Le combat de Magali Laurent, dont la fille a été enlevée par son père, parti faire le djihad en Syrie

Elle a vécu le pire cauchemar pour une mère : sa fille de 3 ans et demi a été enlevée en 2015 par son père, parti faire le djihad en Syrie. Avec Reviens, Lila (Ed.Grasset), coécrit avec notre collaboratrice Françoise-Marie Santucci, elle livre un récit poignant sur sa traversée de l’enfer. Son espoir ? Qu’un jour Lila le lise, nous confie-t-elle.

Un livre pour sa fille, inatteignable

Marie Claire : Vous écrivez, en parlant de votre fille : « Si moi je ne suis plus là, à travers qui va-t-elle survivre ? » Ce livre est-il pour Lila ?

Magali Laurent : Oui, dans quelques années, ces conflits seront oubliés, je ne voulais pas que son sacrifice le soit aussi et qu’elle croie que je l’ai abandonnée.

C’est aussi ma bouteille à la mer, car quelqu’un pourrait la reconnaître à travers ce récit. Et je tenais à témoigner en complément de ce qu’on sait des victimes du terrorisme : ce n’est pas un inconnu mais son père qui a brisé nos vies en nous entraînant dans son enfer. Nous ne sommes pas que des dommages collatéraux.

Le père de Lila a fui avec elle le 19 octobre 2015. Il vous contacte via Skype trois mois plus tard. La souffrance prend vite le pas sur la joie de la revoir…

Quand, fin janvier 2016, il me montre enfin Lila, elle est voilée, son français est hésitant, elle alterne « maman » et « Magali », c’est violent.

Elle est vivante mais inatteignable. Je sais que je la perds.

À chaque fois, je suis submergée par un torrent d’émotions contradictoires : elle est vivante mais inatteignable. Je sais que je la perds. « Si tu ne viens pas ici, l’objectif est qu’elle t’oublie » : son père me met cette pression constante et cette culpabilité de faire ou pas ce choix. Soit j’y vais avec une mort certaine au bout, peut-être même avec ma fille, soit je reste ici sur des cendres. Il a foutu ma vie en l’air.

Il vous dit cette phrase terrible : « C’est très bien, Lila va découvrir le paradis. »

Il est persuadé qu’il a enlevé Lila pour la sauver d’une terre de mécréants. À ma principale préoccupation, « Si tu meurs, que va-telle devenir ? », il répond : « Je connais ma fille, elle sera toujours heureuse. Toute la famille est ici. »

Aucun dialogue possible. En état de sidération, je dois gérer mes émotions. Il exige que je ne pleure pas pendant les conversations pour ne pas « perturber Lila ». On m’avait prévenue de ne pas le contrarier, de surtout garder le lien. L’objectif étant d’obtenir une géolocalisation, des détails, un nom qui auraient pu aider les enquêteurs, mais je suis face à un mur, zéro rationalité, aucun sentiment, rien.

« Je l’espère en vie »

En 2016, 420 mineur·es français·es étaient en Syrie et en Irak, on en a retrouvé certain·es depuis…

La plupart des mineur·es qui ont fui avec leur mère sont dans des camps de réfugié·es, les autres, malheureusement, ne sont plus là.

La cellule qui suit mon dossier ne lâche pas

La Croix-Rouge a collecté des infos, des photos qui pourraient permettre d’identifier Lila. La cellule qui suit mon dossier ne lâche pas : les policiers essaient de nouvelles pistes pour la retrouver. Mais je n’ai pas réussi à les géolocaliser, et son père s’est remarié avant de partir au combat. Si Lila est dans un camp de refugié·es, elle est forcément avec cette femme…

Vous l’espérez toujours en vie ?

Elle avait 3 ans et demi, elle a eu 9 ans le 3 février dernier. C’est difficile, à cet âge, de conserver des souvenirs.

Elle est traumatisée, ils lui ont lavé le cerveau, elle ne parle plus français, elle est devenue Fatima. La dernière fois que je l’ai vue via Skype, c’était l’été 2016. Tant que je n’ai pas la preuve du contraire, je l’espère en vie. Ce serait, sinon, la perdre une nouvelle fois.

Le coupable, c’est lui.

Vous vous êtes remariée, avez eu un deuxième enfant… Ce livre raconte aussi votre reconstruction.

Cette reconstruction difficile est une perpétuelle évolution. L’écriture de ce livre m’aura fait prendre conscience que je souffre de stress post-traumatique et que je suis une victime : j’ai été manipulée, je dois me défaire de la honte et de la culpabilité. Le coupable, c’est lui.

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