Le divorce gris, une séparation sur le tard vécue comme l’ultime chagrin d’amour

  • La violence d’un premier chagrin d’amour tardif
  • Le dernier traumatisme amoureux d’une vie
  • L’ultime occasion d’apprendre à se connaître
  • S’interdire l’amour par peur de se perdre à nouveau
  • Les traces indélébiles de l’union d’une vie

Ce sont les histoires de deux ruptures sur le tard. À 67 ans, Marguerite* sourit en se qualifiant de “jeune célibataire”. Après presque 40 ans de mariage, elle a décidé de mettre fin à sa plus longue histoire d’amour.

“Je pense qu’un divorce, c’est toujours effrayant, mais à mon âge, j’ai le droit de dire que ça l’est encore plus. On a vu la société et les préoccupations amoureuses changer, mais toujours à deux. À la retraite, décider de commencer la dernière partie de sa vie seule, c’est autre chose que le faire à la quarantaine”, clarifie-t-elle d’emblée.

Et cette rupture, autrefois peu commune, porte un nom de plus en plus couramment utilisé : le divorce gris. C’est désormais de cette couleur, qui teinte aussi les cheveux de ces protagonistes, qu’on qualifie les séparations de seniors. 

“Les divorces impliquant un homme de plus de 50 ans représentaient 17% de l’ensemble des divorces en 1996. Deux décennies plus tard, ce chiffre s’est établi à 38%. Et les femmes de plus de 50 ans suivent le même schéma, puisque les divorces les impliquant représentaient 11% des divorces en 1996, contre 29% en 2016”, précise une étude de l’Ined de parue en février 2021.

Mais si on ne peut que saluer cet élan d’émancipation, il n’est pas toujours vécu comme une seconde jeunesse. Pour Michèle*, 65 ans et divorcée depuis 6 ans après 22 ans d’union, “c’est une tempête” qu’elle a dû affronter.

Pourtant, si celles qui vont nous raconter leurs histoires ne se ressemblent pas et ont un rapport différent au cœur brisé, elles évoquent toutes les deux leur rupture comme leur “dernière”.

En divorçant sur le tard, elles se sont résignées à ne plus jamais tomber amoureuse.

La violence d’un premier chagrin d’amour tardif

“Ce qui caractérise ma vie depuis mon divorce, c’est le silence”, témoigne lourdement Michèle. Quittée du jour au lendemain par celui qu’elle “pensait être l’homme de sa vie”, elle erre depuis dans la maison familiale. 

“Il a tiré un trait sur nous, mais j’ai gardé ses photos dans le salon”, avoue-t-elle. Rien de plus normal, quand on vit son premier chagrin d’amour à 59 ans, après avoir passé près de la moitié de sa vie avec la même personne. 

Et à 20, 40 ou 70 ans, une peine de cœur reste un anéantissement. « Même s’il est parfois libérateur, le divorce après un long mariage – notamment pour la personne qui n’a pas pris la décision – peut être d’une violence inouïe », nous confirmait Myriam Bidaud, coach et thérapeute de couple, dans un article en avril 2022. 

Je suis tombée en dépression. Je ne m’en suis pas rendu compte tout de suite, mais je ne mangeais plus vraiment et je ne sortais plus alors que j’étais très sociable.

Et Michèle acquiesce: “Je suis tombée en dépression. Je ne m’en suis pas rendu compte tout de suite, mais je ne mangeais plus vraiment et je ne sortais plus, alors que j’étais très sociable”, se souvient-elle. 

“Sur le papier, c’est une rupture comme une autre, sauf que l’on part de beaucoup plus loin, notamment parce que la personne n’a jamais eu l’occasion d’expérimenter autre chose que les fonctions qui la définissaient”, élabore Véronique Kohn, psychologue spécialiste des relations amoureuses.

D’ailleurs, quand elle se présente, Michèle parle de sa maternité et de son mariage passé. Elle a été “la femme de” et “la mère de”. Depuis six ans, elle est “juste Michèle”, et a beaucoup de mal avec cette nouvelle étiquette. 

“Dans ce cas, la personne s’est perdue et ne se connaît pas. Elle s’est donnée des missions et y a fait reposer son bonheur et sa valeur. C’est donc normal que la perspective d’une nouvelle vie soit effrayante, parce que l’on n’a plus de repère”, explicite l’experte. 

Le dernier traumatisme amoureux d’une vie 

Grâce au soutien de ses proches et à une aide psychologique et médicale, Michèle parvient peu à peu à reprendre le dessus, mais reste grandement affectée par cette « trahison ». 

“Je ne suis pas dans l’idée que tous les hommes sont les mêmes, mais je sais que je suis trop vieille pour retrouver quelqu’un. Et puis je ne pourrai pas revivre la même chose une seconde fois”, confie-t-elle.

Des paroles crève-cœur qui témoignent de la pression du jeunisme chez les femmes – “avec l’avancée en âge, le « marché des unions » favorise les hommes, ainsi compte-t-on, à 75 ans, trois femmes sans partenaire pour un homme”, constate l’INED – mais aussi d’un traumatisme qui doit être adressé.

Il faut rester ouvert à la sexualité, la sensualité et la tendresse qui sont des besoins. Sinon, on risque de s’enliser.

Même s’il faut entreprendre un travail de reconstruction (notamment après avoir été trompée) et de reconnaissance, se priver de relation n’est pas la solution selon Véronique Kohn, bien au contraire. 

On ne peut pas bien vivre sans liens. Je ne parle pas forcément de recommencer une histoire longue, car le but n’est pas de compenser le manque, mais bien de rester ouvert.e à la sexualité, la sensualité et la tendresse qui sont des besoins. Sinon, on risque de s’enliser”, prévient-elle.  

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L’ultime occasion d’apprendre à se connaître

Mais si nous ne sommes rien sans l’autre, il est aussi question, dans cette situation, de d’abord apprendre à se (re)trouver. 

Pour Marguerite, sa séparation a été une révélation. Elle vient d’avoir 65 ans quand elle décide de quitter son compagnon de près de 40 ans. “C’était une routine qui a été confortable pendant longtemps, mais qui me pesait. Je n’avais plus envie de me retrouver avec lui à la maison depuis longtemps, mais j’ai mis du temps à me dire que je pouvais aussi avoir une vie à moi”, partage la sexagénaire. 

C’est la même relation qu’avant sauf qu’on ne vit plus ensemble.

Alors qu’elle voit sa fille se défaire d’un mariage violent, elle prend exemple et saute le pas. “Quand j’ai annoncé à mon ex-mari que c’était fini, il n’a pas tout de suite compris que c’était pour de vrai. Mais il m’a écoutée et s’il n’était pas d’accord, il ne nous a pas mis de bâtons dans les roues. Nous sommes en bons termes, en fait c’est pareil qu’avant sauf qu’on ne vit plus ensemble”, poursuit-elle. 

La croyance du ‘je suis seule, c’est tragique’ est à revisiter. Parfois on est physiquement en couple mais psychiquement seule, et c’est pire. Être bien seule ça veut dire que dans n’importe quel contexte, on aura toujours des options pour s’adapter et se faire plaisir, alors que dans le mariage, tout dépend de l’autre”, argue Véronique Kohn.

Mais dans les cas où le divorce a été une surprise, et que cette volonté d’apprendre à se connaître n’est pas présente, la réalité est différente. Michèle, qui avait arrêté de travailler à la naissance de sa première fille, n’a pas seulement perdu un équilibre de vie, mais également une sécurité financière.

“J’ai dû reprendre un petit boulot (elle fait des ménages, ndlr) pour regagner une indépendance qui ne me faisait pas forcément plaisir. Je lui en ai voulu de me forcer à faire ça”, conte-t-elle. 

“Quand on a été dans un couple symbiotique, avec l’un qui jouait au parent et l’autre à l’enfant, forcément un est moins autonome. Tout notre univers s’est calqué sur le partenaire : mes goûts, mes couleurs, qui je suis, la confiance que j’ai en la vie… Dans les couples ‘longue durée’, c’est courant de voir une dépendance affective, sécuritaire et financière”, accorde Véronique Kohn. 

S’interdire l’amour par peur de se perdre à nouveau

Mais que le divorce soit bien vécu ou non, un consensus se dégage : une nouvelle relation est inenvisageable. Si Michèle ne croit pas en sa capacité (physique et mentale) d’à nouveau avoir le droit à l’amour, Marguerite rapporte “choisir ne plus vouloir d’un homme dans sa vie”. 

“Ici, il va déjà falloir entamer un travail de thérapie, pour oser passer par les étapes du développement et ne pas avoir peur d’explorer, de se remettre en contact avec son enfant libre. Souvent, beaucoup de traumatismes de l’enfance ont été inhibés par le mariage et ressortent au moment de la séparation, il ne faut pas rester seul”, recommande la spécialiste. 

Et il en va de même pour celles et ceux qui préfèrent rester solo “par choix”, car un désir d’indépendance n’est pas incompatible avec une relation amoureuse.

“Il faut faire attention au côté ‘j’anticipe la souffrance, donc je ne demande rien à personne’. Peu de gens le savent, mais il existe quatre niveaux d’autonomie : la dépendance, la contre-dépendance (je fais seule et je fais que ce que j’aime), l’indépendance (je peux faire seule mais je n’ai pas envie d’être en lien par peur de me perdre) et l’interdépendance (je peux faire seule mais je ne me prive pas de la relation, parce que je peux enrichir mon univers avec le tien sans me noyer)”, explique Véronique Kohn.

Les traces indélébiles de l’union d’une vie

Et la souffrance, si elle dit ne pas l’avoir vécue, car elle a mûri le projet dans sa tête, Marguerite l’a bien vue chez son ancien conjoint. “Il a toujours été très angoissé par la solitude. Se retrouver avec lui-même à 72 ans n’a pas été facile, d’autant plus qu’il ne voulait pas montrer qu’il était fragilisé”, se souvient-elle. 

En bons termes avec le père de ses enfants, c’est avec inquiétude qu’elle a veillé sur lui, car elle “avait une dette envers lui”. “C’est un ancien alcoolique et j’avais peur qu’il retombe dans ses addictions”, confie-t-elle. 

Je vois bien qu’on ne vit plus la même vie depuis le divorce. Je lui souhaite de rencontrer quelqu’un, alors que moi je ne veux plus m’embêter avec ça.

Beaucoup d’hommes se font quitter, mais ils ne vont pas témoigner parce qu’ils vont être honteux et s’enfermer dans des comportements destructeurs. Ils ont peur de parler de cette vulnérabilité, j’en vois beaucoup dans mon cabinet”, assure la psychologue.

“Je vois bien qu’on ne vit plus la même vie depuis le divorce. Je lui souhaite de rencontrer quelqu’un, alors que moi je ne veux plus m’embêter avec ça”, sourit-elle. 

“Petit à petit, on va sortir un peu plus, tenter des activités pour nous et rencontrer de nouvelles personnes. Ainsi, si tu viens dans mon univers, je ne perds pas le mien et je peux m’enrichir du tien”, conseille la spécialiste.

Et si, dans certaines phrases de Marguerite pointent tout de même un soupçon de culpabilité et de nostalgie, du regret s’entend dans le discours de Michèle. Car, si elles nous l’avouent plus ou moins, ce dernier chagrin d’amour laissera, à jamais, une empreinte sur elles. Mais Véronique Kohn tient à le rappeler : « rien n’est une fatalité. Il n’est jamais trop tard pour (re)tomber amoureux ».

* Les prénoms des témoins ont été modifiés

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