Louise Brévins, autrice de "Pute n'est pas un projet d'avenir" : "Entre la misère ou la puterie, j'ai choisi"

  • Des clients "casse-couilles" ou "amoureux"
  • Les clients sont-ils des hommes en souffrance ?
  • Le tabou de l’hypersexualité ou l’addiction au sexe
  • La prostitution plutôt que la précarité

« Jeune femme de 26 ans propose massage manuel avec fin heureuse. Je reçois en appartement, dans le 12e arrondissement, ou je me déplace au lieu de votre choix, dans Paris et proche couronne. N’hésitez pas à me contacter pour de plus amples informations. Au plaisir de vous rencontrer, Alma. »

Alma, c’est Louise Brévins. Elle s’est prostituée en indépendante pendant quatre ans pour s’extraire de la spirale de la misère et des dettes alors qu’elle était étudiante et mère célibataire d’une petite Gabrielle. Huit cents clients plus tard, elle a tiré de ces quatre années Pute n’est pas un projet d’avenir. Un récit cru mais sans misérabilisme, enlevé et diablement bien écrit, qui documente minutieusement son expérience.

Des clients « casse-couilles » ou « amoureux »

Marie ClaireComment avez-vous fait pour écrire un texte aussi précis et minutieux ?

Louise Brévin : Lorsque j’ai arrêté la prostitution, je me suis mise à écrire, dès le lendemain. Du matin au soir. Je voulais tout sortir, expulser. En cinq jours, j’avais écrit tout ce que j’avais à dire. Il ne restait plus que la mise en forme.

Dès le début de mon activité, j’avais pris des notes. Au bout d’un moment, les clients se confondaient tous. Ne serait-ce que pour leur donner une humanité, je notais. En relisant tout, je me suis aperçue que j’avais une somme de parcours surprenants, de demandes improbables, de réflexions bizarres. Des catégories sont apparues : « les casse-couilles », « les amoureux », « les inclassables », etc…

Ce classement est d’ailleurs très drôle…

N’est-ce pas ? Moi aussi, parfois, j’ai beaucoup rigolé. Pas sur le moment mais en le racontant après. Il y a des choses qui sont ridicules, tellement énormes… On peut se moquer de ces hommes qui se prennent tant au sérieux.

Au-delà de cet aspect, j’ai accordé beaucoup d’importance à l’écriture, je suis contente que la qualité littéraire de mon texte ait été reconnue : j’ai pesé chaque mot, j’ai placé chaque virgule. J’ai fait ce travail d’écriture avec honnêteté. J’espère d’ailleurs écrire d’autres livres, qui parleront de tout autre chose, sous mon vrai nom. Ce qui est dans ce livre mérite d’être dit mais il n’y a pas non plus une grande gloriole à écrire sur ce sujet.

Pourquoi ?

Ce n’est pas une honte mais pas une fierté non plus. Être pute n’était pas dans ma « top liste » au moment des choix post-bac. Être pute n’est pas un accomplissement.

  • « À mon seul désir » : le strip-tease vu par celles qui se déshabillent
  • Marion Vernoux, réalisatrice de « Comme des reines » : « La prostitution adolescente touche tous les milieux sociaux »

Les clients sont-ils des hommes en souffrance ?

Mais comme vous l’avez dit, votre livre vous semble important et utile…

Oui, pour mes clients. La majorité d’entre eux pense que je faisais ce job parce que j’aimais ça. Beaucoup de témoignages sont pourtant sortis sur le sujet. Les hommes savent. Mais ils sont persuadés d’avoir trouvé « la » fille qui fait ça parce qu’elle aime ça. Une façon pour eux de ne pas se dévaloriser, peu sont fiers d’avoir recours à une pute. Celle-ci fait en sorte de les déculpabiliser.

Si à la place de : « Bonjour, je m’appelle Alma, j’exerce cette activité provisoirement car j’aime rencontrer des gens », j’avais dit « je suis Louise, le cul, j’en ai rien à foutre mais j’ai vraiment besoin de tes 120 euros pour nourrir ma gosse, quitte à te pomper le dard », le client n’aurait jamais joui. Les rares fois où la réalité a pris le pas sur leurs fantasmes, ils étaient perdus comme des petits garçons quand ils découvrent que le père Noël n’existe pas.

Alors oui, c’est vrai, ce texte est aussi une petite revanche de ma part, ma façon de dire : « Voilà, Messieurs, ce que je pensais réellement de cette activité. »

Notre société sous-estime les besoins affectifs et le besoin d’être touché.

Une petite revanche mais vous dédiez également votre récit à vos « chers clients, pour tout et malgré tout »…

Même s’ils ne sortent pas vraiment grandis de ce livre, je tiens à leur rendre justice : la grande majorité a été très respectueuse. Je les ai accueillis sans jugement, avec bienveillance.

Beaucoup étaient en souffrance. Notre société sous-estime les besoins affectifs et le besoin d’être touché. En quatre ans, j’ai appris plus que n’importe quelle femme en quarante ans.

Qu’avez-vous compris plus rapidement ?

Que les femmes doivent apprendre à dissocier le cul des sentiments. J’aimerais leur faire comprendre. Des petites filles aujourd’hui sont encore biberonnées à Disney.

Croyez-moi, avant, j’étais une amoureuse de l’amour, j’ai lu tous les romans de Jane Austen et vu toutes les comédies romantiques. Les clients arrivaient tous avec leur histoire, ils en parlaient beaucoup. Je me suis retrouvée projetée dans l’intimité de leur couple, j’y ai appris énormément.

  • Quatre conseils d’expert pour renforcer durablement son couple
  • Prostitution : pourquoi ces hommes payent pour du sexe

Le tabou de l’hypersexualité ou l’addiction au sexe

Vous évoquez aussi l’addiction au sexe d’une partie de vos clients…

Oui, j’en avais beaucoup. Un sur dix environ. Ceux-là croient avoir un appétit sexuel hors-norme alors qu’ils sont malades, accros au sexe. Je tiens d’ailleurs à avertir les parents : préoccupez-vous de l’éducation sexuelle de vos enfants, filles et garçons. Si vous ne le faites pas, YouPorn s’en chargera. Or le porno sur Internet n’est pas conçu pour être éducatif mais pensé pour être addictif.

« Pute », « puterie »… Pourquoi ce choix d’employer des mots tranchants ?

Pour moi, « prostitution » est un terme hypocrite, presque noble, qui vient enrober la chose. Les mots « pute » et « puterie » sont vrais. Ce sont ceux que j’emploie dans mon quotidien.

De plus, dans l’inconscient populaire, à quoi renvoie l’insulte de « pute » ? À une personne qui n’est pas honnête. Cela fait sens : le rôle de la pute est justement de jouer un rôle. Alma et Louise n’ont pas du tout la même personnalité. Cet aspect a été très bénéfique pour moi. Il agissait comme un filtre : les fantasmes des hommes n’atteignaient pas Louise car ils étaient projetés sur Alma. Je pouvais tout à fait dire « je comprends », alors que je pensais : « Mais tu es vraiment le dernier des connards. » Alma, elle, était toujours dans la pédagogie, l’accompagnement, la douceur…

Et pourtant, les personnalités d’Alma et de Louise ont fini par se confondre…

Après un certain temps, je ne savais plus à quel moment je pouvais être Alma ou Louise. Cela me rendait cinglée et j’en avais conscience. Je ne pouvais plus supporter ces hommes qui ne voulaient pas respecter les conditions de départ, très claires pourtant. À la fin, tu en viens à être dégoûtée du sexe, de leur sexe, des odeurs… Pierre Desproges disait : « Dieu a donné à l’homme un cerveau et un sexe mais pas assez de sang pour irriguer les deux à la fois… »

On est beaucoup plus près de la réalité d’un homme quand il bande, mais alors quand il bande avec une pute, il est en détente complète et c’est là que sa personnalité réelle apparaît. Et ce n’est pas toujours un spectacle réjouissant.

À un moment donné, il faut arrêter, cela amoche trop. Mon humanité, mon empathie en étaient salies. Alors que c’est ce qui m’a permis d’écouter ces hommes et a contribué à mon succès. (Elle rit.) Mais je n’arrivais plus à être Alma. Je me dégoûtais. J’avais de l’eczéma partout. Il a disparu deux jours après que j’ai cessé mon activité.

  • Un ex-addict au porno lance une thérapie pour sortir de cette addiction taboue
  • Addiction : comprendre le phénomène de dépendance

La prostitution plutôt que la précarité

Comment avez-vous arrêté ?

J’avais la capacité financière pour le faire. Je gagnais beaucoup d’argent et en dépensais peu. Je ne me prostituais plus pour sortir de la misère – raison qui m’y avait amenée – mais pour maintenir mon train de vie. C’est là qu’est le danger.

Et nous en arrivons à votre titre, très clair, Pute n’est pas un projet d’avenir. Pouvez-vous l’expliquer plus en détail ?

Mon texte n’est ni un encouragement ni un découragement à se prostituer. Il contient néanmoins une mise en garde ou un conseil : si vous y allez, ayez un projet. Le mien était d’être artiste plasticienne. Je le suis aujourd’hui.

Évidemment, je n’ai plus du tout le même revenu. En restant longtemps prostituée, on s’habitue à avoir de l’argent, à ne rendre aucun compte, à ne pas avoir de patron… Raccrocher avec le monde professionnel devient très difficile. Or, les tarifs d’une pute ne font que décroître avec l’âge. Je ne parle même pas de la retraite. J’insiste, il faut déclarer son activité, au moins en partie, pour rester connectée. Sinon, au bout, il n’y a rien.

Une fille qui ne sait pas poser de limites n’est plus une pute mais une poupée gonflable.

Au-delà des précautions financières, comment êtes-vous parvenue à ne pas ressortir détruite de cette expérience ?

Les raisons sont multiples. Ma personnalité a fait beaucoup. Pour paraphraser Flaubert, ce qui déchire certaines personnes en érafle d’autres. Le fait de ne pas cacher mon activité à mon entourage a été protecteur. J’en parlais à mon frère, mes amis. Ils me tiraient vers le réel. Cela me permettait d’en rire, d’avoir du recul quand j’étais dans l’action.

Surtout, j’avais une prestation très cadrée, je n’en ai jamais dévié. Une fille qui ne sait pas poser de limites – et il y en a beaucoup – n’est plus une pute mais une poupée gonflable, qui se laisse porter au gré des fantasmes des clients. Revenir d’une telle épreuve doit être très long. Je n’ai jamais eu envie de m’embarquer dans des plans sordides. Plus que tout, Gabrielle a été mon garde-fou.

Avez-vous déjà pensé à ce que vous direz à votre fille ?

Un jour, Gabrielle saura. Plus tard car elle n’a que 10 ans. Je ne veux surtout pas qu’elle croie « maman a dû faire ça à cause de moi ». J’ai rempli mon devoir de parent.

Entre deux maux, la misère ou la puterie, j’ai choisi le moindre. C’était de loin bien moins pire que d’avoir à lui faire vivre son enfance dans la précarité. Les difficultés financières et les angoisses d’adultes font grandir dans une insécurité permanente, traumatisante. C’est terrible pour la construction de soi.

Car, et c’est très important, vous ne regrettez rien…

La puterie m’a sortie du trou, m’a permis de préserver ma dignité et de subvenir aux besoins de ma fille. Elle m’a apporté plus qu’elle ne m’a pris. Le constat peut paraître terrible, mais c’est une réalité. Je sais tout ce que je lui dois.

Pute n’est pas un projet d’avenir (Éd. Grasset), parution le 12 avril 2023.

Cette interview a été initialement publiée dans le magazine Marie Claire numéro 848, daté mai 2023.

  • Sexe et dépendance : "Je ne sais plus faire l’amour sans alcool"
  • Considérer le sexe comme un loisir mène à une vie amoureuse et intime plus épanouie

Source: Lire L’Article Complet