- Tous les vendredis, 20 Minutes propose à une personnalité de se livrer sur l’actualité dans son rendez-vous « 20 Minutes avec ».
- Marinette Pichon, ex-internationale de football, est devenue le sujet du biopic « Marinette », qui retrace sa carrière depuis mercredi dans les salles.
- Cette activiste pour les causes LGBT et pour le football féminin, vit au Canada avec sa femme et leur jeune fils.
Cent douze sélections entre 1994 et 2006, 81 buts marqués en équipe de France, la bio de Marinette Pichon donne le vertige. Considérée comme la première star de football féminin en France, elle a aussi été la première à signer un contrat professionnel aux Etats-Unis. Elle est actuellement directrice générale d’un club de football à LaSalle au Canada, autrice d’une autobiographie (Ne jamais rien lâcher aux éditions First), maman d’un petit garçon de 10 ans qu’elle élève avec son épouse, la championne de basket handisport Ingrid Moatti, et sujet central du film Marinette réalisé par Virginie Verrier avec Garance Marillier pour l’incarner. Ces succès n’ont pas donné la grosse tête à Marinette Pichon, femme de cœur, qui revient sur ses expériences pour 20 Minutes.
Etre à la fois footballeuse réputée et activiste lesbienne, n’est-ce pas beaucoup pour une seule femme ?
C’est vrai que je cumule ! Et encore, moins que mon épouse qui, elle, est handicapée. Mais, plus sérieusement, je suis fière de ce que je suis devenue et de ma famille, c’est pour cela que je peux me faire entendre. J’aimerais que tout le monde puisse s’épanouir librement sans passer par les épreuves que j’ai pu connaître quand j’étais jeune, tant dans la sphère professionnelle que privée. Je n’ai jamais été aussi sereine et je souhaite aider les autres à être aussi bien dans leur peau que je le suis aujourd’hui.
Assumez-vous d’être prise pour modèle ?
On pense aux jeunes. C’est affreux qu’il en reste encore qui se terrent sans pouvoir s’épanouir. C’est pour cela qu’on ne dira jamais assez à quel point la représentation est quelque chose d’important. S’il faut que je sois considérée comme une icône ou un modèle, ça me va. J’en ai cruellement manqué autrefois donc j’accepte volontiers de servir d’inspiration si cela peut aider des gens à ne pas souffrir comme moi. Quand j’ai découvert que j’étais lesbienne, j’ai eu beaucoup de mal à l’accepter. Je me sentais anormale de regarder plus les filles que les garçons. Je ne comprenais pas ce qui m’arrivait. J’étais tellement formatée sur un modèle qui ne me correspondait pas que j’avais peur de décevoir ma mère. C’est pourtant son soutien qui m’a permis d’accepter ce que j’étais. Mais j’aimerais que plus personne ne connaisse un malaise équivalent à celui que j’ai vécu.
Qu’avez-vous pensé des footballeurs qui ont refusé de porter un flocage de maillot arc-en-ciel ?
L’homophobie n’a pas sa place dans les stades. Une insulte ou une agression, quelle qu’elle soit et on en a encore vues le week-end dernier, sont des actes violents qui véhiculent une très mauvaise image et devraient être sanctionnés très durement. Je ne comprends pas le refus de porter un brassard ou un flocage de maillot arc-en-ciel. Cela ne remet pas en cause les convictions personnelles des uns ou des autres puisque c’est une action collective, initiée par les institutions, et non pas une action individuelle. Le rapport à l’homophobie reste encore un vrai tabou dans les vestiaires, ce qui explique le nombre de personnes qui ne souhaitent pas faire leur coming out, par crainte de mépris, d’incompréhension, ou d’exclusion.
Comment lutter contre l’homophobie ?
Tous les grands changements de société demandent du temps. Ce qui ne veut pas dire qu’il faut rester à ne rien faire. Des opérations comme le « mois des Fiertés » ou la « Marche des Fiertés » le 24 juin prochain aident à nous rendre visibles. Tout ce qui permet de nous voir aide à nous accepter et à comprendre que nous ne voulons de mal à personne. Au Canada, les différences sont bien acceptées et ce n’est pas l’anarchie pour autant. J’espère simplement que les institutions vont prendre la mesure du problème et prendre des sanctions exemplaires dès lors que des gens ont des attitudes déplacées l’égard des choix de vie de certaines personnes, qu’elles s’élèveront de façon ferme et systématique contre les discriminations.
Quel regard portez-vous sur l’évolution du football féminin ?
Il y a encore du travail à faire pour que les mentalités changent et que des petits mecs ne disent plus : « Le foot n’est pas un sport de gonzesses ». J’ai poussé des coups de gueule et je continue à en pousser car j’estime que les footballeuses talentueuses méritent une vraie reconnaissance. Il faut qu’elles obtiennent un statut professionnel qui leur permette de se consacrer pleinement à leur activité sportive sans voir à penser au « double projet » qui consiste à devoir travailler pour gagner sa vie. Le football féminin se développe lentement, trop lentement à mon avis. Il commence à rapporter un peu d’argent mais pas autant que chez les garçons. Les compétitions, notamment en France, manquent d’incertitudes sportives. On sait qu’on va avoir deux matchs un peu costauds dans le championnat de France mais que, pour les autres, il est facile de prévoir le résultat. Ce n’est pas propice à attirer les médias, or sans audience, pas de moyens pour les clubs de financer des infrastructures qui sécuriseraient les joueuses.
Est-ce parce que les choses ne bougeaient pas en France que vous vous êtes expatriée au Canada ?
Si je ne l’avais pas fait, je n’aurais pas vécu le monde professionnel, la culture américaine et je ne serais peut-être pas devenue la femme que je suis aujourd’hui. En Amérique, ils ont très vite compris la place de la femme dans le sport. Dès l’école maternelle et le primaire, on donne l’accès à la pratique du foot et ça permet aux jeunes de se dépenser physiquement et psychologiquement, ce qui les rend plus équilibrés. Les filles peuvent avoir un cursus qui s’inscrit sur du long terme puisqu’il commence à l’école, en leur donnant la possibilité de poursuivre à l’université voire de passer professionnelles si elles le souhaitent. En France, tu sais que tu peux commencer dans un club mais le processus pour devenir pro reste assez mystérieux.
Devenir une héroïne de cinéma dans le film « Marinette », quelle impression ?
Je ne suis pas une héroïne de cinéma parce que ma vie fait l’objet d’un film. La réalisatrice Virginie Verrier et la comédienne Garance Marillier m’ont bluffée. Je ne m’attendais pas à une telle claque. Se dire que cette fille sur l’écran, c’est moi, et que j’ai vécu toutes ces choses a été un choc. Il m’a fallu un moment pour m’en remettre. C’était d’autant plus fou que j’étais partie prenante. Il m’a fallu un moment pour apprivoiser les sentiments intenses que me faisait l’impression de revivre tout cela par écran interposé. Cette rencontre avec Virginie et Garance a été incroyable. Elle dépasse le cadre professionnel pour devenir une œuvre qui me dépasse. C’est merveilleux de voir des femmes s’unir pour cela.
Avez-vous suivi le Festival de Cannes, la Palme d’or reçue par Justine Triet ?
J’ai suivi cela de loin car j’étais au Canada et mobilisée par le club que je dirige. Je sais juste qu’une femme a gagné ce qui est une bonne nouvelle. Plus les femmes se font entendre dans tous les domaines, mieux c’est pour tout le monde. Cela permet de mettre à jour de nouveaux points de vue. Je trouve rassurant de voir que les femmes sont de plus en plus reconnues leurs expertises. Je rêve d’un monde où on n’aurait plus à enfoncer des portes pour se faire accepter et ou on pourrait sereinement trouver notre place. Tout le monde y gagnerait.
Qu’attendez-vous des Jeux olympiques de 2024 ?
Pour la première fois depuis longtemps, je ne vais pas commenter le foot aux Jeux olympiques pour France Télévisions car je vis au Québec. Je le ferai peut-être pour la télé canadienne avec laquelle je travaille aujourd’hui et avec qui je m’éclate. J’ai hâte. J’espère qu’on aura une belle compétition sur le territoire français qui sera à la hauteur de cet événement mondial. En attendant, je me bats pour que les championnats du monde féminins trouvent un diffuseur en France. Ce n’est pas gagné mais on ne va rien lâcher.
Et l’avenir, vous le voyez comment ?
J’en attends beaucoup. J’aimerais qu’on évolue partout en ce qui concerne la PMA, le handicap, l’homosexualité, la place des femmes dans la société et les violences qu’elles subissent encore. Tous ces messages que j’essaie de faire passer depuis des années, j’espère que ça va toucher plein de familles, que ça faire changer des attitudes et ouvrir des esprits. Il ne faut plus que des gamins soient jetés hors de chez eux parce qu’ils ont décidé de déclarer leur homosexualité. Il ne faut plus que des filles renoncent à leur carrière dans le sport parce qu’on ne les prend pas au sérieux. Il ne faut plus que des femmes se fassent tabasser dans l’indifférence générale. Une seule voix ne peut pas tout changer mais si beaucoup de gens crient très fort, on finit par les entendre. C’est pour cela que je m’exprime tant et que je mouille le maillot pour qu’on m’écoute. J’estime que ma visibilité me donne une responsabilité.
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