Josiane Le Goff a été tuée par le père de ses enfants en 1982. Sa fille, Laurence revient sur son enfance brisée. Elle mène aujourd’hui avec sa sœur Françoise un combat pour la déchéance systématique des droits parentaux.
C’est une photo sépia de la fin des années 70, trois enfants sur une plage entourent leur mère. Cela pourrait être l’image d’une famille heureuse si on en ignorait la fin tragique. Josiane Le Goff a été assassinée, le 11 décembre 1982, à 33 ans, après 17 ans de mariage, par le père de ses enfants. Yannick, Françoise et Laurence ont effacé ce mot de leur vocabulaire, ils ne parlent plus que du « géniteur » qui a pulvérisé leur enfance.
Sommés d’entretenir leur père retraité, le bourreau de leur mère
Ils ont grandi séparément, placés chez différents membres de leur famille, et ont réussi à se reconstruire en se débarrassant du passé. Ou du moins de cet homme, aujourd’hui âgé de 74 ans, qui après une condamnation de 14 ans de prison, a été libéré au bout de 8 ans. Un géniteur qui n’a jamais cherché à les retrouver. Ce silence leur convenait jusqu’à ce qu’un courrier les replonge dans leur passé traumatisant. Le département du Maine-et-Loire leur a envoyé une enquête d’obligation alimentaire pour vérifier s’ils avaient les moyens d’entretenir leur père placé en maison de retraite. Il n’a pas été déchu de l’autorité parentale et l’obligation alimentaire pas supprimée.
Ils n’auront finalement pas eu à saisir le juge des affaires familiales pour faire appliquer l’article 207 du Code civil qui prévoit que si le parent a « manqué gravement à ses obligations », l’enfant peut être exonéré de cette obligation. Une commission les a libérés de cette obligation alimentaire. Mais cela n’a pas effacé leur colère, les enfants Le Goff, devenus grands, exigent un vrai droit à l’oubli. C’est à l’enfant de décider, pas au parent maltraitant, s’il désire ou non aider. Ils ont déposé un projet de loi sur le bureau de la garde des Sceaux, Nicole Belloubet. Laurence Le Goff nous raconte leur combat.
« Ma soeur Françoise me faisait dormir toute habillée au cas où nous devrions fuir »
« J’avais 10 ans quand cela est arrivé. J’ai eu comme une amnésie, j’ai très peu de souvenirs de ma vie d’avant et même du jour du drame. Jusqu’à ce que je reçoive, en novembre 2018, un courrier du conseil général du Maine-et-Loire nous demandant à moi, à ma sœur Françoise et à mon frère Yannick de financer la maison de retraite de notre géniteur, qui le 11 décembre 1982 a tué notre mère, Josiane Le Goff. J’ai dû prouver, article 207 du code civil à l’appui, qu’il y avait eu maltraitance. Et pour ça, j’ai dû lire le jugement et me plonger dans les articles de presse de l’époque et certaines choses sont remontées.
Je me souviens qu’on était parti de la maison depuis une semaine. Ma mère avait demandé le divorce. Elle avait 33 ans, elle était aide soignante et lui serrurier à l’hôpital d’Angers. Il a toujours été violent. Je me souviens que ma sœur Françoise était protectrice, elle me faisait dormir toute habillée au cas où nous devrions fuir en pleine nuit. Et on fuyait souvent, la nuit, en voiture pour aller chez notre grand-mère, avec nos cartables pour être prêts pour l’école le lendemain. Elle me protégeait, elle avait 13 ans et Yannick 15 ans. C’est quand notre frère a commencé à s’interposer entre eux que ma mère, qui a eu peur pour lui, a décidé de se séparer.
Notre géniteur a acheté un fusil et a scié le canon, c’était donc prémédité. Ce jour-là, Françoise a voulu lui apporter un cadeau pour sa fête, la Saint-Daniel. On était à peine arrivé quand il a dit à ma mère « J’ai aussi un cadeau pour toi ». Elle a répondu, « J’en veux pas », et là, il a sorti le fusil d’un placard et a tiré une première balle. Ma sœur a crié « Cours ! ». On a couru se réfugier chez la voisine, où on a entendu le deuxième coup de feu. Ma mère a été tuée d’un tir dans le ventre et d’un autre en pleine tête. Il s’est retranché dans la maison. Que nous serait-il arrivé si on était resté avec lui ? À 10 ans, j’ai dû faire une déposition. Je me souviens des policiers qui m’avaient demandé de la relire, me demandant « pourquoi tu mets si longtemps », et moi de leur répondre, « je regarde si vous avez fait des fautes d’orthographe ! »
Il a dit à ma mère « j’ai aussi un cadeau pour toi ». Elle a répondu, « j’en veux pas », et là, il a sorti le fusil d’un placard
Recueillie par son oncle et sa tante
Moi, je n’avais jamais vu mon géniteur battre ma mère, il était gentil avec moi, j’étais la petite dernière, la chouchoute. Ma mère a été tuée le 11 décembre 1982, le 28, j’étais à Cannes, accueillie par un oncle maternel que je n’avais jamais vu. En un mois, on m’a enlevée à mon frère et à ma sœur. Mais j’ai eu de la chance, mon oncle et ma tante m’ont aimée, j’ai été préservée. Ils ne pouvaient pas avoir d’enfant, ils étaient contents de m’adopter. Pour me préserver, ils ont pensé « On n’en parle plus ».
Je n’ai revu mon frère qu’une fois, et jamais ma sœur jusqu’à mes 19 ans. Ensuite, on a dû tout reconstruire, mais on n’en parlait jamais. Juste une fois quand je lui ai avoué, « Mon géniteur me fait peur ». Condamné à 14 ans de prison, il est sorti au bout de 8 ans. Elle m’a emmenée, « Viens, tu vas le regarder de loin ». Il faisait et vendait des fromages sur les marchés. Je suis allée à son stand, je lui ai acheté du fromage, il ne m’a pas reconnue. J’ai lancé « Je suis ta fille, je ne te dois rien », et je suis partie. Cela a été ma thérapie de le voir si petit et trapu. Enfant, je le voyais immense. La peur m’a quittée. Je ne crains plus de le croiser dans la rue. Il m’indiffère, je ne lui souhaite rien, même pas la mort mais il n’aura jamais mon pardon ni un euro !
Je voulais tout oublier mais je n’ai pas eu le droit à l’oubli. Aujourd’hui, en maison de retraite, il a demandé une aide sociale auprès du département du Maine-et-Loire. Ce n’est pas une erreur, il y a 36 ans, mon père n’a pas été déchu de ses droits parentaux. Mais aujourd’hui encore, même en cas de viol, des pères ne sont pas déchus de l’autorité parentale. Ce n’est pas systématique. C’est terrible et on refuse que d’autres enfants devenus grands vivent ça. Et on peut être déchu sans que l’obligation alimentaire soit supprimée. Aujourd’hui, on veut que les parents maltraitants soient systématiquement déchus et que cette déchéance soit liée à l’obligation alimentaire. On a lancé une pétition puis on a déposé un projet de loi sur le bureau de Nicole Belloubet, la garde des Sceaux. On va se battre jusqu’au bout pour que cette loi passe. C’est à l’enfant devenu grand de choisir, il faut qu’il puisse divorcer de ses parents. »
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