La charge mentale des enfants, ça existe ! Voici comment les épargner

La charge mentale, ça existe aussi pour les enfants, et même avant l’école primaire… Stress, devoirs, planning serré… et pandémie. Veillons à les épargner.

Ne pas oublier le cours de guitare, préparer l’interro de maths, apprendre les répliques de l’atelier théâtre, nourrir le chat, méditer pour digérer tout ça… Certes, la pandémie, avec l’arrêt des activités extrascolaires, a stoppé net ce genre d’emploi du temps qui précipitait notre progéniture dans l’épuisement mental. Pourtant, avec l’inquiétude ambiante et parfois l’angoisse – parentale – que les enfants prennent du retard à l’école, certains spécialistes redoutent la surchauffe… Pour la psychologue Aline Nativel Id Hammou*, la pression du monde des adultes est depuis un moment déjà « descendue » dans celui des enfants. Et elle n’est pas la seule à l’observer.

Des maux d’adulte et des signaux d’enfant

Jeanne Siaud-Facchin** la voit aussi à l’œuvre dans son cabinet : « Je pense à ce petit garçon de 5 ans, très anxieux, qui pensait que la maîtresse l’avait menacé de redoubler parce qu’il ne s’intéressait pas aux chiffres et aux lettres. De plus en plus, les enfants sont ou se sentent assignés à des missions abracadabrantes », dénonce la psychologue. C’est souvent à partir de l’école primaire que la charge mentale va crescendo. Ce dont Eglantine, 10 ans, témoigne. Dès la rentrée de septembre, elle s’est retrouvée saturée d’activités. « Je n’arrive plus à apprendre, je n’ai plus de place dans mon cerveau et j’ai du mal à dormir », analyse très bien la fillette, qui a toujours été « la première de la classe ». La pandémie, le reconfinement, la peur de l’avenir, l’état de la planète, la sélection qui ne faiblit pas, tout cela participe à la transmission des angoisses, au point que des enfants souffrent maintenant de maux hérités du monde adulte. « Les insomnies, les démangeaisons, les problèmes de dos sont en augmentation dans nos consultations. Même les stress alimentaires ne leur sont pas épargnés, entre obsession du véganisme, intolérance au gluten et crainte de l’obésité », souligne Jeanne Siaud-Facchin. Jules, 6 ans, rêve déjà d’être « aussi intelligent » que ses parents et ne veut surtout pas « devenir SDF » ! Fatigue, tensions physiques, rumination mentale, parfois rigidité psychologique : « Un enfant en charge mentale n’arrive plus à se détendre, renchérit Aline Nativel Id Hammou. Il a tendance à dire oui à tout – il est “parfait” –, à anticiper ou à faire les choses mécaniquement, perdant peu à peu le goût des autres, plus à l’aise avec les adultes qu’avec ses pairs. Autre signe : la régression. Lui qui était si précoce se comporte soudain comme un bébé ».

Trop petits pour être grands

On l’a pris pour plus mûr qu’il n’était… Et c’est aussi cela qui, de façon larvée, a installé la charge mentale chez lui. Ce syndrome porte un nom épinglé par la psychothérapeute Béatrice Millêtre : le mégamorphisme, qui consiste à bombarder les enfants au même niveau que les adultes. Par exemple, Lise, 6 ans, couverte cet été de piqûres de moustique, refusait catégoriquement d’utiliser un spray répulsif. Son père commente : « C’était stupide, car elle se grattait jusqu’au sang. Mais bon, il fallait bien écouter son avis, non ? » « Mille fois non ! », s’insurge Béatrice Millêtre, qui y voit une mauvaise interprétation de l’éducation positive. Que l’on interroge un enfant sur ses goûts et que l’on en tienne compte, oui. Mais on ne le laisse pas juger de ce qui est bon ou mauvais pour lui ; c’est le traiter comme un adulte qu’il n’est pas. Voilà qui peut provoquer chez lui un sentiment d’insécurité dissimulé derrière un masque de toute-puissance et peser beaucoup trop lourd. De manière générale, on brûle les étapes « en méprisant le tempo bien particulier de l’enfance », renchérit Jeanne Siaud-Facchin.

Le syndrome de l’ourson d’eau

« Je ne suis pas loin de penser que ces enfants souffrent de maltraitance temporelle. Parce qu’on est angoissé par l’avenir, on veut que nos enfants soient les plus forts », avance Aline Nativel Id Hammou, en détaillant le syndrome de l’« ourson d’eau ». Cet invertébré de la famille des tardigrades est indestructible d’après les scientifiques. Il résiste aux températures extrêmes, aux radiations, survit au vide spatial, un peu comme nos petits génies, aptes à tout ! Hélas, ils vont grandir dans la fausse assurance de leurs pouvoirs. « On commence à voir les résultats chez des trentenaires brillants mais malheureux au travail. Ils ne se sentent jamais à leur place, se ruent sur les bilans de compétences, les réorientations professionnelles, quand ils ne prennent pas une année de césure, afin de retrouver ce temps libre qui leur a fait défaut dans l’enfance », confie Jeanne Siaud-Facchin.

Lâcher la bride

La solution : leur laisser du temps de cerveau disponible. Le yoga ou la méditation sont certes à l’ordre du jour – mais ne s’agit-il pas encore de loisirs calqués sur les adultes ? « Le temps de maturation, surtout les premières années, est indispensable pour pousser bien droit, être ancré solidement », rappelle Jeanne Siaud-Facchin. Avec un enfant sous pression, Aline Nativel Id Hammou conseille de supprimer pendant quinze jours les activités extrascolaires, puis de faire le point. On peut écrire avec lui la liste de ses loisirs, entourer ceux qu’il préfère et n’en garder qu’un par semaine. Il faut les laisser rêver, s’ennuyer même, et vérifier qu’ils ont des copains, qu’ils savent rire et lâcher prise. « J’invite aussi les parents à explorer leur lignée familiale. On peut regarder ensemble un album photo, par exemple, le commenter, ce qui peut faire émerger le souvenir d’une grand-mère qui a regretté toute sa vie de n’avoir pu poursuivre des études ou d’un oncle obsédé par la réussite… Des modèles qui ont imprégné l’histoire familiale. Mine de rien, le parent peut ainsi réaliser ce qu’il projette, et l’enfant se retrouver allégé de la mission inconsciente qui l’écrasait ». Une manière de retrouver le temps de vivre, hors compétition.

* Auteure de La Charge mentale des enfants, Larousse.

** Auteure de S’il te plaît aide-moi à vivre, Odile Jacob.

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