Le livre du mois : Charlotte Perriand : comment voulons-nous vivre ?

Faut-il encore la présenter ? Elle, la touche-à-tout, collectionneuse de jolies choses et activiste d’une architecture moderne soucieuse d’améliorer les conditions de vie du plus grand nombre. Depuis plusieurs années, Charlotte Perriand est l’objet de multiples publications, reportages et expositions. On pourrait croire tout savoir d’elle, être lassé, voire agacé, mais c’est mal connaître l’ampleur du sujet. Comme une majeure partie des grands artistes du XX ème siècle, Perriand a eu plusieurs vies, des vies en phase avec le progrès en marche mais toujours capables de le critiquer. Aujourd’hui, on dirait plusieurs casquette, mais du temps de la jeune Perriand qui débute dans un univers professionnel majoritairement masculin il s’agissait bien de vie et d’expériences. Une vie de création comme s’intitule à très juste titre son autobiographie dans laquelle elle (s’)interpelle avec la question « Comment voulons nous vivre ? ».

C’est la version de l’artiste photographe que les éditions Actes Sud propose aujourd’hui de faire découvrir aux lecteurs avec Charlotte Perriand, politique du photomontage : comment voulons-nous vivre ? Ouvrage qui s’accompagne d’une exposition éponyme à voir jusqu’au 26 septembre à Arles durant les Rencontres de la Photographie. Livre d’images mais pas seulement, l’ouvrage publié sous la direction éditoriale d’Emmanuelle Kouchner met en lumière « l’oeil » à l’affût de la jeune Perriand alors jeune architecte chez Le Corbusier et accessoirement et surtout membre de l’Association des artistes et écrivains révolutionnaires (AEAR), proche du Parti Communiste. 

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Photomontage et politique

Femme d’images inclassable, tantôt reporter, auteur ou archiviste, elle a mis la photographie, cet instrument d’observation du réel alors en plein essor, au service de ses idées. Elle l’a utilisée comme un « éclaireur » de conscience en l’accompagnant de statistiques, slogans, photographies  pour créer des photomontages hautement politiques. Le plus dantesque d’entre eux, Charlotte Perriand le réalise pour le Salon des Arts Ménagers de 1936. Avec l’aide de plusieurs camarades artistes, elle compose un tableau sombre et immense ( 16 mètres de long et 3 mètre de hauteur) sur les conditions de vies à Paris durant l’entre deux-guerres. Saisissant de vérités et d’inventivité, l’oeuvre évoque une foule de problèmes : insalubrité de la capitale, mortalité enfantine, pollution, promoteurs sans foi ni loi, charge mentale pour la femme, inégalités entre ville/campagne… Une oeuvre sombre dont certains bons mots apparaissent plus de 80 ans plus tard comme des « punchlines » féroces et toujours d’actualité. Mais pourtant, comme souvent dans les réalisations de Perriand, l’espoir n’est jamais très loin. Il est niché dans les couleurs utilisées, la manière d’accoler les images, les sourires et les gestes tendres choisis. « Allons au devant de la vie » dit le photomontage pour reprendre les paroles d’une chanson pleine d’espérance de l’époque.

Même sensation éprouvée devant l’autre photomontage de l’architecte, réalisé en collaboration avec son ami et artiste Fernand Léger à l’occasion de l’Exposition Internationale des arts et des techniques de 1937. Même recette, même réussite. Ces 18 panneaux dressés à l’orée du Bois de Boulogne emprunte aussi bien à l’art de la fresque qu’à l’affiche publicitaire. Ces compositions murales à vertu pédagogique racontent les grandes heures du Front Populaire désireux de moderniser le monde rural tout en clamant son rôle indispensable dans la société contemporaine. Car la Perriand de l’époque est infiniment politique, et elle le sera finalement à vie par le choix de ses projets et par celui (entre autres) de ne jamais monter sa propre agence.

S’occuper du logis des hommes et de ses prolongements est plus qu’une profession. Il faut lui redonner sa vraie signification par l’enseignement et par son application

Les dernières pages de l’ouvrage en plus de livrer quelques magnifiques clichés de Charlotte Perriand himself comme des photographes engagés de l’époque, tel que François Kollar, pose de longs textes sur ces séries d’images. Un voyage dans un temps en quête de progrès et d’égalité, un temps où la photographie était vecteur et agitateur de conscience, ce temps où Perriand a trouvé sa matière de prédilection pour travailler au bien commun : l’architecture. Une décennie plus tard, elle constatera tout de même l’échec de l’utopie des années 30 : « Les voitures et les fumées intoxiquent de plus en plus sûrement la population urbaine. Les chaussées s’agrandissent au détriment de trottoirs et les arbres disparaissent (…) Notre probité professionnelle devrait nous interdire de participer à tout programme ne nous donnant pas moralement satisfaction et de lutter contre tous les autres. S’occuper du logis des hommes et de ses prolongements est plus qu’une profession. Il faut lui redonner sa vraie signification par l’enseignement et par son application. » Toujours d’actualité, on vous avait prévenu.

Extrait photomontage "La Grande Misère de Paris" de Charlotte Perriand, 1936

Extrait photomontage de Charlotte Perriand au Pavillon de l’Agriculture, 1937

Photomontage de Charlotte Perriand au Pavillon de l’Agriculture, 1937

Charlotte Perriand : comment voulons nous vivre ? Politique du photomontage


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