- Durant le confinement, beaucoup de femmes ont choisi de renoncer aux colorations et ont laisser prospérer leurs cheveux blancs.
- Celles qui ont répondu à notre appel à témoignages expliquent ce choix par le besoin d’un « retour au naturel » et une « envie de redevenir » elles-mêmes.
- De leur côté, Michel Messu, auteur d’Un Ethnologue chez le coiffeur (Ed. Fayard) et Aurélie Louchart, autrice de Trop crépues ? (Hikari Editions), évoquent le poids de la construction sociale et de l’héritage culturel, mais aussi un confinement qui a redessiné notre rapport au temps.
« Je vois beaucoup de clientes qui ont choisi de garder leurs cheveux blancs. Beaucoup m’ont également dit s’être remis en question et se sont tournées vers la coloration végétale. Comme un besoin de revenir à l’essentiel, au naturel. » Valérie Gouzien est gérante du salon Nouvelles tendances, à Etauliers, en Haute-Gironde. Post 11 mai, elle a vu débarquer dans son salon des
déconfinées à la chevelure désormais
chenue, poivre et sel, voire plutôt sel. Parmi elles, Brigitte, 68 ans, qui a découvert que ses « cheveux blancs n’étaient pas si mal finalement ».
Brigitte n’est pas la seule à avoir renoncé aux colorations pour se sentir « elle-même », pour « en finir avec la contrainte du coiffeur et enfin nager en mettant la tête sous l’eau ». Près de 500 femmes, toutes générations confondues, ont répondu à l’appel à témoignages lancé par 20 Minutes. Après des semaines sous cloche et sans Infini’tif ou C’est dans l’Hair, Yvonne a ainsi « retrouvé la liberté de ne plus teindre » ses cheveux et accepte « enfin » ses « mèches blanches ». Quant à Adèle, 39 ans, qui se teint les cheveux au henné naturel depuis plusieurs années, elle « a décidé de tout arrêter » et se trouve « plutôt jolie aujourd’hui » bien qu’elle soit « encore dans une phase de transition ».
Avec l’été, la liberté chevelue et les congés loin des coiffeurs, la tendance devrait encore s’accentuer
« Tenter de maîtriser le temps est une perte de temps »
Alors bienvenue à la nouvelle « team cheveux blancs », faite de celles qui disent « s’émanciper du regard des autres » ou « enfin assumer faire leur âge ». « Et merci au confinement qui leur a permis de sauter le pas, de voir que tenter de maîtriser le temps est une perte de temps, lâche à 20 Minutes Michel Messu, sociologue et ethnologue, auteur d’Un ethnologue chez le coiffeur*. Ces femmes ont vu leur image changer dans le miroir, tout doucement. Elles se sont apprivoisées, ont pris le temps de s’aimer et, pour certaines, de se rendre compte que ce reflet était enfin celles qu’elles étaient et plus l’image qu’elles voulaient renvoyer. »
Nos lectrices, de Manon à Ginette, parlent effectivement d’un « retour au naturel » ou « de redevenir soi-même ». Julie n’avait jamais osé attendre très longtemps entre deux colorations. Le confinement l’y a obligée. Elle a demandé l’avis de son mari, celui de ses enfants, a visionné des vidéos de blogueuses qui avaient sauté le pas et « échangé avec des collègues femmes qui y réfléchissaient aussi ». « Quand mon choix a été fait, je me suis sentie libérée d’un poids, explique-t-elle. Plus de rendez-vous mensuel chez le coiffeur, plus besoin de calculer quand me laver les cheveux pour ne pas abîmer ma couleur. J’ai compris que je n’aimais pas mes cheveux blancs car je ne les avais jamais laissés prendre toute leur place. » « Je ne dirais pas qu’il s’agit d’un nouveau moi, mais plutôt du vrai moi », explique encore Adèle, notre internaute de 39 ans.
Regardez la barbe d’Edouard Philippe
Michel Messu va plus loin dans l’analyse : « Il y a eu la course à l’éternelle jeunesse, il y a celle du retour au naturel. Aujourd’hui, on se détourne des artifices et le confinement a permis de régler des conflits avec soi-même. Des femmes ont laissé tomber le soutien-gorge, comme la coloration. Elles se sont révélées, aidées par les courants libérateurs de ces dernières années. » Les
mouvements d’empowerment ont fait émerger la question de la diversité, de la « diversification de la marque des âges ». Preuve en est, selon le sociologue, un Edouard Philippe qui ne cache pas sa barbe marquée par le temps et les épreuves.
« L’époque veut que l’on affiche sa différence et les cheveux sont le moyen d’être un autre. Ils sont l’outil idéal pour montrer que l’on est à contre-courant », avance Michel Messu. « Arrêter de cacher ses cheveux blancs, c’est aussi faire un doigt d’honneur à une définition étriquée de la beauté et du féminin. C’est le rejet de normes absurdes qui disent que nous n’aurions pas le droit de vieillir et nous ne serions attirantes que lorsque nous sommes jeunes, donc fragiles et inexpérimentées », détaille à 20 Minutes Aurélie Louchart, autrice de Trop crépues ?**
Pas faux. Puisque parmi les 500 témoignages récoltés nombreux sont ceux évoquant « une liberté retrouvée par rapport au poids du regard des autres » ou le désir d’en finir avec les « normes oppressantes ». « Je ne supportais plus de me mettre des trucs et des machins sur mes cheveux et de me plier aux diktats des pubs, annonce Frédérique. Le confinement m’a aidée à sauter le pas. Mes cheveux et moi-même sommes en meilleurs termes, aujourd’hui. » « Chaque matin, c’était brushing, comptage de cheveux blancs et des ridules devant la glace, annonce Elisa, croisée à la sortie du salon Maïandra à Bordeaux. Je ne sais pas ce qui s’est exactement passé mais ce confinement m’a aidée à lâcher prise et à être plus indulgente avec moi-même. J’ai aussi vu que je n’étais pas la seule et comme d’habitude l’effet de groupe fait avancer. Finalement, au naturel, je me trouve tout aussi belle. »
« A 26 ans, on ne doit visiblement pas avoir autant de cheveux blancs »
Cinquante-cinq jours n’auront cependant pas suffi à déconfiner tous les cheveux blancs. Le cheveu blanc a pris racine du côté de la « mauvaise couleur », celle qui évoque la vieillesse, le « relâchement », la « négligence », selon nos deux experts. Depuis (trop ?) longtemps, il est celui que l’on n’accepte pas parce qu’il évoque « la fin ». Pour Clémentine, le confinement n’aura ainsi pas duré assez longtemps pour que ce blanc envoie valser les jugements. Cette « blonde aux chevaux blancs » a décidé de mettre un terme à son balayage pendant le confinement… jusqu’à son retour au travail. « Je m’étais faite à cette nouvelle tête et je pensais que mes collègues remarqueraient plus mon bronzage que mes cheveux blancs. Grave erreur. Il n’y a pas une seule personne qui n’a pas fait de remarque. A 26 ans, on ne doit visiblement pas avoir autant de cheveux blancs et j’ai pris rendez-vous chez mon coiffeur. »
Notre dossier sur le déconfinement
Des coiffeurs qui vont vite s’adapter. « Ils vont faire évoluer leurs offres, créer de nouveaux besoins, suppose Michel Messu. La coloration naturelle va se développer tandis que le cheveu blanc devra être traité, entretenu, coiffé. » Les diktats sont de retour, sous une forme nouvelle… Laurence, qui se félicite d’avoir fait des économies grâce à ses cheveux blancs coupés courts, a déjà acheté « un embellisseur qui efface les reflets jaunes ».
*Un ethnologue chez le coiffeur, de Michel Messu (Editions Fayard, avril 2013, 18 euros)
** Trop crépues ?, de Aurélie Louchart, (Hikari éditions, février 2019, 16,90 euros).
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