- Microdosage : une dose juste pour un effet psychothérapeutique
- Une pratique à la mode mais illégale
- Le microdosing, un catalyseur de créativité propulsé par la Silicon Valley
- Aucune différence avec l’effet placebo
- Le microdosing du THC, une vraie bonne idée ?
- Des effets psychothérapeutiques très prometteurs en dose pleine
Évoqué récemment à l’écran par la série Amazon 9 Perfects Strangers avec notamment Nicole Kidman et Melissa McCarthy, le microdosing est une tendance qui monte.
Le principe : prendre des très petites doses de psychédélique (LSD, champignons hallucinogènes, MDMA… ), deux à trois fois par semaine, pour bénéficier d’un effet léger, contrôlé, aux antipodes de la défonce recherchée par exemple en rave party.
Plus question d’utiliser ces actifs pour « tripper » mais plutôt afin de mieux se concentrer, d’être plus créatif, voire de faire face à la dépression.
Microdosage : une dose juste pour un effet psychothérapeutique
C’est la thèse d’Albert Hoffman, inventeur du LSD : la prise de 10 à 20 microgrammes de la substance mythique peut avoir un effet positif sur la santé mentale. Le chimiste suisse a consommé des microdoses pendant quelques décennies sans expérimenter d’effets secondaires. « La stratégie d’Albert Hoffman joue sur la répartition des prises et la recherche de la dose idéale pour obtenir un effet thérapeutique, et non hallucinogène« , explique le Dr Pascal Douek, auteur du très instructif ouvrage Le Cannabis médical, une nouvelle chance (Ed. Solar).
Dans le sillage d’Hoffman, James Fadiman – le scientifique américain reconnu comme « père du microdosing » – s’est basé sur les retours de centaines de participants pour développer un protocole exposé dans son célèbre livre Le guide de l’explorateur psychédélique. Le processus se base sur un cycle de 4 jours qui s’ouvre par la prise d’une microdose (entre 5 à 10% des doses pleines) au jour 1. Les jours n°2 et n°3, on ne prend rien. Au Jour n°4, on reprogramme une prise. Fadiman conseille de renouveler ce cycle pendant quatre à huit semaines, avant un reset de deux à quatre semaines de repos (zéro consommation).
« Le microdosing se pratique habituellement avec du LSD, des champignons psilocybes ou même du DMT (ndlr : Dimethyltryptamine, aussi appelée molécule de l’esprit) », détaille David Dupuis, anthropologue et psychologue, spécialiste des substances psychédéliques. « Ces substances ont en commun des modes d’action neuropharmacologiques qui suscitent des modifications de la perception (effets dits hallucinogènes), mais aussi de l’humeur ou de la créativité ».
Selon le chercheur, la pratique novatrice du microdosing remet en question la vision conventionnelle de ces substances. « Les défenseurs du microdosing jugent que leur usage aux doses habituelles dites « hallucinogènes », n’est pas adéquate et que leur utilisation en petite dose, « sub hallucinogène », c’est-à-dire à peine perceptible, serait plus pertinente, et même bénéfique », observe-t-il.
Une pratique à la mode mais illégale
Le phénomène reste confidentiel jusqu’à fin 2015, quand le magazine Rolling Stone publie un article qui encourage des milliers de testeurs de l’ombre à partager leurs expériences sur les réseaux sociaux. Sur le forum dédié au sujet sur Reddit, le nombre d’inscrits a triplé en moins de deux ans, pour atteindre 50000 adhérents.
De nombreuses femmes témoignent de l’effet positif de la cure sur leur dépression, à l’instar d’Audra, qui souffre d’anxiété aiguë depuis l’enfance. « Je pensais avoir besoin de médicaments toute ma vie pour me sentir normale », se souvient la directrice créative dans la publicité dont la vie a changé depuis qu’elle a découvert les petites gélules de champignons magiques qu’on se refile sous le manteau. « Le microdosing ne m’a pas guérie de ma dépression chronique, mais il rend les passages difficiles bien plus supportables », confie-t-elle.
Anxiété, troubles de l’humeur, stress post-traumatique… Les nombreux témoignages en ligne vantent l’efficacité thérapeutique de l’automédicamentation clandestine – ces substances sont interdites en France.
« Tendance depuis une dizaine d’années, cette pratique a connu un certain développement pendant la crise COVID car de nombreux individus ont été isolés chez eux, avec une majoration de leurs troubles de santé mentale. Beaucoup ont alors tenté le microdosing plutôt que de prendre une dose importante d’hallucinogène seuls chez eux », constate David Dupuis.
Le microdosing, un catalyseur de créativité propulsé par la Silicon Valley
Mémoire, concentration, créativité… les cadres supérieurs de la Silicon Valley font largement savoir qu’ils utilisent cette nouvelle pratique tangente du bien-être pour améliorer leurs performances cognitives mais aussi sociale : les microdoseurs seraient plus détendus, entreraient plus facilement en relation avec les autres, s’exprimeraient mieux. La cure serait d’ailleurs potentialisée par la méditation et le yoga.
« En bref, le microdosing ferait de vous un meilleur travailleur », commente David Dupuis. « Cette approche semble paradoxale quand on se souvient de la dimension subversive, voire révolutionnaire, attribuée à ces psychotropes par le mouvement de la contre-culture ».
Dans les années 60, on pensait en effet que donner un « trip » (une dose d’acide sur un papier buvard) à un cadre supérieur « square », était susceptible de faire de lui un hippie. On prêtait à ces substances le pouvoir de transformer la vision du monde, les valeurs de l’usager, de faire de tout col blanc un écologiste, féministe, pacifiste et anticapitaliste. Selon la mythologie de l’époque née en Californie, les psychédéliques étaient ainsi pensés comme des substances politiques capables de faire « shifter« (basculer) les représentations des individus et de produire, si elles étaient utilisées à grande échelle, une véritable transformation sociale.
« Cinquante ans plus tard, dans la même région du monde, on utilise le LSD pour être plus adapté aux demandes du monde du travail dans un contexte de forte compétition économique accru par les crises successives du capitalisme », ironise David Dupuis. Et le chercheur d’alerter sur des dérives potentielles de ces pratiques vers une forme de dopage mise au service d’une logique productiviste, à l’image de l’usage de la cocaïne à visée stimulante.
Sans parler de la question de l‘approvisionnement. Qu’achètent exactement les microdoseurs, a fortiori au marché noir, sans aucun moyen de vérifier de quoi il s’agit ? « Quelques rares adeptes s’équipent en matériel de chimiste afin de vérifier ce qu’ils achètent, mais ils restent une minorité », remarque l’expert.
La vogue du microdosing pose en ce sens la question du statut légal de ces substances. « Il est en effet très difficile de contrôler la qualité ou de s’assurer du dosage d’un produit acheté sur le marché noir. Il n’est pas aisé d’évaluer correctement les quantités, surtout quand on fait les préparations soi-même », note le chercheur. « Il y a toujours un risque de se retrouver avec une dose excessive. Si avec les psychédéliques il n’y a pas d’effets secondaires somatiques sévères connus à ce jour, des effets psychologiques indésirables, temporaires ou durables, existent et ne sont pas à négliger ».
Aucune différence avec l’effet placebo
Derrière le tableau idyllique dépeint par les explorateurs psychédéliques, toutefois, un hic : aucune étude expérimentale l’a pu à ce jour prouver l’efficacité du microdosing.
Selon David Dupuis, les trois études existantes suggèrent en effet que l’effet placebo serait à l’origine des effets imputés au microdosing. L’imaginaire lié au psychédélique et les attentes qu’il suscite seraient alors responsables des bénéfices rapportés par les usagers.
« Plusieurs études d’imagerie ont toutefois observé des modifications d’activité cérébrale après administration d’une seule microdose. Et ces fluctuations ressemblent à celles que l’on voit après consommation de doses pleines. Ainsi, les échelles comportementales utilisées dans ces études ne sont peut-être pas en mesure de capturer ces changements qui pourraient participer au ressenti des usagers », nuance Lucie Berkovitch, psychiatre et chercheuse à l’université de Yale sur les psychédéliques. « Au regard des données existantes, il est néanmoins exclu de recommander cette pratique. Les bénéfices ne sont pas prouvés et les risques sont inconnus. La balance bénéfice/risque n’est donc pas favorable ».
Le microdosing du THC, une vraie bonne idée ?
Du côté du cannabis, composé entre autres de CBD et de THC, « le microdosing n’a pas d’intérêt pour le CBD, une molécule dont on sait que les effets secondaires sont quasiment nuls et qu’on peut prendre à des doses importantes si on le souhaite. En revanche, il peut être judicieux pour le THC, remplis d’effets secondaires, notamment psychoactifs », expose le Dr Pascal Douek.
Au lieu de consommer 25 mg en une dose quotidienne, on peut ainsi prendre cinq prises de 5 mg sur une journée. « Nous ne sommes pas encore sur des approches scientifiques, mais pragmatiques », prévient le médecin qui suit de près l’expérimentation française en cours sur un millier de patients pendant deux ans.
Différence de taille entre le cannabis médical et les hallucinogènes : le premier a déjà rejoint les parcours de soins de plus de 42 pays. Les seconds devraient toutefois suivre la même voie de légalisation thérapeutique, dans quelques années.
Des effets psychothérapeutiques très prometteurs en dose pleine
Plusieurs études ont montré l’efficacité de l’usage en dose pleine des hallucinogènes, que ce soit dans les addictions ou la dépression résistante. Ces résultats intéressent au plus haut point l’industrie pharmaceutique, à telle enseigne que les observateurs considèrent aujourd’hui ces substances comme la prochaine génération de molécules de traitements de santé mentale.
« On parle même depuis quelques années d’une renaissance de la science psychédélique. Dans de nombreux pays, des chercheurs reprennent les thèses des études réalisées dans les années 50, et mises à l’arrêt par la prohibition des substances hallucinogènes instaurée à la fin des années 60, et ces substances sont aujourd’hui considérées par de nombreux spécialistes comme la prochaine génération de traitements de santé mentale. Aucune étude de ce type n’a toutefois encore été conduite en France », remarque David Dupuis.
D’après Lucie Berkovitch, les psychiatres sont en attente d’études qui confirmeraient l’efficacité et la sûreté des psychédéliques pour qu’ils deviennent disponibles pour les patients. « Les antidépresseurs sur le marché ne fonctionnement pas dans 30% des cas. Quant aux anxiolytiques, certains ont un fort potentiel addictif. Les psychédéliques représentent un véritable espoir pour les patients, la perspective de molécules qui, en une ou deux prises associées à la psychothérapie, puissent les aider à aller mieux de façon durable », évoque la soignante.
Dès que leur statut légal changera pour en faire non plus des drogues mais des médicaments, se poseront des questions éthiques : qui sera autorisé à les détenir, les administrer, dans quel contexte ? Comme pour le cannabis, il s’agira d’être clair face au public.
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