocate, qui ne l’a jamais lâchée, et dont le témoignage est émouvant.
En 2018, le gouverneur du Tennessee réduit sa peine à quinze ans de prison et ajoute dix ans de liberté conditionnelle. Ce qui lui permet de sortir en août 2019, étant derrière les barreaux depuis 2006. Il a estimé que sa peine initiale était « trop dure, notamment quand on prend en considération les extraordinaires progrès faits par Mme Brown pour se reconstruire ».
À la fin du documentaire, on est frustré que la jeune femme, qui parle tout au long des années, ne s’exprime pas davantage sur cet ultime recours, ni sur sa nouvelle vie. Cyntoia Brown n’avait pas autorisé ce film, mais elle le soutient après l’avoir critiqué dans un premier temps.
Désormais, la jeune trentenaire milite en faveur des victimes de trafic sexuel et violences sexuelles. Comme Chrystul Kizer, jeune prostituée qui a tué en 2018, à l’âge de 17 ans, son proxénète, qui l’a violée plusieurs fois.
- Films, séries, documentaires… Ce qu’on regarde sur Netflix en mai
- « Ni juge ni soumise » : un documentaire sur une juge d’instruction à Bruxelles à voir absolument
Source: Lire L’Article Complet