"L’aube à Birkeneau" : Simone Veil sans filtre sous la plume de David Teboul

C’est un document essentiel. "L’aube à Birkenau", est le récit que Simone Veil livre sur sa déportation et son impact sur sa vie et ses engagements. Des confidences recueillies par le cinéaste David Teboul qui lui avait fait la promesse de revenir un jour sur ces conversations.

Cinéaste, photographe et vidéaste, David Teboul a « rencontré » Simone Veil à 12 ans. Devant son poste de télévision, il découvre, frappé d’éblouissement, cette femme hors du commun. Il n’aura plus qu’une obsession, la rencontrer vraiment. Ce qu’il fera à 30 ans quand il lui proposera de tourner un documentaire sur sa vie. La conversation qui débute alors durera 15 ans. Elle ne cessera qu’à la mort de cette icône du siècle, le 30 juin 2017.

De ses confidences, il fera, en 2004, un documentaire Simone Veil, une histoire française. Mais de ces heures passées au sein de la famille Veil ou à Birkenau où ils retournent ensemble, il reste des bandes inexploitées. Il publie aujourd’hui L’aube à Birkenau (Ed. Les arènes), où il nous fait entendre la voix de Simone Veil. Ses silences aussi. Il lui en avait fait la promesse. Il l’a tenue lors de la cérémonie au Panthéon en diffusant le son du camp, son silence et l’aube à Birkenau. « A la fin de la cérémonie, le trésor de sa voix a été entendu dans tout le quartier, jusqu’en bordure du jardin du Luxembourg, pendant neuf heures, de la fin de la matinée jusqu’à minuit. Ce livre qui donne à lire la voix de Simone Veil est le second chapitre de ma promesse’ », écrit David Teboul dans la préface. Un récit saisissant et indispensable. Entretien.

Marie Claire : Même après son autobiographie Une Vie, on ne se lasse pas d’entendre la voix de Simone Veil…

David Teboul : Oui, et ce livre n’est ni une biographie ni un essai. C’est la voix de Simone Veil purement retranscrite, c’est son histoire telle qu’elle la raconte.

Lors de votre première rencontre, vous lui proposez un documentaire sur sa vie, elle vous lance « Qu’est-ce qui vous intéresse chez moi ? », et vous brisez la glace en lui répondant : « Votre chignon, madame »…

Très jeune, à la fin des années 1970, j’avais été impressionné par la beauté de Simone lors d’un débat télévisé à la suite de la diffusion de la série Holocauste. Quand je l’ai rencontrée pour la première fois, je ne pensais pas qu’en parlant de son chignon, j’allais déclencher quelque chose d’intime. C’était une forme d’intuition inconsciente, et cela a été le début de quinze ans d’amitié.

Simone Veil et son amie Marceline Loridan-Ivens faisaient partie de l’un des rares convois où les femmes n’ont jamais été complètement tondues, et l’on n’a jamais su pourquoi. Le fait d’avoir gardé des cheveux au camp les a beaucoup aidées. Marceline ne cessait de plaisanter sur le chignon de Simone : « Arrête de faire ta Golda Meir », l’ancienne Première ministre d’Israël en portait toujours un.

Quand je l’ai rencontrée pour la première fois, je ne pensais pas qu’en parlant de son chignon, j’allais déclencher quelque chose d’intime

Simone Veil décrit son arrivé au camp d’Auschwitz-Birkenau où on les dépouille de tout. Une camarade connue à Nice, plutôt que de le donner, vide son flacon de parfum Lanvin sur elle, Simone, sa mère et sa sœur.  Elle vous dit « j’ai le même parfum aujourd’hui dans ma salle de bain, il me fait penser à elle ». 

Oui, c’est un moment touchant. J’ai fait une photo de ce parfum dans sa salle de bain.

Marceline disait : « On a l’âge de son trauma. Toute ma vie, j’ai eu 15 ans. » Quand Simone et Marceline se retrouvaient, elles étaient des jeunes filles de 15 et 17 ans.

Simone Veil a survécu. Se posait-elle des questions sur le fait d’avoir un destin ?

Non, pas sous cette forme-là. Elle n’aurait jamais imaginé occuper le poste de ministre de la Santé. La loi sur l’avortement de 1975 lui a donné un statut inouï en France. Très vite, elle s’est appuyée sur ce statut pour parler de la déportation.

Comment vivait-elle cette énorme popularité notamment chez les femmes ?

Elle le vivait bien parce que Simone Veil était habitée d’une grande modestie. Elle avait une relation aux femmes très particulière, intense, c’était une compréhension immédiate. À Auschwitz-Birkenau, elle avait vécu dans la promiscuité avec des femmes dans des conditions de détention abominables, il ne faut pas l’oublier.

Elle n’a jamais accepté la mort de sa mère. Elle vous a dit que tout ce qu’elle avait accompli ensuite, elle l’avait accompli pour elle…

La mort de sa mère, Simone Jacob, a été un énorme choc. Elle est décédée dans des conditions atroces peu de temps avant la libération du camp. C’est touchant de savoir que tout ce qu’elle a accompli, c’était pour elle. Simone Veil appartenait à une génération où les mères n’avaient pas pu obtenir de droits. Elles disaient à leurs filles de devenir indépendantes. Sa mère était dépendante de son époux et Simone voyait bien qu’elle en souffrait.

Simone Veil a déclaré : « J’ai souhaité que l’Europe se fasse à condition de ne pas oublier ».

Elle s’est engagée pour la réconciliation franco-allemande très tôt, dès les années 1950. Elle ne voulait pas qu’on oublie ce qui s’était passé et construire des liens pour que cela ne se reproduise plus. Simone Veil savait que les sociétés sont d’une grande fragilité en ce qui concerne les droits acquis. Il faut rester vigilant pour les conserver.

Simone Veil appartenait à une génération où les mères n’avaient pas pu obtenir de droits.

Se disait-elle féministe ?

Elle ne supportait pas les inégalités faites aux femmes dont elle était très proche. C’était une féministe humaniste et non une féministe idéologique. Elle a toujours pensé qu’il fallait s’émanciper, faire des études, travailler,  pour pouvoir dire « oui ou non ».  Vous savez, les femmes les plus transgressives, les plus libres sont souvent celles à l’aspect très conventionnel au premier abord.

À la fin de sa vie alors que la maladie a fait son travail, vous vous retrouvez avec elle et Marceline Loridan-Ivens dans une brasserie aux Invalides où les « filles de Birkenau » ne peuvent s’empêcher de voler une petite cuillère…

On est tous reparti de cette brasserie avec une petite cuillère dans la poche. Un réflexe de filles de Birkenau qui ne veulent pas être contraintes de laper la mauvaise soupe de Birkenau. C’était un moment intense. Le camp était toujours là. Le camp a animé Simone Veil jusqu’à son dernier souffle. Au fond tous ses engagements sont profondément liés à sa déportation.

Que gardez-vous de Simone Veil ?

Je pense à sa capacité de reconstruire après avoir tout perdu. D’avoir cru au lendemain dans les pires moments. Il faut avoir une force incroyable pour survivre à la déportation. Les survivants comme Simone Veil sont des personnes qui ont vu ce que l’humanité pouvait produire de pire. Quand je la retrouvais, à chaque fois, je la quittais en me sentant plus fort.

Ce livre me permet d’entendre Simone et le timbre si singulier de Marceline aussi. C’est une façon pour moi de prolonger ce lien. C’est important qu’on entende ce que c’est d’être née en France, d’avoir été déportée et d’avoir quand même accompli tout ce qu’elle a accompli.

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