- Chaque semaine, 20 Minutes met en avant une image marquante en allant chercher le regard du photographe.
- Laurent Ballesta, scientifique et photographe français, a remporté le Wildlife Photographer of the Year 2023 décerné par le Muséum d’Histoire naturelle de Londres, prix de la plus belle photo naturaliste de l’année, pour la deuxième fois après 2021.
- Il explique à 20 Minutes le making of de cette photo d’une limule nageant dans les eaux au large de l’île Pangatalan aux Philippines.
Un Français titré parmi 49.957 candidatures provenant de 95 pays. Les lauréats du prestigieux concours de photographie naturaliste du Muséum d’Histoire naturelle de Londres, le Wildlife Photographer of the Year, ont été dévoilés le 13 octobre 2023. Et Laurent Ballesta a reçu le prix de la plus belle photo animalière de l’année pour cette image d’une limule à la carapace dorée nageant, tel un extraterrestre, dans les eaux des Philippines ! Il explique à 20 Minutes le making of de cette image en évoquant sa vision de la photographie sous-marine et de la biodiversité.
Que voit-on sur l’image ?
« C’est une photo de limule, un animal dont on ne connaît pas forcément le nom mais qui a marqué à un moment notre imaginaire, explique Laurent Ballesta à 20 Minutes. Quand il est bien vivant, contrairement à ce que l’on peut voir dans les musées, sa coquille est resplendissante, on dirait presque de l’or, il y a des dessins dessus, c’est une petite merveille. » Le photographe naturaliste ajoute que la limule a « traversé la nuit des temps car elle n’a quasiment pas évolué depuis cent millions d’années », en précisant que « sa famille était déjà présente il y a quatre cent cinquante millions d’années ». Au-dessus de l’animal, il y a « des carangues dorées juvéniles, des petits poissons pilotes qui accompagnent, surtout dans leurs jeunes années, les gros animaux pour se nourrir et bénéficier de leur protection ».
Il détaille : « La limule a beau ne pas être de notre époque, elle est pourtant aujourd’hui d’une nécessité absolue pour l’être humain car son sang bleu contient la seule molécule qui permet de tester l’absence de contaminants dans la fabrication des vaccins ». Il existe donc une vraie menace sur cette espèce. Si les règles ont évolué avec le temps et qu’une quantité maximum de 30 % de leur sang est prélevée avant de les relâcher avec une marque pour ne pas les ponctionner une seconde fois, Laurent Ballesta explique que « sur les 500.000 limules pêchées chaque année puis relâchées, la moitié meurt », selon les études scientifiques. Pour l’océanographe « c’est un exemple très concret de ce qu’est la biodiversité, c’est-à-dire un ensemble de différences, parfois subtiles, mais qui ont toutes une place et un rôle à jouer. Dans la nature sauvage, il n’y a que la diversité qui fait tenir un écosystème et il n’y a aucune raison pour que dans une société ce ne soit pas la même chose. »
Quel est le contexte de prise de vue ?
Le photographe confie qu’il a trouvé cette limule « autour d’une toute petite île qui s’appelle Pangatalan aux Philippines, à quinze ou vingt mètres de profondeur ». Il précise : « C’est une île semi-privée dont les propriétaires sont français depuis vingt ans, un lieu qui avait souffert du déboisement, de la surpêche et de la pollution… Et ils ont voulu le restaurer en s’entourant de scientifiques. » C’est maintenant une réserve d’État. Il ajoute qu’il a reçu une invitation du directeur scientifique du projet, un ancien étudiant de son bureau d’études Andromède Océanologie. Quand on lui a parlé de la limule sur place, il a « senti qu’il y avait un sujet de photographie animalière nouveau ». En observant l’eau relativement claire autour de l’île, il s’est dit qu’il pourrait montrer « la force tranquille » de l’animal en déplacement. « Une espèce de véhicule cuirassé qui ne va pas très vite mais qui fait son chemin en traversant la nuit des temps », détaille le scientifique à 20 Minutes. Un fait rare puisque la limule vit souvent « dans des zones marécageuses avec zéro visibilité et la plupart des photos de cet animal sont réalisées hors de l’eau ». Il ajoute : « Le flash vient figer la limule et la pose un peu lente met du mouvement dans les petits poissons qui l’accompagnent » pour montrer « le calme et la force de l’un, et l’excitation et la fragilité des autres ».
L’anecdote en plus
Déjà lauréat du Wildlife Photographer of the Year en 2021 pour une photo sur la reproduction des mérous, Laurent Ballesta conseille aux adeptes de la photographie sous-marine de « montrer ce que nous ne connaissons pas ». « Allez photographier la reproduction du requin blanc, plutôt que le requin blanc uniquement, parce qu’on ne l’a jamais vue », détaille le photographe, « sans croire que l’exotisme est forcément lié au nombre de kilomètres parcourus ».
A une relance sur l’environnement, il coupe : « Il faut être très prudent avec ce raccourci, beaucoup de photographes ont cet alibi : « Mon travail est essentiel à la sauvegarde du monde. » (ironique) Ne comptez pas sur moi pour avoir ce discours-là. » Cependant, il admet être « suffisamment souvent dans l’eau pour voir que ça se dégrade à peu près partout ». Il considère que monter la beauté du monde ne le protège plus vraiment et que cela peut même être contre-productif en suscitant des envies de voyage. « Attention à ne pas servir l’industrie touristique ! », prévient-il. Il considère qu’il y a une autre voie. Et précise : « Ce qui me fascine au fond de la mer, ce ne sont pas ses splendeurs, ce sont ses mystères. » En reprenant la métaphore de la religion, Laurent Ballesta explique que « les croyants ne respectent pas leur Dieu parce qu’il le trouve beau, mais parce qu’il les dépasse » et espère « faire comprendre que les divinités, inventées il y a des milliers d’années, ne sont rien d’autre que les lois de la nature ». Et de philosopher : « J’essaye de faire sentir, à travers quelques images, l’étendue de tout ce que nous ignorons. » Des photographies qu’il est possible de consulter sur son site personnel.
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