Dans la galaxie des cinéastes à l’esthétique reconnaissable entre mille, Wes Anderson occupe très certainement la première place du podium. Depuis deux décennies, l’Américain impose, non seulement sur les grands écrans du monde entier, des récits tendres et loufoques que des décors impressionnants de détails et forcément inoubliables. Image d’Epinal à tendance madeleine de Proust, les décors imaginés par le réalisateur ont l’irrésistible manie de fabriquer des mondes délicieusement sans âge où évoluent une tribu d’actrices et d’acteurs fétiches et attachants, le tout sur des bandes-originales d’une précieuse élégance. Une place à part dans la galaxie du cinéma mondial qui lui vaut une nouvelle fois une présence remarquée au Festival de Cannes où il présentera le 23 mai prochain son nouveau film Asteroid City en compétition officielle.
Dans ce pays des merveilles, maison de famille (La famille Tenenbaum), ancien hôtel de luxe (The Grand Budapest Hotel), compartiment de train (À bord du Darjeeling Limited) sont des théâtres de vie sublimés de couleurs pastel, saturés de symétrie obsessionnelle et peuplés d’objets rétro sélectionnés par son oeil expert. Des décors qui défilent avec précision autant dans les mémoires cinéphiles que les flux Instagram ou Pinterest en quête de copié-collé au détail près. Car l’esthétique propre à ce génie autodidacte a dépassé les frontières de la salle obscure. L’artiste a ainsi réalisé la décoration intérieure du fameux Bar Luce de la Fondation Prada à Milan. En duo avec sa compagne, la costumière Juman Malouf, il a également signé l’exposition « Spitzmaus Mummy in a Coffin and other Treasures », rassemblant plus de 400 objets divers au musée d’Histoire de l’Art de Vienne. Dernièrement encore, il a repensé le décor de la voiture Cygnus du train Belmond British. Une manière de passer du pays des rêves, le cinéma, à la réalité.
Retour sur les plus beaux décors des films d’un cinéaste à la fantaisie et la mélancolie ravageuses.
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Asteroid City (2023)
2023 sonne le grand retour de Wes Anderson sur les écrans et notamment ceux du Festival de Cannes. Le réalisateur présentera en compétition officielle, Asteroid City, accompagné sur le tapis rouge et au casting d’une pléthore de stars, souvent grands habitués de son cinéma singulier comme Jason Schwartzman ou Steve Carell. Après quelques escales en Europe avec The French Dispatch et The Grand Budapest, Wes Anderson renoue avec son territoire de prédilection, l’Amérique, et son esthétique favorite : celle des fifties américaines, fantasmées et « pastelisées ». Plongée dans un désert américain au coeur d’une ville fictive, Asteroid City est le théâtre d’un rendez-vous de personnages fantasques, petits ou grands, des parents et des enfants qui viendront de tout le pays pour cet événement consacré aux passionnés d’étoiles. A découvrir en salles le 21 juin prochain !
The French Dispatch (2021)
En salle depuis le 27 octobre, The French Dispatch est comme son nom le laisse supposer le film le plus francophile du réalisateur texan. Très attendu par la critique comme par le grand public, cette histoire au casting international a déposé ses valises dans la petite ville française et fictive d’Ennui-sur-Blasé où pour rendre hommage au fondateur d’un grand magazine américain qui vient de mourir (Bill Murray), sa rédaction, composée d’expatriés américains, veille à lui concocter un ultime numéro aux histoires fantasques.
Oeuvre de fiction, ce film à sketches est certainement l’un des plus réalistes de l’auteur. L’équivalent réel d’Ennui-sur-Blasé n’est ainsi autre que la ville d’Angoulême où Wes Anderson et son équipe ont déposé leurs valises (de tournage) durant près de six mois. A son architecture emblématique du début du siècle dernier, ses remparts rénovés et ses rues alambiquées si « frenchy » s’associe, sous la virtuosité exemplaire du réalisateur, un florilège de grands thèmes hexagonaux servis par ces décors aux allures d’image d’Épinal : le journalisme en action, les utopies de Mai 68, le snobisme du marché de l’art et la cuisine art suprêmement français… comme le cinéma.
The Grand Budapest Hotel (2013)
Pléiade de stars du grand écran, décor grandiloquent et période troublée de la grande Histoire, The Grand Budapest Hotel est le paroxysme de l’oeuvre andersonnienne. Dans un pays imaginaire baptisé le Zubrowka, pendant l’entre-deux-guerres, Monsieur Gustave (alias Ralph Fiennes) enseigne son métier à son jeune assistant, le groom Zero Mustapha (Tony Revolori). M. Gustave héritant d’un tableau de valeur d’une de ses clientes, les héritiers de celle-ci sont prêts à tout pour remettre la main sur le tableau y compris utiliser des méthodes peu scrupuleuses.
Pour élaborer un cadre à la hauteur de ce cluedo géant au casting de haute volée, Wes Anderson et le designer de production Adam Stockhausen ont mené des recherches approfondies en puisant dans les images d’époque de l’architecture européenne de l’entre deux-guerres. L’hôtel star en question n’est pas le fruit de l’imagination fantaisiste du cinéaste mais l’un des plus vieux centres commerciaux allemands, le Görlitzer Warenhaus. Un bâtiment exceptionnel de style Art nouveau. Premier vrai film européen de l’auteur américain – outre le court métrage Hôtel Chevalier – The Grand Budapest Hotel est aussi le premier de ses films a décroché l’Oscar du meilleur décor. Enfin !
The Moonrise Kingdom (2012)
Co-écrit avec Roman Coppola, cette aventure andersonnienne a pour théâtre une île au large de la Nouvelle-Angleterre au coeur de l’été 1965. Suzy et Sam, deux jeunes ado à problème, dotés d’un extrême intelligence, tombent amoureux et concluent un pacte pour s’enfuir ensemble et connaître des jours meilleurs.
Rétro à souhait, Moonrise Kingdom élabore un monde de nouveau cerné par la tendresse et la gravité où la complexité des sentiment des personnages est dorlotée par des décors rassurants et tirés à quatre épingle comme l’aube des années 60 avait pour coutume d’en fabriquer. En intérieur comme en extérieur, les décors imaginés par Adam Stockhausen et Gerald Sullivan pour ce Wes Anderson où l’enfance rayonne avec sensibilité sont très certainement les plus recherchés et copiés aujourd’hui encore. Florilège de pastel, de meubles rétro et de tourne-disque vintage où Françoise Hardy entonne « Le temps de l’Amour » continuent de séduire cinéphiles, mais pas que…
Hôtel Chevalier (2007)
Initialement conçu comme une oeuvre autonome, avant de devenir le prologue du célèbre A bord du Darjeeling Limited (2007), Hôtel Chevalier s’apparente à un huit-clos de 13 minutes où Jack alias Jason Schwartzman reçoit la visite de son ex-petite amie Rhett, incarnée par Natalie Portman.
Bercée au son mélancolique et parisien de « Where Do You Go To (My Lovely)? », vieux tube de 1969, ce court-métrage contient toutes les obsessions du cinéaste et deviendra très naturellement un objet de passion pour bon nombre de ses admirateurs à tendance mélancolique. Illusions perdues et amours déchues sont les seconds protagonistes silencieux de cette histoire au cadre privilégié : une chambre du mythique Hôtel Raphaël à Paris, que le cinéaste a méticuleusement pris soin de revisiter sous des tonalités qui lui sont chères comme un jaune à tendance passéiste… auquel s’accordera le peignoir devenu culte d’une Natalie Portman troublante.
La Famille Tenenbaum (2001)
Ecrit par Wes Anderson et son acolyte de toujours, l’acteur américain, Owen Wilson, ce long-métrage est le premier grand succès critique du cinéaste, le film qui pose les jalons de son oeuvre à venir : esthétique et mélancolique. Il y fait le récit d’une famille dysfonctionnelle dont les trois enfants étaient promis à un brillant avenir soudainement terni par le divorce de leur parents.
Trop « m’as-tu-vu » pour certains critiques français peu sensibles, La famille Tenenbaum appartient à cette famille de films terriblement visuels où chaque décor imprime la mémoire à jamais : la salle de bains surannée où Gwyneth Paltrow promène son spleen pendant des heures ou la salle de réception où Ben Stiller monte une toile de tente pour ses enfants pour ne citer qu’eux. Si le décor – comme le style vestimentaire des personnages – laisse sous entendre que le New York de la fin des années 70 est le cadre de l’histoire, ce n’est qu’une chimère… une illusion que le réalisateur aimera cultiver dans ses futures réalisations.
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