Les surnoms au travail, des micro-agressions déguisées en marques d'affection

  • Des surnoms dévalorisants déguisés en taquinerie
  • Le ton et l’intention donnent au surnom sa connotation
  • Les bons comportements pour éviter les débordements

Dans un post Linkedin publié en décembre 2022, Dang-Minh Tran, fondatrice et responsable des opérations chez Projet ADELPHITÉ, dénonçait l’utilisation des surnoms au travail. “Non, ce n’est pas affectueux. Ce n’est pas mignon. C’est malaisant et pas professionnel”, écrivait-elle alors. 

Différents des diminutifs, les surnoms du type “ma belle”, “poupée”, “poulette”, “ma petite” et autres sont “rarement valorisants » acquiesce Mélissa Pangny, psychologue du travail. 

Parfois, ils se muent même en micro-agressions, quand ils sont motivés par la moquerie ou servent à minimiser la position d’une personne (très souvent une femme), la réduisant à son qualificatif infantilisant. 

Des surnoms dévalorisants déguisés en taquinerie

“En général, pour les diminutifs vous avez l’accord de la personne, souvent c’est même elle qui préfère cette dénomination. À l’inverse, le surnom, on nous le donne sans réelle raison et même si c’est un adjectif positif, cela reste problématique”, nuance d’entrée Mélissa Pangny. 

Qualificatif “valorisant” référant à des critères physiques vus comme des compliments ou utilisation d’articles possessifs pour “adoucir” un surnom dégradant, Aurélie* connaît bien. Depuis quelques années, elle travaille pour une entreprise familiale, où les dysfonctionnements sont nombreux. 

Parmi eux, son patron qui l’interpelle régulièrement à coups de “ma grosse”. “C’est arrivé très vite quand j’ai commencé, dans la boîte il n’appelle jamais vraiment personne par son prénom, sa fille par exemple c’est ‘la chieuse’ ». 

Quand Aurélie fait part de son malaise, « mal dans [sa] peau et honteuse » à l’idée que des clients puissent entendre comment son patron se réfère à elle, son employeur lui rétorque que c’est affectueux, “comme à la maison”. « Je suis obligée d’accepter, sinon c’est moi qui installe la mauvaise ambiance », traduit-elle. 

“En effet, il est possible que certaines personnes ne voient pas le mal, notamment parce qu’elles se disent que c’est de la taquinerie et que l’inverse ne les dérangerait pas. Mais cette excuse de l’affectif n’a pas lieu d’être dans le monde professionnel, même quand ils sonnent ‘mignons’”, souligne Mélissa Pangny. 

Le ton et l’intention donnent au surnom sa connotation 

Car, tous les « petits noms » peuvent être dévalorisants, suivant le ton utilisé et l’intention de la personne. “Ma belle”, “ma petite”, “ma mignonne”… Tant de qualificatifs paternalisants qui peuvent dévaluer la crédibilité professionnelle de la personne. 

Parce que ces surnoms concernent majoritairement les femmes, comme le confirme la psychologue du travail. “C’est plus rare de voir des hommes affublés de ces mêmes types de dénomination”. Dans un article, la BBC reprenant les réactions suscitées par une question posées sur le forum Quora, cite un répondant faisant état du même constat. « Je suis un mec, donc je ne fais pas face à ce genre de choses, du moins pas au même degré », écrit-il. 

“La fouine, la pipelette, la jeune… J’en ai connu des surnoms”, soupire Alicia, 26 ans. Après avoir travaillé dans les médias et dans la vente, elle note plusieurs cas de figure. « D’abord, il y avait mes collègues plus âgés qui n’aimaient pas me voir avec des responsabilités et qui me ramenaient à mon jeune âge, et donc à mon manque d’expérience, par ces surnoms », raconte-t-elle. 

Pour Mélissa Pangny, il s’agit bien d’un moyen de déshumaniser la personne. « Dès lors qu’on utilise un surnom au lieu du prénom, ça enlève une certaine identité, il y a moins de valeur et on nous prend moins au sérieux. En disant ‘ma petite’, on donne une certaine place à la personne. On ne se permettrait jamais ça avec un directeur par exemple », poursuit la spécialiste. 

La psychologue du travail est formelle, tout est une question de ton, d’intention et d’accord. « Puis, j’avais quelques collègues qui m’appelaient ‘nénette’ et je trouvais ça mignon. Mais quand d’autres personnes extérieures à mon groupe ont commencé à l’utiliser aussi, je n’ai pas apprécié. J’avais l’impression que personne ne me prenait au sérieux », continue Alicia.  

« Certains collègues devenus amis peuvent avoir des surnoms. Un problème se pose quand il y a des débordements via d’autres personnes de l’équipe. Avec un manager par exemple, ce n’est pas la même dynamique, il y a le lien de subordination et c’est gênant », ajoute Mélissa Pangny. 

Les bons comportements pour éviter les débordements

Comme l’utilisatrice de Linkedin le note dans son post, parfois ces surnoms sont aussi des agressions racistes. « Personne n’a envie d’être l’Asiatique de service ou le Noir de l’équipe », dénonce-t-elle. « Pourtant, c’est courant », regrette Nicolas*. Lui a pu faire ce constat dès ses premiers pas dans le monde du travail. 

« À l’époque, j’étais en stage dans une grande boîte. Quand je suis arrivé, on m’a fait comprendre que les stagiaires n’avaient pas de prénoms. Moi je suis grand et noir, donc c’était ‘le grand Black’« , raconte le jeune homme. « Dans ce cas-là, il faut réagir très vite. On fait remonter au service des ressources humaines, il n’y a pas besoin d’une enquête mais d’une vraie réactivité », appuie Mélissa Pangny.

Parce que dans certains cas, ces surnoms peuvent être un premier « red flag » en entreprise. « C’est une porte ouverte au harcèlement au travail. Par la suite vont s’ajouter d’autres choses, on devine bien que celui qui appelle une personne ‘ma petite’ ne la valorise pas tellement. Ça ne s’arrête pas à une seule phrase« . 

Selon la psychologue du travail, il faut rapidement remettre les choses en place. « Il faut être cash, dire ‘je ne veux pas être appelé comme ça’, sinon ça va être compliqué de s’en sortir ».

Cependant, la spécialiste note la difficulté de se faire entendre et comprendre, notamment dans une entreprise comme celle d’Aurélie. « Quand c’est instauré dans l’entreprise comme une preuve que l’équipe est chaleureuse, c’est très difficile de ne pas avoir l’étiquette ‘rabat-joie’. Souvent, on tombe dans la banalisation. Les gens ont du mal à comprendre que ce que eux ont pu accepter puisse heurter la psyché d’une autre personne », termine Mélissa Pangny. 

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