1953 : l’icône Marilyn Monroe est affichée dénudée – et contre son gré – en Une d’un nouveau magazine qui promet du « divertissement pour les hommes ». Playboy est né.
Son fondateur, Hugh Hefner, a révolutionné la presse, « transformé la culture du sexe aux États-Unis », et même « transformé l’Amérique » tout court, s’emportent les présentateurs télévisés qui annonçaient en septembre 2017 son décès à l’âge de 91 ans.
Des hommages à la hauteur du discours que le créateur du magazine « de charme » vendait durant des décennies.
Si, hypocrite, il martelait contribuer à l’évolution des mœurs et à la libération sexuelle des femmes, la mini-série documentaire La face cachée de Playboy(ou Secrets of Playboy), dans la veine de Jeffrey Epstein : Filthy Rich ou L’arnaqueur de Tinder, révèle qu’il a surtout contraintes ces dernières à de sordides supplices.
En dix épisodes disponibles avec Canal +, Alexandra Dean – à qui l’on doit This is Paris et Hedy Lamarr: from extase to wifi – reconstitue la véritable histoire de la marque Playboy derrière celle narrée.
Face caméra, des témoignages saisissants s’enchaînent, appuyés par un impressionnant travail d’archives.
Ex-employés et anciennes compagnes du puissant racontent les attaques sexistes, mais aussi les viols, parfois pédocrimels, parfois en réunion, d’autres fois encore sous la prise forcée de drogues, qui se perpétraient manoir d’Hefner dans un assourdissant silence. Dans une insupportable impunité.
Humiliations sexistes, maltraitances et déshumanisation
D’anciennes « bunnies » (serveuses dans une discothèque Playboy) se remémorent quant à elles douloureusement les humiliations sexistes subies.
Car Hugh Hefner n’est pas qu’un éditeur de presse, il est aussi un homme d’affaires qui a bâti un empire autour du logo aux deux oreilles. Dont des clubs Playboy, où de très jeunes femmes hypersexualisées, déguisées en lapines, servent les clients.
Et pour qu’elles correspondent aux fantasmes de ces derniers, les « bunnies » sont strictement contrôlées sur leur mode de vie, à l’aide d’un système de notation et d’un examen complet avant de débuter chaque service, dévoile Secrets of Playboy. Elles ont l’interdiction de boire, de fumer, de jurer, d’être en couple, ou encore, de grossir.
« Une fois par mois, on nous pesait. Il y a avait un tableau avec nos poids à côté de la balance. C’était humiliant… », rembobine une première ex-« bunnie ».
« Quand vous aviez deux kilos de plus, vous receviez un avertissement. Et si vous ne les aviez pas perdus le mois suivant, vous étiez suspendue jusqu’à les perdre », apprend-t-on encore avec stupéfaction.
Le culte de la silhouette féminine mince et contrôlée par des hommes n’avait aucune limite : leur costume était si serré – « une gaine d’une taille inférieure », comme nous révèle une image d’archive d’une jeune serveuse – que « beaucoup de filles contractaient des infections rénales », se souvient aujourd’hui une ancienne « bunnie » .
« On allait aux toilettes pour enlever nos chaussures incrustées de sang, poursuit une interrogée à propos de ces maltraitances. On mettait nos pieds dans la cuvette des toilettes et on tirait la chasse d’eau. On espérait que ça [les] fasse dégonfler pour pouvoir remettre nos chaussures. »
La bunnie n’était pas vraiment une personne, pour ainsi dire, c’était une image.
Une autre se rappelle de ses bras « constamment remplis de bleus », tant la position « sexy » à respecter pour servir les clients était inconfortable. Et si la cambrure excessive exigée n’était pas parfaitement exécutée, les responsables du club faisaient voler les plateaux. Encore une humiliation.
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« La bunnie devait entretenir cette image de fille irréprochable (…). Ce n’était pas vraiment une personne, pour ainsi dire, c’était une image », résume, bouleversante, une femme qui fut serveuse dans une discothèque Playboy durant 8 ans, dans les années 80.
Au manoir, des jeunes femmes sous emprise
Certaines « bunnies » et playmates – les modèles qui posent dans Playboy – vivent aussi au manoir d’Hugh Hefner.
L’homme en peignoir souhaitait garder le contrôle sur ces très jeunes femmes qui devaient être à son service. « Il aimait qu’elles viennent de foyers brisés où il n’y avait pas de père parce qu’il pouvait les impressionner et les contrôler, pour qu’elles puissent ensuite satisfaire ses désirs et ceux de ses amis », selon Stefan Tetenbaum, ancien valet dans le manoir, interviewé par Alexandra Dean.
Je ne me rappelle pas m’être allongée. Quand je me suis réveillée, il était nu sur moi, et je n’avais plus ni mes sous-vêtements, ni mon pantalon de pyjama.
Certaines de ces femmes sont devenues ses compagnes.
Holly Madison livre l’un des témoignages les plus choquants de cette mini-série documentaire. « En regardant en arrière sur mon temps à Playboy, ça me fait penser à une secte. C’est très facile de s’isoler du monde extérieur là-bas. Vous aviez un couvre-feu à 21 heures. On nous encourageait à ne pas recevoir d’amis. On n’avait pas vraiment le droit de partir, sauf si c’était pour des vacances en famille », décrit l’ex-conjointe de Hugh Hefner avec 14 ans de recul.
Droguées à leur insu, violées
Celle qui fut en couple avec l’éditeur de 2001 à 2008 témoigne aussi de viols en réunion au sein de la « Playboy Mansion ».
Sondra Theodore, une autre ancienne conjointe d’Hugh Hefner, affirme avoir été souvent droguée au manoir. « Les hommes savaient qu’ils pouvaient faire n’importe quoi avec les filles s’ils leur donnaient du Quaalude », lance la victime. Ces sédatifs étaient surnommés « les ouvreurs de cuisses », avoue l’ancienne secrétaire et assistante de Hugh Hefner.
Le mannequin Susie Krabacher explique à son tour que le fondateur de Playboy lui a proposé un cachet. C’était en 1983. Elle était encore mineure et raconte l’avoir « pris sans réfléchir ».
« Je ne me rappelle pas m’être allongée. Quand je me suis réveillée, il était nu sur moi, et je n’avais plus ni mes sous-vêtements, ni mon pantalon de pyjama », confie courageusement la victime dans le dixième épisode du documentaire.
Cette même drogue fut utilisée par Bill Cosby pour violer Chloé Goins et Judy Huth dans l’une des chambres de ce manoir. La première poursuivait en 2016 Hugh Hefner pour complicité de viol, la seconde n’avait que 16 ans au moment des faits.
Ces quelques exemples ici cités, aussi innommables soient-ils, ne représentent qu’une maigre part des abus et crimes commis dans l’antre du prédateur. La série-documentaire lève le voile sur bien d’autres humiliations et abus sexuels subis par des jeunes femmes. Et il faut avoir le cœur bien accroché pour tout entendre. Et surtout, tout réaliser.
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