« Les Baskets et le costume » ne font pas le moine, ni le bolosse

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  • Aujourd’hui, « Les Baskets et le costume » de Abdelilah Laloui est paru le 29 janvier 2020 aux Éditions JC Lattès.

Marceline Bodier, auteure et contributrice du groupe de lecture « 20 Minutes Livres », vous recommande Les Baskets et le costume de Abdelilah Laloui, paru le 29 janvier 2020 aux Éditions JC Lattès.

Sa citation préférée :

«… passer un concours en ayant le sentiment de défier la sociologie et son destin est autre chose. Un parmi des milliers est capable de s’affranchir de son environnement social pour s’élever, mais à quel prix ? Beaucoup de ressentiment et de honte. »

Pourquoi ce livre ?

  • Parce que Abdelilah Laloui a 20 ans, mais il a déjà écrit son autobiographie. Un coup d’éditeur ? Voyons cela : il est étudiant à Sciences Po, entré par une « convention éducation prioritaire », créateur d’une
    association, Tous curieux, qui promeut la culture pour tous de façon bien peu académique, et pour laquelle on l’a vu sur de nombreux plateaux de télévision l’an dernier. Il a été assistant parlementaire, il est aujourd’hui community manager à France Culture… ce qui aurait été bizarre, ça aurait été qu’aucun éditeur ne s’intéresse à lui !
  • Parce que j’adore que quelqu’un fasse mentir les statistiques ! Or, des statistiques sur les « descendants d’immigrés maghrébins », l’Insee en a publié… c’est une population moins diplômée que les « personnes sans ascendance migratoire » ? Abdelilah Laloui, lui, sera diplômé de Sciences Po. C’est une population qui occupe des emplois peu qualifiés, et son père est frigoriste ? Lui, il sera cadre supérieur. Il fait mentir les statistiques, tout comme, avant lui, Pierre Bourdieu ou Annie Ernaux. Et comme ses illustres prédécesseurs, il décrit le sentiment d’illégitimité que cela éveille.
  • Parce que le sociologue Philippe Coulangeon a mis en garde contre la tentation de penser que les classes supérieures n’exerceraient plus de domination culturelle symbolique, au motif qu’elles sont devenues éclectiques : elles ne le sont que parce qu’elles ont les moyens de découvrir la culture populaire, là où les classes populaires continuent de ne pas avoir les moyens de découvrir la culture dominante. Or, avec l’association Tous curieux, « Nous avions envie de nous emparer de cette simple capacité à dire ce qui nous touche ou non », écrit Abdelilah Laloui.
  • Parce qu’en écrivant ce livre, il prend le risque d’être assigné à ses origines. Mais je prends les paris : s’il le fait, c’est parce que son livre est aussi l’histoire de la création de l’association Tous curieux avec son amie Alia Ismail. Et quand il lit un passage de Terre des hommes à deux collégiens de banlieue qui n’avaient pas choisi de le rencontrer, il raconte avec précision la manière dont il les amène à comprendre que le texte parle d’eux. Car jusque-là, « qui nous a dit que la culture c’était nous ? Personne ».
  • Parce que c’est aussi une personnalité hors norme qui se raconte. Dans le lycée de banlieue qu’il a fréquenté, il était « un bolosse ». Mais pour les bolosses des lycées parisiens, il aurait été un jeune de banlieue s’ils l’avaient connu… Finalement, « les bolosses sont ceux qui sont seuls parce qu’ils sont différents des autres » : voilà une phrase qui éveillera des échos chez tous ceux dont la différence tient à l’origine, mais pas seulement… L’auteur ajoute d’ailleurs « Je ne sais pas précisément ce qui constitue ma différence mais en tout cas, elle m’exclut brutalement ».
  • Parce que, vous l’avez compris, Abdelilah Laloui évite deux écueils : escamoter sa personnalité et ce qui fait de son histoire une histoire originale (non, il ne se réduit pas à un phénomène de société) ; tendre des perches pour devenir l’exception officielle qui nous donnerait bonne conscience (oui, derrière lui, des centaines de bénévoles travaillent pour son association). L’exercice n’était pas facile, mais il laisse une musique entêtante dans la tête, qui rapproche, comme l’a fait la vie de l’auteur, Sylvie Vartan, Cheb Mami et Jean-Sébastien Bach.

L’essentiel en 2 minutes

L’intrigue. Abdelilah Laloui a grandi en baskets : c’était l’uniforme de la banlieue. Il a travaillé en costume : c’était l’uniforme de l’Assemblée Nationale. Pourtant, il n’a que vingt ans… et pour sa rentrée à Sciences Po, quelles chaussures doit-il porter ? Vous vous en doutez : rien à voir avec la mode…

Les personnages. Abdelilah a peu d’amis, puisqu’il est « un bolosse ». Seulement, sur son chemin, il y a Alia, l’amie fidèle, Rachid, le bibliothécaire, Christophe Bouillon, le député, une ex-ministre blonde tombée du ciel dans les couloirs de l’Assemblée, Olivier Py, le metteur en scène… et Rainer Maria Rilke.

Les lieux. La banlieue lilloise dans les années 2000, la banlieue parisienne dans les années 2010, et, l’été, « une Algérie contenue dans une Peugeot 806 qui traverse les routes françaises ». Et puis le cœur de Paris dans les années 2020 : de quoi renouveler puissamment le célèbre « à nous deux, maintenant » !

L’époque. L’auteur a 20 ans : son livre est un des premiers entièrement ancrés dans le 21e siècle. Pourtant, comment ne pas penser à Pierre Bourdieu, normalien et fils de paysans du Béarn, à Annie Ernaux, prix Renaudot et fille de petits commerçants normands… témoignage du 21e siècle, filiation ancienne.

L’auteur. Abdelilah Laloui a vingt ans. Compte tenu de ce qu’il a déjà réalisé avec son association Tous curieux, on a envie de se dire que c’est le plus bel âge de la vie… on lui souhaite pourtant que la phrase de Nizan soit vraie et que sa vie continue sur la lancée hors norme sur laquelle elle est partie !

Ce livre a été lu en écoutant la première suite pour violoncelle de Bach.

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