La cybersécurité, un domaine qui peine à s’ouvrir aux femmes

Alors que l’histoire de l’informatique repose sur d’illustres pionnières, les stéréotypes persistent dans ce secteur et prive la filière de la cybersécurité, en pleine expansion, de nombreux talents féminins.

En dix ans, le nombre de professionnels spécialisés en cybersécurité a doublé. Aujourd’hui, ils sont plus de 4,5 millions à lutter contre des menaces de plus en plus complexes. Malgré le besoin permanent de nouveaux experts dans ce secteur en pleine croissance et des salaires très attrayants, les femmes sont peu nombreuses. Une sous-représentation qui s’explique notamment par la reproduction de stéréotypes, explicités par le site «  The conversation », qui a recueilli plusieurs témoignages de professionnels. 

5 % des experts cyber sont des femmes 

C’est un phénomène qui n’est pas nouveau. À chaque fois qu’un champ de savoir prend de l’importance dans la société, il se masculinise. C’est exactement ce qui s’est produit dans le monde du digital. Dans son livre « Les oubliées du numérique », l’informaticienne et enseignante-chercheuse à l’université de Genève, Isabelle Collet, rappelle que dans les années 80, 40 % des diplômes informatiques étaient délivrés à des femmes en Europe et aux Etats-Unis.  

Dans les années 1990, l’expansion du numérique a profondément bouleversé l’informatique. Face aux besoins constants des entreprises de mieux se protéger contre des hackings de plus en plus sophistiqués, la filière de la sécurité informatique est devenue plus prestigieuse et les salaires plus intéressants. Les postes ont alors été subitement destinés aux hommes. En France aujourd’hui, seulement 5 % des experts cyber sont des femmes. Une exclusion de la moitié de l’Humanité qui a une incidence directe sur le marché du travail : 4,07 millions d’emplois sont vacants dans le monde et seulement 20 % sont pourvus en France.  

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Combattre les stéréotypes le plus tôt possible 

Pour améliorer la place des femmes dans ce secteur, « The conversation » est allé à la rencontre de plusieurs professionnels pour mieux comprendre les mécanismes d’exclusions à l’œuvre. Le premier constat, c’est que dans ce secteur, le système éducatif n’incite pas les jeunes filles à s’orienter vers la cybersécurité. Les écoles et les universités entretiennent encore trop souvent des clichés, Par exemple, elles mettent peu en avant les modèles féminins, auxquels peuvent s’identifier les femmes. Le destin d’Ada Lovelace, la première à avoir réalisé un programme informatique, ou celui de Grace Hopper, qui a conçu le premier compilateur, susciteraient pourtant des vocations. Une discrimination qui semble perdurer dans la vie active. Plusieurs femmes témoignent de leurs difficultés pour participer à des formations techniques, « naturellement proposées aux hommes ». 

Par ailleurs, la figure de l’adolescent au sweat à capuche qui pirate une multinationale depuis sa chambre reste encrée dans les esprits. « J’ai toujours pensé qu’il fallait être un geek pour réussir dans ce domaine », témoigne une des personnes interrogées. Or, les entreprises recherchent désormais des profils très différents, capable de s’adapter aux nouvelles complexités de piratages.

Prouver sa valeur deux fois plus qu’un homme 

Autre tendance fâcheuse observée par les témoins interrogés, celle consistant à discréditer les femmes expertes. Malgré leurs compétences, les femmes qui réussissent à intégrer ce secteur peuvent encore être perçues comme subalternes. « Je me suis retrouvée plusieurs fois dans des situations où mes interlocuteurs décident de m’expliquer des concepts techniques simples juste parce que je suis une femme », confie une interlocutrice.  

Le problème du mansplaining et de l’ensemble des discriminations s’exerçant à l’encontre des femmes dans le domaine de la cybersécurité, c’est qu’elles finissent aussi par décourager les principales intéressées. À force de voir leur travail dévalorisé et sans perspective d’évolution au sein de leur entreprise, de nombreuses expertes se sous-estiment, voir, refusent d’intégrer ce secteur. Dans l’enquête, un chargé de recrutement décrypte à ce propos l’attitude des candidats devant une annonce d’emploi selon qu’il s’agisse d’une femme ou d’un homme. « Je remarque que pour une offre publiée, nous recevons des réponses de candidats même s’ils ne répondent pas à 100 % des compétences énoncées dans l’offre. Les candidates sont plus réservées lorsqu’il s’agit d’offres plus explicites. » 

Pour faire évoluer les mentalités, plusieurs associations comme le Cercle des Femmes de la CYberSécurité (CEFCYS), militent pour promouvoir et faire progresser la présence et le leadership des femmes dans les métiers relatifs à la sécurité informatique. Développer des programmes d’éducation et de formation, sensibiliser les recruteurs à l’importance de la parité, mais aussi le grand public aux enjeux de la cybersécurité permettra peut-être aux femmes se reprendre place dans ce secteur. Selon la Direction de l’Animation de la Recherche, des Etudes et des Statistiques (DARES), entre 170 000 et 212 000 postes seront à pourvoir dans le numérique en France, d’ici 2022. 

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