Les YouTubeurs scientifiques, nouveaux gourous écolos des 15-25 ans ?

Professeur Feuillage, Maxime Ginolin, Max Bird… Ces vidéastes vulgarisent la science et s’intéressent de plus en plus à celle de l’environnement. Un moyen de sensibiliser massivement les 15-25 ans aux problématiques écologiques et de les encourager à aiguiser leur propre sens critique.

  • Facebook
  • Twitter
  • Pinterest
  • Linkedin
  • Whatsapp

Certains se rappellent d’une vidéo Youtube comme d’un déclic écologique. Saladin en fait partie : il est devenu végétarien il y a six ans, une semaine après avoir visionné «Le jugement», une vidéo de Maxime Ginolin. Le début d’un appétit insatiable pour la vulgarisation scientifique. Doucement mais durablement, elles lui apprennent à faire évoluer ses habitudes de consommation. Aujourd’hui l’étudiant en formation d’éducateur sportif ne mange plus de viande, favorise les circuits courts et locaux, et achète le plus souvent possible des objets de seconde main.

Saladin n’est pas le seul à avoir été sensibilisé via Youtube à une consommation plus éthique et responsable. Au milieu des années 2010, l’utilisation de la plateforme explose. Ces mêmes années, la conscience écologique s’étend chez les jeunes. Les premiers vidéastes vulgarisateurs tentent de sensibiliser à l’écologie. On les désigne souvent comme des «Youtubeurs scientifiques», même si la plupart des concernés répugnent à voir leur fonction réduite au nom de la plateforme qu’ils utilisent. L’idée est simple : aider les jeunes à comprendre des travaux scientifiques qui ne leur sont pas accessibles. Et ça marche. En février 2020, une enquête Ipsos en partenariat avec Lecture Jeunesse et plusieurs ministères établit que 43% des 15-25 ans regardent au moins une vidéo scientifique sur Youtube par semaine. Ils sont aussi 37% à être abonnés à au moins un vidéaste scientifique. Beaucoup, parmi cette jeune génération biberonnée à la crise climatique, décident d’adapter leur mode de vie à grands coups d’éco-gestes.

La recette parfaite

Des gestes parfois radicaux : Léo a ainsi décidé d’arrêter le frigo. Il faut dire que quand on ne mange plus de viande et peu de produits frais en dehors des légumes, l’utilité d’un frigidaire n’est plus si évidente. À 22 ans le jeune homme a aussi arrêté les bains, ainsi que les vêtements et objets neufs ou dispensables. Il favorise l’achat de seconde main, emprunte, ou construit avec son père certains meubles pour son futur appartement. Il mange local et de saison, et a convaincu ses parents d’installer un composteur dans leur jardin. Pourtant, Léo ne connaît pas le nom des grands activistes environnementaux, l’état de la grande barrière de corail australienne ou le taux de déforestation en Amazonie. Qu’importe, pour lui l’essentiel c’est de commencer par agir à son échelle. «Je ne veux pas me compliquer la vie, mais juste emprunter le chemin le plus respectueux de l’environnement quand j’ai un choix à faire», explique l’étudiant en faculté d’anglais. Il a trouvé chez les Youtubeurs scientifiques des professeurs qui correspondent à sa démarche.

À commencer par le format de leurs vidéos. «Les youtubeurs sont là pour t’expliquer la science avec bienveillance», s’enthousiasme-t-il. Des mots simples et des sources sûres, un montage plein d’humour, un ton léger et un interlocuteur qu’on a envie de tutoyer : c’est la recette d’une vidéo de vulgarisation à succès. Et c’est celle qu’applique Mathieu Duméry. Connu de son public sous le nom de Professeur Feuillage, il était l’un des premiers à s’atteler à l’éducation écologique sur Youtube. «Je suis devenu vulgarisateur parce qu’à un moment donné, je n’ai moi-même pas compris et me suis dit : on nous explique mal, et il va falloir que quelqu’un trouve les mots pour que les gens comprennent, raconte-t-il. Le public veut se distraire et se cultiver en même temps. Au départ on voulait attirer les gens avec de l’humour, parler de sujets sérieux et anxiogènes en riant malgré tout.»

La science avant l’activisme

Avant d’être un mouvement capable de faire rater l’école à des foules de lycéens militants à travers l’Europe, l’écologie est bien une science. Plus exactement, celle qui étudie les êtres vivants, leurs milieux et les interactions entre eux. Ces interactions, Maxime Déchelle les a longuement observées lors de son adolescence passée auprès de biologistes dans la forêt amazonienne de Guyane française. D’abord acteur de stand-up dans son encyclo-spectacle, une sorte de «C’est pas sorcier» sur scène, il se lance plus tard sur Youtube sous le nom de Max Bird. Mais c’est seulement lorsque l’ancien ministre de la Transition écologique et figure de la lutte écologiste Nicolas Hulot quitte le gouvernement que le vidéaste décide d’user de sa voix et de son influence pour parler d’écologie sur sa chaîne Youtube. Sa dernière vidéo portant sur le réchauffement climatique a atteint le demi-million de vues. «On dit aux gens que les sciences et l’écologie sont trop compliquées pour eux, déplore Maxime Déchelle. Ça met la population dans une attitude passive, qui est responsable des problèmes que l’on connaît aujourd’hui. Je crois profondément que chacun doit avoir la curiosité de comprendre le fonctionnement du monde pour que ça aille mieux».

Déconstruire les idées reçues

Si les vulgarisateurs connaissent un tel succès, c’est justement parce qu’ils prêchent l’écologie comme une science, et non comme un engagement politique. Sur Youtube, les titres de leurs vidéos contredisent souvent les idées reçues. La chaîne Dirty Biology de Léo Grasset en regorge : «Les OGM sont-ils nocifs ? (non)», «Manger local est-il si bon pour la planète ?», «Les (bonnes?) surprises du changement climatique». En s’appuyant uniquement sur la recherche scientifique, ces vidéastes visent à prendre le contre-pied de l’opinion communément admise. Ils décortiquent des sujets plus complexes qu’il n’y paraît, ou démontent les biais cognitifs de confirmation par l’imaginaire collectif. On y apprend par exemple que manger les haricots kenyans importés par cargo mais issus de techniques de productions au bilan carbone bas, peut être plus écologique que de consommer des haricots européens. Une pratique qui donne confiance à Sophie, étudiante en journalisme et grande consommatrice de ces vidéos. «Le fait que des vulgarisateurs se permettent d’aller à rebours du sens intuitif de « tout ce qui est artificiel est mauvais », ça permet de montrer que l’écologie est complexe, qu’il ne suffit pas de manger bio et d’aller au marché», explique-t-elle.

Le podcast à écouter

Autre outil précieux pour aiguiser l’esprit critique des spectateurs : les sources, régulièrement citées sous les vidéos, gage de fiabilité. Tant et si bien que leur présence entraîne parfois un biais chez le public, comme chez Sophie qui l’admet volontiers. «Je me rends compte que je n’ai jamais cliqué sur les liens des sources, alors que j’ai la prétention de dire que j’ai un petit esprit critique, s’amuse-t-elle. On se dit que puisqu’il citent leurs sources, s’ils disaient des bêtises on le saurait !». Les vulgarisateurs s’efforcent pourtant d’encourager leurs spectateurs à aller s’assurer de la fiabilité des travaux scientifiques cités. «La seule manière d’être certain, c’est d’aller vérifier soi même, appuie Max Bird. Quand je les cite, ça n’est pas pour me donner du crédit. C’est pour qu’on puisse me contredire en cas d’erreur.»

En vidéo, Greta Thunberg, l’activiste écolo qui inspire des milliers de jeunes

« Nous sommes une porte d’entrée »

Un travail d’autant plus essentiel que la majorité de la recherche scientifique n’est pas accessible aux non-initiés. «On a plein d’experts incroyables qui n’arrivent pas à transmettre leurs recherches, parce qu’ils sont tenus à une rigueur extrême», détaille Maxime Déchelle. Ces scientifiques ont besoin de relais : ce sont les médias, les professeurs… et désormais les vulgarisateurs. Lesquels doivent parfois sacrifier la rigueur absolue pour toucher plus de monde. Ce qui fait de leur travail une pratique risquée. «Nous faisons des sketch accrocheurs pour que les gens comprennent mieux, expose Maxime Déchelle. Mais un vulgarisateur peut mal vulgariser. Il suffit parfois d’un raccourci trop rapide pour que la vérité soit déformée.» S’il sait pointer du doigt les failles de son métier, le vidéaste appelle également à l’indulgence. «Nous faisons certes des raccourcis pour un contenu plus percutant. Mais le nombre de gens qui sont touchés par ces idées parce qu’elles sont plus digestes, c’est précieux, se réjouit-il. Nous sommes une porte d’entrée.»

Pour les jeunes qui regardent ces vidéos, l’enjeu est global : comprendre le monde qui les entoure pour mieux le préserver. Le format quotidien des vidéos de vulgarisation scientifiques, qui s’immiscent dans les fils des réseaux sociaux et partagées en un clic, brise le cycle protocolaire et inaccessible des productions scientifiques. Avec tous les dangers qu’il comporte, il rend enfin la science accessible par tous au quotidien. Selon Maxime Déchelle, la prise de conscience est encore plus urgente dans le contexte actuel. «Le Coronavirus est le résultat de notre gestion des espaces sauvages, de notre mondialisation biocide et irresponsable», affirme-t-il. Même si aucune étude ne relie encore formellement la pandémie de coronavirus à la crise écologique, la science établit par exemple des liens entre la destructions d’espaces sauvages par l’homme et la transmission de maladies par les animaux. Pour Max Bird, la question de la protection de l’environnement n’est plus seulement écologique. Elle est devenue une question économique et de santé humaine immédiate.

Invités spéciaux

Dix-huit étudiants du Centre de formation des journalistes (CFJ) ont collaboré à notre numéro Spécial Green du 26 juin 2020. Cet article a été écrit par Enola Richet, l’une des étudiantes de la promotion 2019-2021 du CFJ.

«Bretonne un peu trop fière débarquée à Paris, j’ai eu la chance de trouver ma place cette année au Centre de Formation des Journalistes. J’aime parler aux gens d’éducation, d’écologie, de mémoires ou de Gastronomie. Mais à 22 ans, je rêve surtout de partir couvrir l’actualité sur les côtes britanniques, où dans les métropoles allemandes.» – Enola Richet

Source: Lire L’Article Complet