200 mineurs sont maltraités chaque jour en France. Avec l’épidémie du Covid-19, la situation est explosive dans de nombreux foyers d’accueil et au sein de familles où les enfants sont confinés avec leurs bourreaux. Interview de Lyes Louffok, membre du Conseil national de la protection de l’enfance.
Ancien enfant placé, membre du Conseil national de la protection de l’enfance, Lyes Louffok est le porte-voix des mineurs de l’ASE (Aide sociale à l’enfance). Ils sont 300 000 en France.
Depuis des années, à Marie Claire, nous dénonçons les dérives de nombreuses institutions et le manque de courage des gouvernements successifs qui font de ces enfants vulnérables, les oubliés de la République.
Déjà sous tension, on se doutait que les services publics de protection étaient débordés et mal préparés à la crise du coronavirus. Lyes Louffok a crée le collectif [email protected] afin de recenser en temps réel les difficultés rencontrées pour mieux alerter et prévenir les dangers qui menacent plus que jamais ces enfants confinés avec leur bourreau ou maltraités au sein de foyers d’accueil dysfonctionnels.
Sa préconisation la plus urgente : appelez le 119 pour signaler tout enfant qui vous semble en danger. C’est anonyme, gratuit et cela peut sauver une vie. Entretien.
Marie Claire : Depuis l’instauration du confinement, les appels ont-ils augmenté au 119 ?
Lyes Louffok : Non. On a un retour quotidien du 119 et depuis une semaine, le nombre d’appels n’a pas augmenté et c’est d’ailleurs ce qui nous inquiète. Ils ont augmenté sur les numéros verts mis en place par des associations mais pas au 119. Cela révèle une méconnaissance des Français de l’utilité de ce numéro national, et le fait qu’ils n’osent pas appeler car ils pensent encore que c’est de la délation.
Il y a une méconnaissance des Français de l’utilité de ce numéro national
Il y a un vrai travail de sensibilisation à mener, le gouvernement y travaille en diffusant actuellement une campagne audiovisuelle. Et nous, nous travaillons avec Publicis sur une autre campagne, digitale, à destination des enfants et des jeunes.
Faut-il appeler le 119 en priorité plutôt que les associations ?
Oui car le 119 est en lien direct avec les Cellules de recueil d’informations préoccupantes (CRIP) des départements ce qui n’est pas le cas des autres centres d’appels. Depuis le 17 mars, et la réorganisation post-confinement, 24 écoutants sont en ligne 24h sur 24, et le pré-accueil est désormais assuré par un agent de 7 h à 22h qui remonte les appels et « priorise » les mineurs.
Le 119 est plus efficace que les associations car ses écoutants ont toutes les conduites à tenir selon les organisations territoriales, et toutes les infos département par département. Depuis le 24 mars, l’équipe a été renforcée avec 27 écoutants, dont deux qui prennent les appels toute la nuit. Sur ces 700 appels par jour, comme avant le confinement, les informations préoccupantes représentent 50% des appels. 80% des appels sont traités.
Vous avancez le chiffre de 200 enfants maltraités par jour…
Ce sont les chiffres de la police et de la gendarmerie. Chaque jour en France, 200 enfants sont victimes de violences, et c’est scandaleux ! Sans compter ceux qui passent entre les mailles du filet. C’est justement ceux-là qu’il faut surveiller pendant cette période de confinement. L’an dernier, l’IGAS a rendu un rapport sur les infanticides, ils se sont rendus compte que la majorité des enfants tués était des enfants qui vivaient dans des familles suivies par les services de protection de l’enfance. Et ça, cela fait vraiment peur.
Suite au confinement, toutes les mesures d’accompagnement éducatif en milieu ouvert, donc aux domiciles des parents, ont été interrompues
On sait que ceux qui sont susceptibles de passer à l’acte et de tuer leur enfant sont ceux que nous connaissons dans nos services de Protection de l’enfance. Suite au confinement, toutes les mesures d’accompagnement éducatif en milieu ouvert (AEMO), donc aux domiciles des parents, ont été interrompues. Des mesures qui sont des décisions de justice, des ordonnances judiciaires… Cela va mettre encore plus en danger ces enfants.
Des informations vous remontent et vous êtes, vous-même, travailleur social. Quelle est la situation actuelle dans les foyers ?
C’est une catastrophe. Beaucoup d’enfants placés souffrent en ce moment. Il y a un manque d’effectif, beaucoup de travailleurs sociaux sont en arrêt maladie. Dans certains départements, le taux d’absentéisme est de 50%. Quant aux autres ils ne sont pas préparés à confiner un si grand nombre d’enfants sur des plages horaires aussi larges.
D’habitude, tous les enfants vont à l’école et beaucoup retournent dans leur famille le week-end. J’ai peur que des professionnels craquent plus qu’en temps normal, qu’il y ait des passages à l’acte maltraitants.
L’autre difficulté, ce sont les enfants handicapés : 30% des enfants placés sont reconnus comme handicapés notamment comme handicapés psychiques. Ces gamins qui poussent les adultes à bout mériteraient un meilleur encadrement. Ils seront les premiers à être marginalisés dans ces institutions. Ils sont normalement pris en charge dans des Instituts médicaux-éducatifs (IME), mais le gouvernement a décidé de les fermer. Adrien Taquet m’a dit qu’il n’avait même pas été consulté au sujet de cette fermeture.
Comment faire l’école quand de nombreuses structures d’accueil n’ont pas assez d’ordinateurs ? Et qui va leur faire cours ?
L’autre problème, ce sont les addictions, comme l’addiction au shit. Aujourd’hui, des jeunes, en situation de manque, pètent plus facilement les câbles – ce qui rajoute de la violence à la violence – et fuguent de leur foyer pour en chercher. On sait que quand ils rentrent, certains trouvent porte close de peur de la contamination. Un gamin de 15 ans s’est ainsi retrouvé à la rue à Paris. On a été obligé d’appeler le commissariat de police, alors même que le gouvernement a donné des consignes pour que tous les fugueurs puissent réintégrer leur foyer.
Le gouvernement, qui n’est pas que de mauvaise foi, a fait passer des consignes, mais elles n’ont aucune valeur juridique : on ne peut rien imposer aux départements. On perd en efficacité et ça interroge une nouvelle fois sur la décentralisation en matière de protection de l’enfance.
L’autre point qui me choque, c’est comment faire l’école quand de nombreuses structures d’accueil n’ont pas assez d’ordinateurs ? Et qui va leur faire cours ? C’est grave quand on sait que 70% des enfants placés sortent de l’ASE sans aucun diplôme. Tant qu’il n’y aura pas un peu de courage politique, les drames continueront et vont même s’intensifier. Ces enfants sont sacrifiés. Ce sont des enfants abandonnés par l’assistance publique, des gamins que la société ne veut même plus regarder, et ça fait mal.
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