- La Nuit des Musées 2020 a lieu ce samedi soir, en version numérique en ligne à cause du confinement.
- Depuis plusieurs années, les musées ont développé des offres numériques, notamment des visites virtuelles.
- Omer Pesquer, spécialiste des technologies et des usages associés au numérique pour le secteur culturel, estime que ces initiatives sont trop rares et en retard sur leur époque.
Elle devait avoir lieu au mois de mai. A cause de l’épidémie de coronavirus et du
confinement, elle avait été reportée au 14 novembre… Caramba encore raté ! Le pays est encore confiné et les musées fermés. Qu’à cela ne tienne,
la Nuit des Musées 2020 sera numérique. Le mot d’ordre est « la Nuit des Musées chez nous », une forme d’invitation à « visiter » les musées depuis chez soi et devant nos écrans connectés, où, soyons honnêtes, nous passons déjà pas mal de temps.
Désormais habitués à décliner, en ligne, leurs expositions,
les musées se sont mis au diapason de cette Nuit des Musées numérique avec des propositions
diverses et variées, mais pas tant que ça. Grosso modo, il s’agira de visites virtuelles,
de concerts sur Instagram… Certains établissements reconduisent point pour point l’opération prévue pour le mois de mai, mais par écrans interposés. On retrouve par exemple LA grande star des opérations labellisées Nuit des Musées :
la visite à la lampe torche, à la nuit tombée.
Cette Nuit des Musées numérique sous contrainte est l’occasion de faire le point sur l’adaptation des institutions à l’ère du numérique en ligne. Omer Pesquer, consultant senior spécialiste des technologies et des usages associés au numérique pour le secteur culturel, est assez désabusé. L’auteur de
l’indispensable infolettre Muzeodrome, qui fête son premier anniversaire, revient pour 20 Minutes sur « la Nuit des Musées chez nous ».
Cette Nuit des musées est un peu le sommet de ce que les musées nous ont offert pendant le confinement. Les musées français ont-ils franchi un cap ?
Les musées ont beaucoup communiqué sur leurs offres numériques en ligne lors du premier confinement, et c’est à nouveau le cas pour cette Nuit des Musées numérique. Mais c’est une communication quantitative. J’aimerais avoir des retours qualitatifs sur ces opérations. Pour être honnête, les visites virtuelles telles qu’elles sont en général proposées par les musées français, je n’y crois pas. Qui aime ça ? Connaissez-vous vraiment des gens qui ont fait ces visites virtuelles et qui ont été réellement satisfaits ?
C’est mieux que rien malgré tout, quand les musées sont fermés ou lointains…
Oui, je grossis un peu le trait, certaines visites virtuelles de musées peuvent tout de même être agréables. J’ai en tête l’exemple du
MuséoParc d’Alésia qui a mis en place une visite virtuelle de son exposition Dans les cuisines d’Alésia avec un décor dessiné. Il s’agit d’une autre version de l’exposition, avec un vrai plus. D’habitude, les visites virtuelles ne cherchent qu’à reproduire la réalité de l’exposition, et c’est souvent décevant.
Qu’est-ce qui manque dans une visite virtuelle en ligne ?
Le musée n’est pas un lieu anodin. Sa mission initiale était de créer des citoyens… avec d’autres citoyens. La notion de découverte collective est primordiale. Etre seul dans sa visite virtuelle, c’est déprimant et ce n’est pas, à mon sens, ce que le musée doit proposer. Je me souviens que le Centre des monuments nationaux, par exemple, avait organisé des visites virtuelles sous la forme d’un jeu vidéo dans les lieux dont le CMN a la charge. Par exemple à la cathédrale de Saint-Denis. Il fallait résoudre des énigmes, jouer, avec d’autres joueurs. Il y avait une rencontre entre visiteurs virtuels, et aussi des médiateurs en ligne. Les pratiques numériques, notamment des plus jeunes avec les réseaux sociaux ou les jeux en ligne, sont des pratiques communes, avec du partage et des échanges. La plupart des musées n’ont pas pensé à ça avec leurs visites virtuelles. En France, le numérique est perçu comme un outil qui permet surtout de dupliquer le réel. On manque d’idées nouvelles…
Mais ça prend du temps de trouver des idées…
Tout ça est tout de même déjà ancien. Depuis plusieurs années, il n’y a plus vraiment de ruptures technologiques auxquelles il faudrait s’adapter, mis à part une massification des usages. L’arrivée des musées français sur les réseaux sociaux date de 2008. Et pour YouTube, c’est encore plus ancien. Et les visites virtuelles existaient déjà à l’époque des CD-Rom. Très peu de musées fabriquent leur numérique eux-mêmes. Paris Musées, qui rassemble quatorze musées de la Ville de Paris, dispose d’un service du numérique transversal. C’est déjà très bien, et rare, mais c’est une toute petite équipe. En général, le numérique est présent un peu partout dans l’organigramme d’un musée, à la communication, au service des publics, à la conservation… L’énergie est diluée et il y a rarement des directions communes et stratégiques sur ces questions-là.
Mais Paris Musées a innové l’an dernier sur la question numérique en mettant en open data l’intégralité de ses collections.
Paris Musées est en pointe avec son geste, très fort. On pensait que ça allait rapidement ouvrir la porte pour d’autres mais pas du tout… Là aussi c’est un mouvement très lent. En 2010, à Paris, il y avait eu une grande conférence sur ces sujets avec Wikimédia. Les intervenants pensaient que ça allait se faire de façon massive dans les trois ans… Les blocages aux changements étaient et restent très forts.
Pour cette Nuit des Musées numériques, les grands musées parisiens sont étrangement absents. Est-ce le rôle des grands musées comme le Louvre d’être à la pointe sur ces questions ?
On constate que bien souvent les grands musées parisiens sont plutôt « en retard » au niveau des usages. Le Musée de Bretagne a mis ses œuvres en open content en premier. Les musées de Toulouse ont ouvert leurs contenus. Il y a énormément d’exemples comme cela. Quand un grand musée parisien annonce une idée innovante, il n’est pas rare qu’un musée en région ait déjà développé cette idée… Il existe depuis dix ans une communauté de muséogeeks, des professionnels intéressés par le numérique et les musées. Quand un de ces muséogeeks arrive dans un musée, il peut mettre en œuvre certaines idées nouvelles. Mais la communauté muséogeek est moins active et surtout moins soudée aujourd’hui, c’est dommage.
Peut-être les propositions sont-elles plus institutionnelles mais aussi plus nombreuses. Le programme de cette Nuit des Musées est tout de même très riche avec de très nombreux musée qui joue le jeu du Palais Galliera à Paris, et son exposition Chanel, au musée des arts décoratifs de Bordeaux avec son exposition sur les sneakers, Playground…
Il y a quelques exemples intéressants, c’est vrai. Mais on peut tout de même regretter que l’énergie et le temps ne soient pas ou peu mis pour amplifier le développement d’un numérique en ligne commun. Il y a très peu d’offres globales éditorialisées, avec un vrai propos, comme on en voit en revanche dans les expositions conventionnelles. Les musées s’emparent assez peu de la culture fan par exemple, qui est très puissante dans le monde du numérique : l’univers des séries, des jeux vidéo… Il y a aussi une certaine peur des engagements comme le féminisme, le mouvement Black Live Matters, la défense des LGBT. Aux Pays-Bas, le Rijksmuseum Boerhaave propose une exposition sur l’histoire des virus, et il en profite participer au débat du pays sur la vaccination. Ce serait très inattendu de la part des musées français qui fuient souvent les polémiques et les confrontations.
Quel rapport avec le numérique ?
Le numérique en ligne permet de s’adresser directement à des segments de la population, des communautés. Et donc d’être plus accueillant pour tous.
Le mot d’ordre de cette Nuit des Musées est « la Nuit des Musées chez nous ». On peut l’entendre comme une invitation…
Je ne l’entends pas exactement comme ça. Au contraire, je trouve que ce « Chez Nous », ferme la porte.
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