« Vous vous en souvenez comme si c’était hier. Cette veste vous avait fait fantasmer, vous l’aviez découpée dans un magazine et vous l’aviez punaisée au-dessus de votre bureau d’adolescente.
Tout l’été, vous aviez travaillé pour vous l’offrir. À chaque coup de fatigue, vous preniez le temps de fermer les yeux pour imaginer à quel point vous seriez bien dedans. Cette veste était devenue un Graal, l’objet d’une quête qui rendait la rentrée désirable.
Et puis à la fin du mois d’août, vous aviez fini par vous l’offrir. Vous aviez frissonné devant la vitrine, consciente que ce premier achat d’adulte marquait le début de votre indépendance. Aussitôt enfilée, vous étiez déjà une autre, riche de tous les possibles qui s’offraient à vous.
Ces quelques centimètres de tissu étaient devenus une carte de visite, ils racontaient celle que vous vouliez être et la manière dont vous vouliez vous présenter.
S’habiller appelle à une réflexion sur notre identité
Alors cette veste vous l’aviez usée jusqu’à la corde, vous moquant allègrement des modes et des tendances. Et jusqu’à aujourd’hui, malgré le flux des décennies, vous y repensez avec tendresse. N’était-ce pas cela, la magie des vêtements ?
Car finalement, les habits sont des propositions, des va-et-vient entre le dedans et le dehors. Des représentations de soi auxquelles on adhère pour une heure ou pour une vie.
Nos vestiaires s’apparentent à des tentatives, des territoires à explorer. Enfiler une tenue est un essai pour saisir un aspect de nous-mêmes que l’on veut rendre visible et communicable. Une manière de se raconter sans la complexité des mots.
Qui suis-je aujourd’hui en attrapant ce pull ? Ce sweat ? Cette chemise en soie ? Cette flanelle ? Ce geste appelle à une réflexion sur notre identité, nos projections, nos désirs, mais aussi sur nos convictions, notre idéologie, notre philosophie.
Un désir de différence et d’élégance
Alors, bien sûr, il y a la mode, son caractère à la fois collectif et momentané. La mode est un critère objectif d’assimilation, un désir d’appartenance, mais elle ne nous ôtera jamais notre singularité ni les souvenirs que l’on tisse en la portant. Nous voulons être comme tout le monde, certes, mais nous ne voulons pas être confondus avec n’importe qui.
Nous voulons être comme tout le monde, certes, mais nous ne voulons pas être confondus avec n’importe qui.
C’est ce désir de différence qu’atteste l’élégance de chacun, en lui faisant choisir ce qui le distinguera des autres : tel tissu, telle couleur, tel motif, et surtout telle histoire.
Les canons de chaque mode sont juste assez contraignants pour laisser place à d’imprévisibles variations, pour que nous trouvions tous la veste qui traduira nos ambitions et nos affranchissements.
Alors laissons le spectacle commencer et les rêves se tisser. Osons l’amusement, l’artifice, l’intemporel, l’engagement ou les excès. La mode n’est rien d’autre qu’un langage. C’est-à-dire un monde dont on peut s’emparer. Quelle est la prochaine pièce qui saura nous porter ? »
(*) Dernier livre paru : Une année de philosophie, éd. Flammarion.
Source: Lire L’Article Complet