17 juin 2022 : une dizaine de malfaiteurs qui exploitaient des jeunes femmes en organisant des tournées de prostitution partout en France, ont été présentés à la justice, à Paris. 21 juin 2022 : quatre personnes soupçonnées d’avoir séquestrées et forcées de « très jeunes femmes » à se prostituer ont été mises en examen, à Montpellier. Les révélations de sordides affaires se multiplient dans la presse. Comme le nombre de mineur·es victimes de proxénétisme en France.
En juillet 2021, le service statistique ministériel de la sécurité intérieure recensait une hausse de 70% des cas en cinq ans. Un effrayant bond dû, notamment, au développement du proxénétisme sur les réseaux sociaux.
Alerter de ce fléau par la fiction
L’association Agir Contre la Prostitution des Enfants (ACPE) estime qu’il y aurait entre 30 000 à 40 000 jeunes qui se prostitueraient en France. Des filles, majoritairement, qui ont pour la plupart entre 15 et 17 ans.
15 ans… Comme Samia (incarnée par Sarah Isabella, castée sur TikTok, qui crève l’écran et bouleverse), personnage principal de Comme des reines, téléfilm d’utilité publique diffusé à 21h10 ce mercredi 22 juin 2022 sur France 2.
Comme Louise (Nina Louise) et Jessica (Bintou Ba), âgées de 17 et 20 ans, la collégienne est prise au piège d’un réseau d’escorting, victime d’un proxénète et de clients violents.
La réalisatrice Marion Vernoux (Bonhomme, Personne ne m’aime, Les beaux jours) a accepté de montrer cette réalité crue ; France Télévisions, de la programmer en prime. Et de poursuivre la soirée avec un épisode d’Infrarouge, intitulé Pornographie, un jeu d’enfant. Salutaire et nécessaire.
Marie Claire : Pourquoi avez-vous choisi de vous pencher sur cette question sociétale ?
Marion Vernoux : C’est plutôt la question qui s’est penchée sur moi. On m’a proposé ce scénario absolument magnifique, écrit par Sandrine Gregor et Mélina Jochum, qui ont travaillé avec l’association Agir Contre la Prostitution des Enfants (ACPE). J’ai été convaincue par le côté réaliste, documenté et enquêté de leur scénario.
Celui-ci était accompagné de coupures de presse sur diverses affaires de prostitution adolescente, plusieurs procès. J’ai pris la mesure du phénomène, des chiffres exponentiels, à la découverte de ce scénario.
Pourquoi avoir choisi ce titre, « Comme des reines » ?
Parce que ces filles ont l’illusion d’être des reines. Elles rêvent de paillettes, d’argent facile, de Champs-Élysées, de transgression, d’indépendance mais aussi d’appartenance à une bande.
L’emprise du proxénète
À mesure que le film avance, l’emprise du jeune proxénète sur ces jeunes filles se dévoile…
Dans une première partie du film, le proxénète incarné par Idir Azougli [révélé dans Shéhérazade de Jean-Bernard Marlin, ndlr] utilise la technique du love bombing. Il couvre les jeunes femmes de compliments, les fait sentir spéciales : « Tu es tellement belle », « C’est rare ce que tu as », « Maintenant, tu fais partie de la famille »… En d’autres termes, il embobine, c’est un procédé vieux comme la prostitution.
Il rassure des filles qui n’ont pas une bonne estime d’elles-mêmes, comme la jeune Samia, qui est mauvaise en classe et complexe vis-à-vis de sa sœur brillante.
Ces filles sont contraintes de faire énormément de passes par jour. La drogue permet la dissociation. Elles tiennent comme ça.
Puis il les coince – car il s’agit de séquestration pure et simple – et se révèle violent.
Après cette bascule, le spectateur voit l’envers du décor : l’hôtel Ibis – au mieux – et la cocaïne. Ces filles sont contraintes de faire énormément de passes par jour. La drogue permet la dissociation. Elles tiennent comme ça.
Les motivations de ces jeunes femmes ne sont pas soulignées à l’écran. Elles ne parlent jamais de leurs milieux sociaux, que l’on comprend différents. Avez-vous ainsi voulu montrer que ce fléau peut toucher des filles de tous horizons ?
Oui. Et il s’agit du strict reflet de la réalité : la prostitution adolescente touche absolument tous les milieux sociaux. Elle peut frapper toutes les familles.
Les filles sont en revanche beaucoup plus abîmées que ce que nous montrons. Dans le film, elle sont encore drôles, vives, éclatantes parfois. La réalité est malheureusement plus terne, encore plus triste.
Dans l’une des scènes fortes de votre fiction, vous dénoncez la fétichisation raciale du corps de la femme arabe par les clients.
Le proxénète publie une annonce en ligne : « Beauté orientale, 100% halal », pour attirer les clients vers Samia, et ce, sans la prévenir.
Ce type d’annonces existe. Dans une scène dure, un client demande à l’adolescente de danser pour lui, en tenue orientale, avant de la violer. Sarah n’avait que 15 ans lorsque nous avons tourné, elle n’est pas professionnelle, il s’agit de son premier rôle. J’ai demandé à ce que ces jeune actrices soient accompagnées sur ce tournage.
La détresse des parents
Le père de Louise fait le tour des Formule 1 pour retrouver sa fille, la mère de Samia cherche le moindre indice sur sa fugue, auprès de ses camarades et sur les réseaux sociaux, en vain. Que ressentent ces parents ?
Je suis mère. Je m’imaginais à leur place… C’est un pur cauchemar pour ces familles totalement démunies.
Je pense que ces parents se sentent trahis. Il y a des images qui ne peuvent pas s’effacer. Quand on tombe sur sa môme sur un site porno, par exemple. C’est aussi extrêmement culpabilisant.
Ils ressentent de l’incompréhension, car ils ne connaissent pas les codes des réseaux sociaux, où les jeunes sont désormais ciblés par les proxénètes.
Il est très difficile pour ces jeunes filles de se défaire de l’emprise d’un proxénète.
Mais je crois que le sentiment qui domine est l’impuissance, comme face à un enfant qui se droguerait.
La prostitution adolescente est d’ailleurs un phénomène assez proche de l’addiction. Il est très difficile pour ces jeunes filles de se défaire de l’emprise d’un proxénète et de se ré-intégrer au sein d’un foyer, d’un collège, d’un cercle proche. Alors, même quand elles reviennent chez leurs parents… Elles repartent parfois.
Comme le personnage de Louise, incarné par Nina Louise, la fille de Bernard Campan, dans la vie comme dans votre film. Comment ont-ils vécu cette scène de leurs retrouvailles ?
Le père retrouve sa fille via une annonce sur Internet et prend rendez-vous comme un client. Dans cette scène, ils se retrouvent nez-à-nez, Louise est en sous-vêtement. Nous l’avons tournée vers la fin du tournage, quand Nina était complètement dans la peau de son personnage. Ils avaient un trac monumental, bien sûr… Mais c’est une scène où leurs personnages sont aussi très anxieux.
On perçoit aussi une détresse chez vos personnages parents, qui se sentent abandonnés par l’institution.
Oui, la mère de Samia est même suspectée par la police d’avoir été négligente, voire violente.
Je n’ai pas voulu stigmatiser la police, mais montrer qu’elle était débordée. Il y a trop d’affaires et pas assez de flics.
Ils ne sont pas bêtes les proxénètes… Aujourd’hui, c’est malheureusement moins dangereux de vendre des jeunes femmes que du cannabis. Le flagrant délit est plus difficile.
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