La technologie va-t-elle sauver la planète (et les hommes avec) ?

  • A l’occasion de l’entrée dans la nouvelle décennie, 20 Minutes cconsacre une série d’articles aux années 2020, nouvelles années folles.
  • Les géants du numérique croient que la technologie nous sauvera, mais ce n’est pas si clair.
  • L’IA peut aider à réduire notre impact environnemental mais il faudrait se dépêcher d’y penser.

Cent ans plus tard, les « années folles » repointent le bout de leur nez. Des « roaring twenties » [les années 1920 rugissantes], portées par une euphorie créatrice et une croyance quasi fanatique en la révolution industrielle, nous entrons dans les « worrying twenties » [les années 2020 inquiétantes], comme l’a baptisé la grande étude de Ipsos « Trend Obs 2020 ». Toute la semaine, 20 Minutes explore les futurs proches qui nous attendent d’ici 2030.

Au menu de la décennie : désenchantement, détresse existentielle et fantasme de l’apocalypse. Dans cet épisode, nous explorons comment les nouvelles technologies pourraient nous sauver.

La Silicon Valley n’a jamais caché son optimisme, ou plutôt son aveuglement, face aux problèmes futurs. A en croire ces néo-prométhéens biberonnés à la
science-fiction, les nouvelles technologies auront réponse à tout. La frange transhumaniste de la Vallée pense l’humanité assez forte pour se sortir de toutes les situations périlleuses grâce à l’innovation.
L’intelligence artificielle pour nous aider à vaincre la mort, un déménagement sur Mars pour éviter la catastrophe climatique, des puces électroniques pour augmenter notre cerveau.

Devant chaque problème, la technologie aurait une solution. Sauf quand elle crée elle-même un nouveau problème. Et l’idée de changer le modèle économique des Gafa pour devenir durable n’arrange clairement leur son porte-monnaie. A l’occasion de notre dossier « 2020, les nouvelles années folles », 20 Minutes étudie les grandes questions que posent les technologies. Vont-elles nous sauver ou nous planter ?

L’IA sera-t-elle notre salut comme veut le croire la Silicon Valley ?

Les technoprophètes qui règnent sur la Silicon Valley partagent cette croyance un peu folle. « Ils n’hésitent pas à dire que le changement climatique a déjà été résolu, dans le sens où, au rythme où progresse la technologie, une solution est inévitable -voire, grâce à l’apparition d’une technologie bien particulière et autodidacte, j’ai nommé l’intelligence artificielle, ou IA », écrit David Wallace Welles dans La Terre inhabitable. Inutile de préciser qu’ils se bercent d’illusion.

L’intelligence artificielle n’est pas une baguette magique. « Ceux qui disent que l’IA va résoudre tous les problèmes sont, soit naïfs, soit ils ont un intérêt parce qu’ils travaillent dans le domaine », commente Raja Chatila, professeur en robotique et éthique des intelligences artificielles à la Sorbonne et directeur de l’Institut des systèmes intelligents et de robotique (Isir).

Les géants de la tech sont-ils dans le déni ?

Difficile de répondre par la négative. « Non seulement l’intelligence artificielle ne peut pas tout résoudre mais elle peut devenir elle-même le problème », relève Jean-Gabriel Ganascia, président du Comité d’éthique du CNRS et spécialiste d’intelligence artificielle. Le vrai problème, c’est la fuite en avant solutionniste de la Silicon Valley.

« Prenons l’exemple d’Elon Musk, poursuit le chercheur. Il pense que l’IA est dangereuse et qu’elle va prendre le pouvoir. Sa solution, c’est de développer un dispositif qu’il veut mettre dans le cerveau pour augmenter l’intelligence humaine. C’est absurde parce que l’IA n’a d’intelligence que celle que nous lui mettons, elle n’a pas de conscience ». Pire, si jamais son dispositif [développé par
Neuralink] fonctionnait, il pourrait introduire des nouvelles connaissances dans le cerveau qu’on n’aurait pas choisies. « Ce que nous saurions ne serait pas simplement ce que nous avons appris mais ce que l’implant nous a mis dans la tête, insiste Jean-Gabriel Ganascia. On propose une solution qui est en réalité un asservissement total ».

La technologie a des effets qu’on ne voit pas toujours. « Dès qu’on apporte une nouvelle solution, on crée des nouveaux problèmes, abonde Hubert Guillaud, rédacteur en chef d’InternetActu. Aujourd’hui on est sumergés par ces nouveaux problèmes ». La vraie réponse ne serait-elle pas plutôt dans la sobriété technologique ?

Que font les Gafa concrètement pour aider la planète ?

Ils communiquent beaucoup, mais dans les faits, leurs actions en faveur de l’écologie ne pèsent pas lourd. « La Silicon Valley ne s’intéresse pas à l’environnement parce que ça ne va pas dans le sens de son modèle économique, insiste Hubert Guillaud. Facebook et Google font des efforts pour réduire leur empreinte carbone [Facebook avait installé un datacenter en Irlande alimenté par une énergie éolienne 100 % propre et renouvelable], ils mettent en place des solutions techniques dans le but de faire des économies d’énergie, de serveur et de machinerie ». En dehors de ça, pas grand-chose.

Comment la technologie pourrait-elle aider à sauver la planète ?

Limiter nos émissions de CO2, mieux gérer nos ressources d’eau et de nourriture, fluidifier le trafic routier, réduire notre consommation énergétique… Dans le domaine de l’écologie, l’intelligence artificielle semble sous exploitée. « L’IA peut être d’un grand secours pour faire des économies, moins dépenser d’énergie », pointe Jean-Gabriel Ganascia. Par des capteurs, elle peut aider à réguler le chauffage dans les immeubles, à surveiller les forêts et la circulation routière ».

En interprétant ces informations, l’IA pourrait aider à réduire notre consommation énergétique et notre impact environnemental. Elle constitue un atout pour rationaliser nos consommations. Une vingtaine de chercheurs de renom dans le domaine de l’intelligence artificielle ont publié un article sur le sujet en 2019 – « Tackling Climate Change with Machine Learning » soit « Lutter contre le changement climatique avec l’apprentissage automatique »-. Ils mettent au jour toutes les applications du machine learning (un des champs d’étude de l’IA) pour limiter le réchauffement climatique. Electricité, transports, agriculture, industrie, finance… les champs d’applications sont vastes. Mais tout reste à faire.

L’IA pourrait-elle prédire les effets du réchauffement climatique ?

Il ne faut pas être émerveillé par la capacité de l’intelligence artificielle. Si l’IA est capable de faire des prédictions, elle n’est pas un oracle. Cela aurait été trop simple… « Le problème du changement climatique, c’est qu’on n’a pas de données, explique Raja Chatila. Sur quelle donnée passée et disponible en quantité pourrions-nous faire une statistique ? Pas beaucoup. Etant donné la complexité du climat, on a du mal à faire des prédictions simples ». On n’arrive déjà pas à prévoir s’il pleuvra dans dix jours, alors anticiper les effets du réchauffement climatique…

« Les phénomènes sont très complexes et très mal modélisés, avec beaucoup d’interactions, de boucles de rétroaction et des choses qui ne sont pas maîtrisées et contrôlables, poursuit le directeur de l’Institut des systèmes intelligents et de robotique (Isir). Si on a beaucoup de données, on peut prévoir le futur, à condition qu’il soit le résultat de ces données ». Or, le principe même du changement climatique, c’est que le futur ne ressemblera pas au passé.

« Quand on dit : « Le niveau de la mer va augmenter », on prévoit que le réchauffement climatique va faire fondre la glace, détaille Raja Chatila. Et peut-être que cette fonte de la glace, en refroidissant l’océan, aura aussi une conséquence sur les courants océaniques qui sont très difficiles à modéliser. Ils provoqueront peut-être de nouveaux changements climatiques imprévisibles. On ne l’a pas pris en compte parce qu’on n’a pas les données pour le faire ». L’IA ne nous aidera pas à prédire les effets du réchauffement climatique. Sur ce terrain, le futur est bien trop complexe.

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