Une salariée de Birmingham qui avait 12 bouffées de chaleur par jour et qui se réveillait huit fois par nuit en sueur a été déclarée handicapée en raison de sa ménopause, rapporte le journal britannique The Guardian.
Selon des chercheurs britanniques, de plus en plus de femmes poursuivent leur employeur en justice en dénonçant des discriminations, du harcèlement, ayant conduit à un licenciement abusif en raison des manifestations gênantes de la ménopause sur leur lieu de travail. Inédit au Royaume-Uni : cinq affaires liées à la ménopause ont été jugées devant l’équivalent de nos Prud’hommes en 2018, six en 2019 et 16 en 2020. En 2021, on en comptait au moins 10 au cours des six premiers mois.
Le signe des difficultés que rencontrent la plupart des femmes actives lors de cette période encore taboue. C’est par ailleurs ce que pointait un rapport intitulé Menopause and the Workplace et publié par l’entreprise Fawcett Society, engagée pour l’égalité, en avril 2022.
Quelques mois plus tard, en juillet 2022, une commission multipartite a publié un rapport sur le sujet, arguant que pour plus d’égalité et pour protéger les salariées britanniques contre les discriminations, la loi devrait être modifiée. Une requête qui vient d’être balayée par le gouvernement : « dans sa réponse officielle au rapport, publiée mardi 24 janvier 2023, le gouvernement a rejeté la proposition, mettant en garde contre « des conséquences involontaires qui pourraient créer par inadvertance de nouvelles formes de discrimination, par exemple, des risques de discrimination envers les hommes souffrant de maladies de longue durée » », rapporte The Guardian.
Une femme sur quatre en ménopause envisagerait de quitter son emploi
Pourtant, les chiffres donnent le vertige : le Royaume-Uni perdrait ainsi 14 millions de journées de travail par an en raison de la ménopause. 30% des actives se mettraient en effet en arrêt maladie chaque année, tant leur ménopause gâche leur quotidien professionnel. Pire, une femme sur quatre en ménopause envisagerait même de quitter son emploi, ce qui, soulignent les expertes, entraînerait une perte de savoir, d’expérience et de talents pour les entreprises.
Malgré la décision du gouvernement, le sujet est pris au sérieux outre-Manche. Ainsi, la House of Commons Women and Equalities Committee a lancé, le 23 juillet 2021, une enquête pour vérifier si les lois mais aussi les pratiques d’entreprise, soutenaient suffisamment les femmes durant leur ménopause.
Il est temps de lever le voile sur cet énorme problème qui a été quasi invisible bien trop longtemps et de le régler.
« Alors que des centaines de milliers de femmes dans le royaume traversent la ménopause en ce moment même – un processus qui peut être physiquement et mentalement épuisant – celle-ci est ignorée par la loi, avait regretté à l’époque la députée conservatrice et présidente du Women and Equalities Committee, Caroline Nokes. Il est temps de lever le voile sur cet énorme problème qui a été quasi invisible bien trop longtemps et de le régler ».
Ces dernières années, de plus en plus d’entreprises britanniques n’ont pas attendu qu’une loi les y force, et ont déjà pris des mesures. Ainsi, pionnière en son genre, la chaîne de télé Channel 4 s’est engagée à soutenir ses collaboratrices en pleine ménopause : horaires flexibles, congés à négocier sans peur d’être discriminées par leur manager, possibilité d’aller travailler dans un espace plus frais…
En France, la ménopause invisibilisée dans les entreprises
Cette reconnaissance de la ménopause dans le quotidien professionnel peut-elle faire tache d’huile et arriver en France, pour en finir avec les clichés et les tabous sur les femmes ménopausées ? Pour le moment, on en est très loin.
Selon un sondage Institut Kantar/MGEN cité par Sophie Kune, la créatrice du compte Instagram @menopause.stories dans son livre Ménopausée et libre (Ed. Marabout), seules 12% des Françaises seraient prêtes à parler à leur supérieur si elles subissaient des troubles liés à la ménopause. Et elles sont même 60% à refuser que leur employeur en tienne compte. Probablement parce que comme Claire, commerciale, 51 ans, elles redoutent le regard stigmatisant de leur hiérarchie…
« J’en fais déjà le double de tout le monde pour prouver que je ne suis pas périmée, que je sais m’adapter aux mutations non stop, je me vois mal dire à mon chef : ‘Je n’en peux plus des regards narquois quand d’un seul coup, je me mets à rougir et à transpirer à grosses gouttes en réunion. Et je ne veux pas de traitement hormonal de substitution pour atténuer les bouffées de chaleur. C’est mon choix’.
Et alors que le sujet des règles au travail est de plus en plus abordé, comme le projet de congé menstruel, on ne se prive pas, dans les open space – femmes comprises ! – de se moquer des collègues en ménopause. Une twitto : « Toutes les femmes du bureau sont en ménopause, du coup elles mettent toutes les clims à 20. Je leur ai dit j’ai que 22 ans et maintenant, elles veulent me virer du bureau mdr ».
Des manifestations invalidantes inhérentes à la ménopause
Sans compter que les bouffées de chaleur sont loin d’être les seules manifestations invalidantes de la ménopause. Ainsi, l’arrêt de la production d’œstrogène et de progestérone entraîne de nombreux désagréments comme les envies pressantes et fréquentes d’uriner (pénible à vivre quand l’entrée des toilettes est visible de tous…), les douleurs articulaires, les insomnies, les sautes d’humeur et les trous de mémoire transitoires.
Agathe, juriste en a fait l’amère l’expérience : « Il m’arrive de chercher mes mots en pleine réunion stratégique, face à des clients … Mais je me vois mal leur dire : ‘Non, ce n’est pas un alzheimer précoce, c’est juste ma ménopause ! » Responsable de communication, Sophie quant à elle à beaucoup grossi après son 50 e anniversaire. « J’ai tout pris sur le ventre. La fameuse bouée de la ménopause. Une catastrophe dans mon métier où il y a beaucoup de représentation, de cocktails… J’ai beau être au top de mes compétences, je surprends des regards méprisants. » Prendre les devants et aller voir ailleurs ? Pour Sophie, il n’en est pas question : « À 52 ans, qui voudrait m’embaucher ? ».
Gynécologue-endocrinologue à l’hôpital Cochin, Anne Gompel1 confirme que la ménopause reste un tabou puissant dans le milieu professionnel : « Avec un médecin du travail, j’avais fait un topo sur la ménopause à l’AFP. Et ce qui est assez représentatif de la vision de la ménopause dans le milieu du travail, c’est qu’un certain nombre de femmes ont refusé de venir. Elles avaient peur d’être étiquetées comme vieilles et de risquer leur poste… » Comment clouer le bec du chef ou du collègue qui se moque d’une femme en ménopause : « Et toi ta prostate, comment ça va ? », sourit Anne Gompel.
Jurisprudence ménopause
Si en Grande-Bretagne, la loi ne va donc pas être modifiée dans l’immédiat, les procès se multiplient.
Spécialiste en droit du travail, l’avocate Rachel Saada, de l’Atelier des droits, doute pourtant qu’une « jurisprudence ménopause » puisse émerger bientôt en France : « Dans ma longue carrière, je n’ai jamais rencontré une active de 45-55 ans souhaitant attaquer son employeur pour discrimination en raison de sa ménopause ». Pour elle, le harcèlement, les humiliations de salariées en ménopause ne sont pas liées au genre, mais à l’âge, et ils touchent les femmes comme les hommes. « Le premier motif pour pousser ces quinquas qui ont de l’ancienneté vers la porte, c’est le niveau de leur rémunération, nettement supérieure à celle que pourrait recevoir un.e jeune, sortant de l’école ou de l’université et susceptible de reprendre le poste. »
La deuxième raison, c’est que ces seniors ont des règles de métier et un esprit critique. Elles constituent donc un « danger » pour ces entreprises où il faut se contenter de suivre les protocoles et se taire. Et les discriminations commencent insidieusement, bien avant la ménopause, même si c’est à cette période que les femmes en prennent conscience. « J’ai défendu à plusieurs reprises des femmes dans la banque : Crédit Agricole, Société Générale, BNP, poursuit Me Rachel Saada… Quel que soit l’établissement, j’ai remarqué que ces salariées étaient sous-classées par rapport aux hommes, même en accomplissant le même boulot. Elles ont trimé toute leur vie, elles ont fait toutes les formations en interne, elles ont été bien notées et toutes absorbées qu’elles étaient dans leurs efforts, elles ont pris conscience très tard que les hommes arrivés en même temps qu’elles, sont bien au-dessus d’elles. »
Dans ma longue carrière, je n’ai jamais rencontré une active de 45-55 ans souhaitant attaquer son employeur pour discrimination en raison de sa ménopause
Mais ces quinquas ont moins peur de se révolter… « Leurs enfants sont grands, elles n’ont plus de crédits sur le dos, et elles savent ce qu’elles valent ». Le conseil de Me Saada à celles qu’on pousse vers la sortie ? « Ne pas faire le dos rond, ne pas se dire, ça va passer, car ça ne passera pas. S’organiser pour résister : aller voir les élus du personnel, parler au médecin du travail. Il a les outils pour alerter l’employeur. Et… se faire assister par un.e avocate qui a fait le choix de défendre les salariés plutôt que les employeurs. »
C’est ce qu’a fait cette quinqua, mise au ban de son entreprise en raison de son âge : « Elle avait 25 ans de boîte dans une société d’économie mixte, raconte son avocate Me Catherine Kiman. Elle a été placardisée, invisibilisée, humiliée pendant des mois. On lui avait retiré ses équipes, ses missions, ses responsabilités…Elle a fini par craquer et a demandé sa mise à la retraite, plus tôt qu’à l’âge où elle pensait partir. Puis à la réflexion, elle a décidé de saisir les Prud’hommes. Et elle a obtenu la requalification de cette mise à la retraite en licenciement sans cause réelle et sérieuse. Elle y a gagné l’équivalent de huit mois de salaire en indemnités… « .
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