« L’objectif n’est pas de faire la propagande de la pénétration anale »

  • La bande dessinée L’homme pénétré, parue le 11 janvier 2023 aux éditions La Boîte à Bulles se frotte au sujet de la pénétration anale chez les hommes.
  • Martin Py et Zoé Recondo y décortiquent le sujet au moyen d’une enquête de 150 pages pour explorer en profondeur comment le tabou qui l’entoure peut être source de violences.
  • Une pratique codifiée jusque dans l’usage des mots utilisés pour en parler. « Le mot pénétrer a une connotation de domination où ce sont les femmes ou les hommes homosexuels se retrouvent dans une position d’être pénétrés, donc dominés. C’est toute une histoire de domination patriarcale », estime Martin Py auprès de 20 Minutes.

Et si le monde devenait meilleur si chaque homme était pénétré ? C’est la question à laquelle Martin Py et Zoé Redondo tentent de répondre au travers de la bande dessinée L’homme pénétré, parue aux éditions La Boîte à Bulles. Sur base d’une enquête statistique organisée en 2019, ils détaillent comment le « tabou » autour des fesses de certains hommes peut être à la base de nombreuses violences.

Grâce à un récit de 150 pages basé sur des témoignages réels de quatre personnes aux profils différents, les auteurs explorent le sujet en profondeur. Tandis qu’il sera présent au festival d’Angoulême qui ouvre ce jeudi 26 janvier 2023, Martin Py revient sur l’enquête lui ayant permis de constater que ce sujet « choc » est une pratique sexuelle plus courante qu’il n’y paraît. « Ça vient toucher les gens dans leur identité. Quand on demande aux mecs ce qu’ils pensent qu’un homme soit pénétré, ils se posent des questions sur les sensations, sur ce qu’ils peuvent ressentir. », explique-t-il à 20 Minutes.

Est-ce que poser des questions sur la pénétration anale masculine a rendu votre enquête plus difficile ?

À chaque fois que je mentionne le sujet quelque part, ça fait sursauter, surtout les mecs hétéros. La semaine dernière, je buvais des bières avec une copine accompagnée par l’un de ses amis. On a très vite parlé de mon livre et le mec s’est directement emballé en disant : « Je ne suis pas homosexuel, pourquoi vous me parlez de ça ? » Il y a une espèce de réticence discriminante à tout ça et beaucoup de gens sont mal à l’aise avec le sujet.

Avez-vous été surpris par les résultats ?

Oui et j’ai été surpris tout au long de ma recherche. J’ai d’abord appris que 59 % des hommes hétérosexuels n’ayant jamais eu de rapport sexuel avec un autre homme disaient s’être déjà fait pénétrer par une partenaire féminine. Cela inclut à la fois anulingus, masturbation ou encore pénétration anale… Concernant la masturbation anale, 44 % des hommes hétérosexuels disent y avoir déjà eu recours seuls.

Mais ces chiffres s’effondrent lorsqu’il s’agit d’en parler…

Sur tous ces hommes qui ont déjà été pénétrés soit par eux-mêmes, soit pas une partenaire féminine, seulement 4 % sont capables d’en parler publiquement. Au niveau des hommes homosexuels, il y en a seulement 15 % qui sont capables d’en parler publiquement sur ceux qui se sont déjà fait pénétrer, ce qui n’est pas beaucoup plus.

Pour amorcer « L'homme pénétré », Martin Py a recueilli le témoignage de 630 personnes sur la pénétration anale masculine en 2019.

Peut-on parler d’invisibilisation de ce sujet ?

Oui car ce décalage entre les pratiques qu’ont les individus et l’aisance d’en discuter publiquement va au-delà d’une pudeur à la sexualité. La pénétration annale est complètement invisibilisée chez les hommes car considérée comme rattachée à des orientations sexuelles et des idées de genre. Et comme dans tous les sujets tabous, il y a des violences structurelles qui viennent s’y insérer.

Qui sont les victimes de ces violences ?

Des hommes hétérosexuels qui ont honte d’avoir ces pratiques-là, d’autres hommes hétérosexuels qui ne pratiquent pas la pénétration et passent à côté de quelque chose qui pourrait leur faire du bien ou encore des hommes homosexuels qui ont une espèce d’injonction à avoir ces pratiques car elles sont rattachées à leur orientation sexuelle. Mais aussi pour les femmes d’une manière générale parce que culturellement, on met toujours les personnes qui sont pénétrées dans une position d’infériorité.

C’est d’ailleurs ce que les témoignages retranscrits dans « L’homme pénétré » illustrent…

Au travers de quatre témoignages de personnes au profil différents, on constate qu’il y a plein d’autres choses que la pénétration anale masculine qui viennent se loger autour de ce sujet. L’une des intervenantes va jusqu’à parler de viol… Ce n’est pas si éloigné que ça car derrière ces dogmes de l’injonction pour une femme hétéro à se faire pénétrer, certaines subissent des rapports sexuels car elles s’en sentent obligées. Derrière cette injonction à se faire pénétrer si on est gay ou si on est une femme, ou à ne pas se faire pénétrer si on est hétéro, il y a des formes de violence.

Vous voulez dire qu’il existe aussi toute une dimension culturelle à la pénétration annale masculine ?

Le mot pénétrer a une connotation de domination où ce sont les femmes ou les hommes homosexuels se retrouvent dans une position d’être pénétrés, donc dominés. C’est toute une histoire de domination patriarcale qui vient aussi dicter nos rapports intimes et qui code les pratiques sexuelles dans des représentations spécifiques.

Et ces représentations s’insèrent jusque dans la communauté LGBTQIA +…

Du côté des communautés gays, on constate qu’au niveau des représentations de genre, les personnes qui se considèrent comme passives en recevant des choses dans leur corps sont beaucoup plus stéréotypées efféminées. De l’autre côté les actifs, ceux qui sont dans des rapports où ils ne veulent que pénétrer d’autres hommes, sont dans des représentations beaucoup plus stéréotypés virils. Jusqu’à il n’y a pas très longtemps, on considérait dans tout le pourtour méditerranéen que les hommes qui pénétraient n’étaient pas considérés comme homosexuels. On voit bien que ces codifications de qui pénètre et qui se fait pénétrer, elles traduisent des positionnements identitaires forts et elles emprisonnent certaines personnes dans des représentations genrées.

On n’imagine pas que ce sujet revêt d’autant de discours sous-jacents. Quelle a été votre impulsion initiale à vous frotter à ce sujet ?

J’ai commencé à travailler sur ce sujet car je me questionnais moi-même en tant qu’individu. En faisant cette BD, j’ai appris énormément de choses car je n’avais aucune idée de ce qu’était l’orgasme prostatique, de ce que ça pouvait provoquer, de qui pratiquait ça ou non… L’objectif final n’est pas de faire la propagande de la pénétration anale mais de permettre aux lecteurs et aux lectrices de se questionner sur leurs rapports sexuels et comment ils sont coincés dans des formes de sexualité qui les cloisonnent.

Qu’avez-vous envie de dire aux hommes hétéros qui refusent d’en parler ?

Ce que j’ai envie de dire aux mecs hétéros, c’est que si vous ne voulez pas que vous ou votre partenaire vous mette des doigts dans les fesses, il n’y a aucun souci, mais posez-vous la question de pourquoi vous ne voulez pas. Et ça ne veut pas dire qu’il faut le faire mais ça veut dire que derrière ces injonctions à la sexualité, en fait on imagine que c’est une histoire de goût mais en fait pour moi c’est énormément rattaché à des injonctions culturelles.

Dans L'homme pénétré, Martin Py et Zoé Redondo évoquent la pénétration anale masculine pour aborder "un tas de sujet autour de la sexualité".

Y a-t-il selon vous des avancées à faire à ce sujet à l’école ?

La sexualité, on la considère comme un peu innée. Certains parents se disent : « Ça va se faire tout seul. » Du côté de l’éducation nationale, les cours de sexologie restent hyper biologiques et on n’évoque jamais les goûts ou pourquoi on a certains types de rapports. J’aurais tellement aimé qu’on me parle de consentement au collège, j’aurais tellement aimé qu’on me parle de qu’est-ce que c’est d’être un pénétrant, un pénétré, pourquoi on a ces pratiques-là et qu’est-ce qu’elles veulent dire… Je sais que ça fait hurler beaucoup d’adultes mais ce que j’aimerais le plus c’est que ce soient des ados qui lisent notre livre car ça leur éviterait beaucoup de violence.

Dans son livre, Martin Py estime que plus de communication autour de la pénétration anale masculine améliorerait les rapports entre les genres.

Votre livre est sorti depuis plusieurs semaines, certaines réactions vous ont-elles étonnées ?

J’ai reçu énormément de messages de soutien de gens qui me disent des trucs très touchants. Récemment, une dame de 40 ans m’a dit : « Je viens à peine de découvrir ma sexualité avec mon mari, merci d’étudier ce sujet. » Les gens ne se prononcent pas trop publiquement mais je reçois énormément de messages en privé. Lors d’une séance de dédicaces, un papa est venu me voir en me confiant qu’il pratiquait la pénétration annale avec sa femme depuis des années et en me remerciant de parler de ça. C’est chouette car cela génère des discussions, ce n’est pas juste un sujet choc !

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