- Drag – L’autre visage des queens et des kings est publié ce jeudi aux éditions de La Musardine.
- Son auteur, le journaliste Sofian Aissaoui, retrace l’histoire de la scène drag française, évoque sa dimension politique et raconte le parcours de drag-queens et de drag-kings d’horizons variés.
- « Ce livre arrive pour dire qu’il ne faut pas penser que le drag se résume aux queens. Je ne sais pas si j’ai envie d’utiliser le terme « engagé » mais en tout cas il y a une volonté de dire « avec ce livre, faisons de la place pour tout le monde » », explique Sofian Aissaoui à 20 Minutes.
Cet été, le phénomène Drag Race France déferlait sur la France. La compétition de drag-queens, diffusée sur France.tv et France 2 a été pour beaucoup, l’occasion de découvrir et de se familier avec cet art. Ce jeudi, le livre Drag – L’autre visage des queens et des kings, paraît, aux éditions de La Musardine, pour élargir la perspective sur cette discipline. Au fil des pages, illustrées par Valentin Pasquier, l’auteur, Sofian Aissaoui, donne les clés pour comprendre l’histoire de la scène drag française et ses implications politiques et sociétales. Il esquisse aussi le portrait de drag-queens et de drag kings, apparaissant comme autant de facettes d’une scène française foisonnante et créative. Le journaliste et réalisateur, que 20 Minutes a interviewé, a glissé, à la fin de l’entretien, qu’il venait de terminer un documentaire sur les gilets jaunes : « Quand j’en parle autour de moi, on me dit que je fais un grand écart alors que je n’en ai pas l’impression : dans les deux cas, il est question de revendiquer ce pour quoi on est stigmatisé. »
Quel a été le point de départ de l’écriture de ce livre ?
Cela fait vraiment des années que je me dis qu’il y a quelque chose à faire autour du drag. Quand j’écrivais pour Slate, j’avais proposé un nombre incalculable de sujets sur le drag mais je n’ai jamais réussi à en placer un. Quand j’ai travaillé en télé, j’ai proposé des reportages, des documentaires et on me regardait avec des grands yeux. C’était comme ça, il y a trois ou quatre ans. Ces réactions m’étonnaient parce que l’art du drag est tellement vaste, intéressant. J’avais l’impression que la France était en décalage. Je me suis lancé dans l’écriture du livre sur un coup de tête.
C’est-à-dire ?
J’en avais marre aussi d’attendre que des gens installés écrivent sur nos vies de personnes LGBT+ et sur ce qu’est la culture queer. Je suis passionné de drag, pourquoi devrais-je attendre de me sentir légitime pour le faire ? Dans une interview, Alice Coffin disait qu’écrire sur des sujets LGBT était un travail d’archéologue. C’est tellement vrai, c’est exactement le mur face auquel je me suis retrouvé. Il y a tant de bouquins qui sont des références de l’autre côté de l’Atlantique mais qui n’ont pas été traduits en français. La documentation que l’on trouve en France est contradictoire, il faut recouper, contacter des gens par téléphone pour être sûr d’une info.
Le regard des médias généralistes semble avoir changé, notamment avec le succès de « Drag Race France » qui a été l’un des phénomènes de l’été et dont la tournée affiche complet sur plusieurs dates. Mais n’y a-t-il pas un risque que la perception de l’art drag par le public se limite à ce que montre l’émission ?
C’est toute la problématique aujourd’hui : qu’est-ce qu’on fait du drag à l’heure où cette discipline devient très mainstream [grand public] ? Cela commence tout juste en France, aux Etats-Unis, ça l’est. Dans le livre, je n’ai pas voulu entrer dans quelque chose de polémique en disant que Drag Race était le mal, que l’émission ne montrait pas totalement cet art tel qu’il est. Drag Race a ses défauts, mais c’est une formidable porte d’entrée. 80 % des personnes que j’ai rencontrées pour faire ce livre m’ont raconté avoir commencé le drag après avoir vu ce programme. Cela veut dire que l’émission a eu un impact phénoménal sur la communauté LGBT+.
Maintenant, la question est de savoir ce qu’on fait de ça. Mon avis, c’est que Drag Race aide davantage la communauté qu’elle ne lui fait de mal. D’un point de vue intracommunautaire, on a les clés pour se rendre compte que Drag Race ne représente pas le drag, que c’est plus complexe, qu’il y a des queens, des kings, des gens qui se présentent comme artistes sans se revendiquer drag – comme ceux qui se produisent au cabaret Madame Arthur à Paris. Ce livre arrive pour dire qu’il ne faut pas penser que le drag se résume aux queens. Je ne sais pas si j’ai envie d’utiliser le terme « engagé » mais en tout cas il y a une volonté de dire « avec ce livre, faisons de la place pour tout le monde ». C’est important de mettre en avant les kings, je ne comprends pas que cette scène soit autant dans l’ombre. D’ailleurs, on peut féliciter France Télévisions Endemol d’avoir accueilli les premiers kings dans la franchise, toute adaptation confondue. Espérons que, pour la saison 2 de Drag Race France, ils seront cette fois accueillis en tant que candidats.
Dans votre livre, les profils des drags qui témoignent sont très variés en termes de parcours, d’esthétiques, de mode de vie… Y a-t-il autant de définitions de cet art qu’il y a de drags ?
J’avais envie de prendre des espèces de superstars du drag comme Cookie Kunty ou Leona Winter et des personnes qui sont plutôt sur des petits spectacles intimistes, qui ne sont pas forcément connues dans la communauté LGBT. C’est là qu’on réalise à quel point le drag est varié est à quel point la vie d’artiste est compliquée. Même Leona Winter ou Cooky Kunty racontent que c’était la galère pour elles et que ça l’est toujours. Quand quelqu’un raconte à quel point cela a été difficile en tant qu’artiste d’arriver à cette notoriété et qu’on sait par quoi cette personne est passée, cela peut avoir quelque chose de rassurant pour quelqu’un qui commence sa carrière dans le drag ou n’importe quelle autre discipline.
Vous racontez aussi leurs parcours en tant que personnes LGBT+…
Oui. Le témoignage de Minima Gesté, par exemple, m’a vraiment étonné. Quand celui qui à la ville se prénomme Arthur était étudiant, il était anti-Pride alors qu’il incarne aujourd’hui l’une des drag-queens les plus connues de Paris. J’ai essayé de raconter comment chacun, chacune, a su aller au-delà des galères. Le drag, c’est ça : transformer un parcours, une souffrance pour sublimer ça et le célébrer.
Vous écrivez que les kings et les queens sont « l’avant-garde de la communauté LGBT+ » : « Ils et elles sont en première ligne pour nous faire exister ». Que vouliez-vous dire précisément par là ?
On peut voir la figure de drag-queen ou de drag king comme too much [excessive] quand on n’est pas forcément à l’aise avec son identité LGBT. Mais à partir du moment où on s’intéresse à leurs vies et que l’on comprend pourquoi ils et elles font ça, on prend conscience qu’ils et elles sont des phares dans la communauté. Ce n’est pas juste du fun et des paillettes. Toutes et tous ne sont pas forcément conscients de leur engagement, mais tous ont une utilité dans la communauté. En assumant une telle féminité ou une telle masculinité, ils et elles nous autorisent à nous assumer, c’est ça qui est fort dans le drag. C’est important d’avoir des figures qui, par l’intermédiaire d’une caricature, nous font comprendre que ce n’est pas si grave d’être efféminé ou d’être un peu masculine.
Qu’avez-vous envie que vos lecteurs et lectrices comprennent au fil des pages ?
J’ai envie de dire aux jeunes LGBT+, en paraphrasant RuPaul : Vous avez toute votre place et vous avez une famille qui vous attend. Les drags permettent de trouver cette famille. Je dirais aussi : soutenez les drags ! Pas seulement les queens de Drag Race : elles, c’est bon, elles ont du soutien. Mais il y a des scènes locales qui ont énormément de choses à proposer. Il faut aller voir leurs shows, leur donner des tips [des pourboires] si on en a les moyens, les soutenir. Le drag s’adresse à tout le monde. Dans tous les cas, vous trouverez une communauté et ça vous donnera l’opportunité de réfléchir autrement à comment vous vivez votre vie, en tant que LGBT+ ou pas.
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